25/03/2007  7 min #7769

Interview du journaliste Seymour Hersh a la radio iranienne

La rédaction en langue anglaise de l'IRIB a interviewé le journaliste vedette de Newyorker, Seymour Hersh.

Seymour Hersh est un journaliste d'investigation américain spécialisé dans la politique étrangère des Etats-Unis et les services secrets. Sa réputation a commencé en 1969 avec la révélation du Massacre de My Lai au Vietnam en novembre 1969 ce qui lui a valu le prix Pulitzer en 1970.

Dans un de ses derniers articles, Hersh a prétendu la préparation d'une intervention militaire, par le Pentagone, à l'encontre de la RII. Dans cette interview, Hersh développe ses idées dans ce domaine.

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IRIB – Nombreux sont des analystes politiques qui croient que les Etats-Unis procéderont bientôt à une offensive aérienne contre l'Iran. Ils s'accordent à dire cependant, qu'une attaque aérienne, contre des installations nucléaires ou des sites militaires iraniens ne permettrait pas au Pentagone d'assurer ses objectifs, faute d'une intervention terrestre, dans un pays montagneux comme l'Iran. A votre avis, les Etats-Unis seraient-ils en mesure de mener une guerre terrestre contre l'Iran ?

Hersh – Je fais partie de l'opposition au gouvernement de George W. Bush, et je ne participe pas évidemment aux réunions tenues à la Maison Blanche ou au Pentagone. D'ailleurs, personne ne peut deviner ce qui arrivera exactement. Certains croient que le tandem Bush-Chenez ne cherchent qu'à intimider l'Iran afin de l'obliger à abandonner son programme nucléaire, notamment son projet d'enrichissement d'uranium. Mais je ne suis pas de leur avis. A mon sens, il y a bien un plan d'attaque aérienne contre l'Iran. Mais avec ce genre d'opérations aériennes, le risque est toujours grand que l'on n'arrive pas à détruire avec précision ses cibles. Si le plan a été déjà préparé, la volonté de procéder à l'acte n'y est pas encore.

IRIB – Alors que le président Bush semble rester toujours sous l'influence des néo-conservateurs, au Congrès, surtout après la victoire électorale des démocrates, des voix s'élèvent pour critiquer sévèrement l'approche iranienne de la Maison Blanche. Les démocrates ainsi qu'un certains nombre de députés républicains de la Chambre des représentant ont signé récemment une résolution pourtant non contraignante pour s'opposer aux politiques du président Bush. Croyez-vous que les démocrates pourraient peser sur la diplomatie de la Maison Blanche ?

Hersh : Le problème c'est qu'il n'y a pas encore d'indice montrant que les démocrates puissent vraiment le faire. Certes, les résultats des élections du Congrès ont trazduit le mécontentement de l'électorat qui souhaite la fin de la guerre en Irak. Cependant, le président Bush a fait semblant de ne pas avoir saisi le message, et il a demandé aux Américains d'être patients, et de le laisser d'expédier de nouveaux renforts en Irak. En Afghanistan, la situation s'empire de jour en jour et les Taliban reviennent sur la scène. Mais n'attendez pas à que le Président Bush se mette à la table avec les élus démocrates et à demander leur avis pour pouvoir sortir du bourbier qu'il s'est créé lui-même en Irak ou en Afghanistan. Un homme comme lui ne fait ce qu'il entend bon.

IRIB – Croyez-vous que les élus démocrates iraient jusqu'à relever les prérogatives militaires que le Congrès avait accordé au président Bush, en 2002 ?

Hersh – Oui, cette décision avait été prise par le Sénat après les attentats du 11 septembre et la guerre d'Afghanistan, avant le déclenchement de la guerre contre l'Irak. Avec ses nouvelles prérogatives, le président Bush se voyait capable d'attaquer préventivement tout pays qu'il considérait comme une "menace", sans que cette menace soit "imminente". Le seul pouvoir qui reste entre les pays des membres du Congrès serait de bloquer financièrement la guerre, en jouer sur le budget militaire. Cependant, des centaines de milliards de dollars ont été dépensés depuis le déclenchement de la guerre en Irak en mars 2003. Qu'ont-ils vraiment fait de l'argent du contribuable américain ? Mystère. Certains disent que ces fonds ont été mis en réserve justement pour financer une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient. Le Sénat a effectivement le pouvoir d'abroger la loi de 2002. Mais avec une majorité fragile au Sénat, je ne sais pas si les démocrates pourraient vraiment le faire. Il n'y a même pas un vrai débat sur ce sujet. Par ailleurs, n'oublions pas qu'à l'approche des élections présidentielles de 2008, il y a déjà des démocrates qui se montrent beaucoup plus sévères que les républicains, à l'égard de l'Iran.

IRIB – Le Guide suprême de la Révolution islamique a déclaré récemment, que l'Iran s'arroge le droit de riposter toute intervention militaire, en menaçant les intérêts de l'agresseur partout dans le monde. Ne croyez-vous pas qu'en cas d'une intervention militaire contre l'Iran, les Etats-Unis auront à s'inquiéter du sort de leurs bases dans les pays de la région ?

Hersh – Oui, j'ai écrit en fait dans mon article que les dirigeants de Washington seraient en train de se préparer à plusieurs opérations parallèles contre l'Iran. Simultanément à une intervention militaire, ils établiraient des contacts avec certains milieux parmi les minorités ethniques en Iran. Les forces militaires américaines ne sont pas loin des frontières iraniennes et il est difficile dans une telle situation de prévoir clairement ce qui se produira.

IRIB – Selon certains, l'objectif principal des Etats-Unis est de vaincre la révolution islamique et de contrôler les ressources pétrolières de la région. Mais certains autres comme Jimmy Carter pensent que le renversement du régime de Saddam Hussein et la stratégie actuelle de l'administration Bush n'ont rien à voir avec le pétrole. Qu'en pensez-vous ?

Hersh – Il est difficile de répondre à cette question. Bush a attaqué l'Irak au nom de la guerre contre le terrorisme djihadiste, tandis que le régime de Saddam Hussein était plutôt un régime laïc. Par ailleurs, on n'a trouvé aucune trace des armes de destruction massive en Irak. Il ne faut pas oublier non plus que l'un des objectifs stratégiques de Bush dans la région est de renforcer la position d'Israël par rapport aux pays arabes et musulmans du Moyen-Orient. Et enfin, Bush et ses conseillers prétendent aussi lutter pour la démocratie. Les Iraniens peuvent dire qu'ils ont le régime le plus démocratique de toute la région, mais Bush préfère coopérer avec les pays non démocratiques de la région comme la Jordanie, l'Arabie saoudite ou l'Egypte. Il s'agit là une contradiction évidente.

IRIB – Certains analystes disent que pour l'administration Bush, le programme nucléaire civil de l'Iran n'est qu'un prétexte pour préparer un affrontement direct contre la RII. Etes-vous de cet avis ?

Hersh – L'Iran a dit haut et fort qu'il n'a pas du tout l'intention de se doter de l'arme atomique. Par ailleurs, les inspections de l'AIEA dans les sites nucléaires iraniennes le confirment. Mais Bush et Cheney disent que l'Iran aura bientôt sa bombe et qu'il la remettra aussitôt à des groupes comme le Hezbollah libanais. Ce dernier transférera la bombe aux Etats-Unis, et là ils organiseront un attentat terroriste nucléaire. Voilà ce qu'ils tentent de suggérer à l'opinion publique américaine.

IRIB – les déclarations des responsables américains nous semblent parfois tout à fait contradictoires. Le vice-président Dick Cheney a dit récemment, au cours de la visite en Australie, que quant à l'Iran toutes les options sont encore sur la table, faisant ainsi allusion à l'option militaire. La Maison Blanche l'a démenti par la voie de son porte-parole pour dire que la Maison Blanche n'a aucune intention de mener une opération militaire contre l'Iran. et la Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice parle parfois de la reprise du dialogue avec Téhéran et dit parfois que l'éventualité d'une intervention militaire ou un changement du régime n'est pas exclue. Comment évaluez-vous cette contradiction ?

Hersh – Vous me demandez par là de vous dire ce qui ce passe dans la tête de ces gens-là. Dick Cheney est un homme très très fort dans l'administration de Bush. Mlle Rice, elle aussi est en train de devenir un élément très puissant de la Maison Blanche. Cependant je préfère croire à ce que dit Cheney, car c'est lui qui a plus d'influence sur le président Bush. Le porte-parole de la Maison Blanche a démenti l'existence de tout plan d'attaque contre l'Iran, mais je sais que ces plans existent depuis au moins deux ans. Il faut donc attendre pour savoir quelle sera la prochaine démarche de l'administration Bush.

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