24/03/2007  4 min #7757

COLOMBIE • L’industrie de la banane alimentait les paramilitaires

Chiquita, multinationale américaine de la banane, vient d’écoper de 25 millions de dollars d’amende pour avoir financé les groupes paramilitaires d’extrême droite en Colombie. Le quotidien El Tiempo revient sur les détails de l’histoire.

L’affaire a commencé en 1997. C’est à cette date que le directeur de la Banadex [filiale colombienne du producteur de bananes Chiquita] a autorisé une série de paiements maquillés en "contributions" à une Convivir [coopérative de sécurité privée] servant de façade aux paramilitaires.

A partir de cette date et jusqu’au 2 février 2004, le producteur de bananes a effectué plus de cent versements pour un montant total de 1,7 million de dollars, tous autorisés par les dirigeants de la filiale colombienne et du siège de la multinationale Chiquita, aux Etats-Unis.

C’est l’un des volets méconnus de l’affaire judiciaire qui contraint aujourd’hui Chiquita Brands International Inc. à payer une amende de 25 millions de dollars pour avoir rémunéré les AUC (Autodéfenses unies de Colombie), inscrites sur la liste des "organisations terroristes étrangères" du ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis.

A cette époque, il était déjà de notoriété publique que les AUC étaient responsables de dizaines d’assassinats dans la zone de production de Chiquita ; leur fondateur, Carlos Castaño, était d’ailleurs l’un des criminels les plus recherchés par la justice. Cela n’a pas dissuadé la multinationale de la banane de continuer à payer, au motif que cela ne la mettait pas en infraction avec la législation des Etats-Unis et que Castaño avait ouvertement menacé les mauvais payeurs de représailles [Chiquita n’est pas la seule multinationale implantée en Colombie à avoir agi ainsi].

L’accord secret entre Chiquita et les AUC vacille pour la première fois le 10 septembre 2001. Ce jour-là, à la veille d’un voyage en Colombie, le secrétaire d’Etat américain Colin Powell annonce le classement des AUC sur la liste des organisations terroristes. Autrement dit, tout citoyen des Etats-Unis soutenant ces paramilitaires se rend coupable d’un crime fédéral. Chiquita continuera néanmoins à payer pendant trois ans, mais sous forme de versements en espèces et non plus en chèques à l’ordre de Convivir. Il y aura encore une cinquantaine de transactions, menées grâce à un réseau financier complexe visant à empêcher qu’on remonte la filière.

Selon la multinationale, en février 2003, un haut responsable de Chiquita "s’est rendu compte" de la situation et a demandé conseil auprès d’un cabinet juridique de Washington, qui recommanda la suspension immédiate des paiements. Un conseil qui n’a visiblement pas été écouté.

Le 3 avril de la même année, et pour la première fois, la question fut évoquée devant le conseil d’administration de Chiquita. Le 13 mai 2004, alors que l’enquête avait déjà commencé, Chiquita a reconnu publiquement avoir versé de l’argent à un groupe terroriste [c’est-à-dire les paramilitaires]. Un mois plus tard, en juin, Chiquita vendait sa filiale Banadex et quittait définitivement la Colombie. Banacol, qui a racheté Banadex, est également soupçonné d’avoir financé plusieurs groupes armés.

Alors que la justice se demande si les faits reconnus par Chiquita devant une cour des Etats-Unis peuvent donner lieu à des poursuites en Colombie, une polémique a déjà éclaté au sujet de la destination des 25 millions de dollars que l’entreprise nord-américaine va devoir payer.

Selon des fonctionnaires des Nations unies et des responsables colombiens, ils doivent alimenter le Fond national de réparation aux victimes, qui manque de moyens pour aider les personnes touchées par les crimes des paramilitaires. "Cet argent doit revenir aux Colombiens. Le pays doit obtenir réparation", a déclaré Juan Pablo Corlazzoli, du Bureau de l’ONU pour les droits de l’homme. Dans les départements de l’Urabá et du Magdalena, où se trouvaient les plantations de Chiquita, des dizaines de crimes ont été commis par les paramilitaires. Parfois, les victimes n’étaient autres que les ouvriers de Chiquita.

Repères

En 1994, une loi autorise la création de coopératives de sécurité privée, les Convivir, qui, avec l’aval des autorités militaires, permettent à des groupes de civils de s’armer afin de lutter contre la guérilla de gauche. En 1997, les différents groupes paramilitaires s’unifient sous le sigle Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Les AUC, qui rassemblent alors près de 12 000 hommes armés, multiplient les exactions et les massacres à l’encontre de civils. Fin 2002, les paramilitaires entament des "pourparlers de paix" avec le gouvernement. En échange de l’impunité, 8 000 d’entre eux se démobilisent. Début 2007, le scandale de la "parapolitique" éclate : plusieurs députés et sénateurs proche du parti au pouvoir sont accusés de collusion avec les paramilitaires et sont arrêtés.

 confidentiel.net

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