25/03/2007  11 min #7775

Changer le Travail, Changer la Vie !

La confusion est à son comble. Alors que tout a changé avec notre entrée dans l'ère de l'information et que la précarité s'étend, on entend toujours les mêmes vieux discours, par les mêmes vieux partis avec leurs vieilles idées et leurs élites dépassées.

La confusion est à son comble. Alors que tout a changé avec notre entrée dans l'ère de l'information et que la précarité s'étend, on entend toujours les mêmes vieux discours, par les mêmes vieux partis avec leurs vieilles idées et leurs élites dépassées. Plus personne ne sait quoi penser dans ce marché des idéologies jusqu'à une extrême gauche éclatée repliée sur leurs petites organisations ridicules et incapables de construire une véritable alternative. La "valeur-travail" n'a jamais été aussi haute, au moment où le travail manque et où il a perdu toute valeur au profit des boursicoteurs et de la finance internationale. Impossible de revenir en arrière pourtant quand le travail ne se mesure plus au temps salarié car le travail immatériel n'est pas linéaire, sa production n'est pas proportionnelle au temps passé et, par dessus le marché, contrairement au travail forcé de la "force de travail", le travail immatériel et créatif ne peut réussir sans "motivation", sans plaisir de travailler ! Bien sûr, c'est loin d'être le cas partout, mais de plus en plus quand même, une majorité de travailleurs aiment leur travail et se battent pour que leur entreprise ne ferme pas, même si cette exigence de motivation peut redoubler l'aliénation aussi et rendre la subordination salariale absolument insupportable d'hypocrisie.

La revendication d'un revenu garanti de plus en plus nécessaire n'a aucune chance de s'imposer dans le contexte actuel, du moins pas avant que les représentations du travail aient changé, devenus valorisation de la personne et non plus devoir de subordination, si souvent humiliant. Pour changer cette représentation du travail comme "désutilité" ne servant qu'à s'enrichir, n'étant fait que pour l'argent alors que la vraie vie est ailleurs (dans les loisirs et la distraction) il faudrait arrêter de réclamer sa réduction comme d'un mal nécessaire pour exiger au contraire un meilleur travail, de meilleures conditions de travail pour ne plus perdre sa vie à la gagner mais faire d'un mal un bien, pouvoir être heureux dans son travail et améliorer ainsi notre qualité de vie considérablement puisque le travail représente la plus grande partie de notre vie.

Changer le travail pour changer la vie, voilà un slogan qui pourrait rassembler tous les travailleurs, revenir au qualitatif, aux conditions de travail, et pas seulement au quantitatif du temps de travail et du salaire. Une fois persuadés qu'on peut faire du travail autre chose qu'une peine exténuante et qu'on peut laisser l'autonomie exprimer les capacités de chacun et valoriser ses compétences, le revenu garanti s'imposera de lui-même ainsi que la nécessité d'institutions pour favoriser développement humain et travail autonome (c'est-à-dire aussi la production locale dans une économie en partie relocalisée). Il faut changer le travail, pas le réduire mais exiger d'être mieux traités, de pouvoir s'épanouir dans son emploi comme un droit universel et passer enfin du travail forcé au travail choisi, redonnant ainsi toute sa valeur au travail comme valorisation des travailleurs ; question de dignité humaine et de reconnaissance, d'égalité et de liberté concrète. Il faut donc abolir le droit de torture au travail, faire que toute profession soit désirable pour sa rémunération comme dans sa pratique quotidienne. Peut-on en espérer une convergence des luttes jusqu'à une possible victoire et une complète redistribution des cartes (bien loin de la campagne actuelle) ?

"C'est par un jeu maladif sur les mots en cherchant des justifications étymologiques à des rapprochements fortuits que les mythes se sont construits. Le mythe est donc issu du travail de la langue" (Michel Boccara, La part animale de l'homme p21, Anthropos, 2002).

Lorsqu'une fausse étymologie est reprise partout, ce n'est jamais sans raison. On ne passe jamais son temps à répéter des étymologies justes ! Ainsi religion ne vient pas de religere comme on le répète tout le temps, mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, de relegere signifiant exécuter scrupuleusement (religieusement) les rites et non pas relier les hommes, sens que les chrétiens ont voulu imposer depuis Lactance et Tertullien (voir Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes). De même, si le mot "travail" vient sans doute effectivement de tripalium, l'erreur ici c'est de prétendre que ce trépied désignerait un instrument de torture sous prétexte que la première occurrence connue du mot tripallium concernait un instrument de torture, peu utilisé et vite oublié, en forme de trépied, en effet. Le vrai trépied dont il est question dans le "trabar" servait à immobiliser le sabot du cheval pour le travailler. On appelle toujours dans le sud-ouest "travail" le petit abri pour les chevaux qui jouxte la maison et sert théoriquement au soin de ses sabots. C'est peut-être à cause des chevaux que le sens de travel en anglais désigne le voyage, en tout cas, le sens du travail c'est plutôt l'immobilisation, la table de travail de l'accouchement.

Pourquoi va-t-on chercher cette fausse étymologie pour dire que le travail est une torture alors qu'on ne manque pas de mots pour désigner la peine laborieuse (le chagrin) ? C'est, sans doute que cet aspect est devenu insupportable et qu'on a quitté ce temps où le travail devait être souffrance, sacrifice pour racheter nos fautes, où la valeur mesurait la peine d'Aristote à Thomas d'Aquin et jusqu'à Adam Smith compris. Marx avait déjà souligné pourtant que c'était complètement dépassé à l'époque des machines où, ce qui fait la valeur c'est le temps de travail (de machine) et pas du tout le fait que l'ouvrier soit triste ou joyeux. Inutile de changer de travail quand on commence à y trouver du plaisir pour lui garder sa valeur comme le faisaient les premiers bénédictins ! Aujourd'hui, c'est pire encore car le plaisir qu'on y prend donne de la valeur au travail, comme dans l'ancien artisanat ou pour les artistes. C'est ce qui rend d'autant plus insupportable la souffrance au travail et tout ce qui reste de l'esclavage dans le salariat.

Il ne s'agit pas d'obtenir une soi-disant "propriété collective" des biens de production qui ne changent rien au fonctionnement de l'entreprise et à notre vie de tous les jours, mais bien d'une réappropriation de nos vies et de nouveaux droits sur notre lieu de travail, abolissant la séparation du travail et de la vie (déjà bien entamée). Plutôt que de rester crispé sur des avantages acquis d'un autre siècle, voilà une nouvelle "utopie positive" qui permettrait de reprendre l'offensive pour acquérir de nouveaux droits, sans rester enfermés dans le productivisme et les simples augmentations de salaire.

En revalorisant la qualité de la vie sur le lieu de travail, la décroissance matérielle semblera dès lors beaucoup moins menaçante et la relocalisation de l'économie devrait aller de soi mais il faut déjà opérer cette conversion du travail comme peine au travail comme valeur, du travail subi au travail choisi, si on veut pouvoir sortir de la démagogie comme de l'impuissance.

L'utopie d'un travail épanouissant et de la qualité de la vie au travail ne consiste pas à s'imaginer qu'un travail puisse être de tout repos et sans problème, chaque travail reste un défi épuisant et, les programmeurs le savent mieux que d'autres, on passe son temps à corriger ses erreurs, sans compter les tensions relationnelles inévitables, le manque de reconnaissance, les rivalités, les échecs. Toutes les tâches, même les plus nobles, ont leurs servitudes, et on n'a jamais tout ce qu'on mérite mais il ne s'agit pas de revendiquer une jouissance sans fin, seulement de conquérir de nouveaux droits et, surtout, changer la nature du travail. Ce n'est pas gagné dans la situation actuelle mais c'est un objectif de luttes qui pourrait réunir tous les travailleurs et nous sortir de l'ornière en dessinant des chemins nouveaux.

Nouveau ? Pas tant que ça. Ce n'est pas le fruit d'une imagination singulière et d'une illumination soudaine qui ne ferait qu'ajouter à la confusion. C'est notre situation matérielle, l'évolution de la technique et le devenir immatériel de l'économie qui obligent à reconsidérer le travail du côté du plaisir plus que de la peine, mais ce n'est pas vraiment une découverte pour les psychiatres. Les fous ici nous ont précédés puisqu'après les avoir enchaînés pour les forcer à travailler dans des conditions inhumaines, l'ergothérapie a renversé toutes les valeurs en montrant que le travail avait une fonction curative. Bien sûr, ce n'était plus le même travail, ce n'était plus un travail contre nous mais pour nous. Cette démonstration aurait dû contaminer toute la société mais les conditions n'étaient pas remplies à l'époque où l'informatique balbutiait à peine et n'avait pas pénétré tous les bureaux et les usines aussi.

La situation actuelle diffère du tout au tout. On fait comme si le travail avait toujours été valorisé (Travail, Famille, Patrie) mais, à part dans les cours d'éducation civique ou à l'Eglise, le travail a toujours été méprisé plutôt, depuis la nuit des temps jusqu'aux années 60 au moins. Ensuite, ce qui a commencé à rendre le travail désirable c'est de venir à manquer. Ce n'est pas la seule raison car dans le chômage on découvrait aussi l'exclusion des échanges et des liens sociaux, donc la part positive du travail, part occultée par la fatigue quotidienne et les difficultés rencontrées, mais c'était aussi le signe que la nature du travail avait changé devenu plus humain. D'autres signes manifestent que le travail n'est plus la malédiction divine de la Bible, c'est non seulement le travail des femmes qui gagnent leur autonomie en sortant du foyer mais surtout les riches qui désormais répugnent à des loisirs démocratisés et recherchent plutôt les postes de pouvoir, en tout cas une activité professionnelle qui les occupe à temps plein même si rien ne les y oblige.

Non, le travail n'est pas forcément la torture qu'on dit, non, on ne peut se passer trop longtemps de travailler pour les autres et d'être reconnu pour son travail, on ne travaille pas seulement pour l'argent. Les apologies de la paresse ne sont que de bonnes blagues pour les enfants ou le rêve de repos d'un corps fatigué, là n'est pas la question, il faut lutter contre les mauvaises conditions de travail, lutter contre l'exploitation, lutter contre l'esclavage mais pour changer le travail et faire enfin un travail qu'on aime. Utopie ? Pas tant que ça, c'est ce que prétend faire déjà tout directeur des ressources humaines. Baratin ? Oui, souvent, mais ce n'est pas du baratin qu'une entreprise constitue une véritable communauté humaine et qu'elle a besoin de faire équipe pour fonctionner correctement. La revendication d'aimer son travail pourrait se révéler beaucoup plus subversive que de lutter contre le travail ou de vouloir le réduire. C'est un changement plus profond, changement de point de vue sur le monde, même si tout semble rester en place dans un premier temps, premier pas vers une économie plus écologique, moins productiviste et orientée vers la qualité de la vie.

Si le travail doit être épanouissant et faire partie de notre vie, il faudra créer pour cela des institutions comme les coopératives municipales pour assurer l'orientation des individus, la valorisation de leurs compétences et tous les services d'un développement humain. C'est le travail autonome qui en sera favorisé grâce à ces structures collectives mais il faudra assurer ainsi une production effective, il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Tout cela paraîtra trop irréaliste mais ça l'est sans doute moins que les combats d'arrière garde déjà perdus des syndicats ou les revendications d'un plein emploi qui laisse tant d'exclus, sans parler d'une nouvelle réduction du temps de travail ! Le travail a changé, c'est à nous de changer maintenant. Ne laissons plus les entreprises être des lieux inhumains et sans âme. Changeons le travail, du moins notre regard sur le travail comme fonction sociale, sur l'entreprise comme lieu de vie et sur les travailleurs comme compagnons d'aventure. Est-ce possible ? Est-ce désirable ? Est-ce nécessaire ? La réponse ne fait pas de doute, encore faut-il le vouloir et se battre pour : la liberté ne se prouve qu'en acte. Il faut savoir que ce n'est qu'un premier pas pour d'autres conquêtes, pour sortir du productivisme capitaliste et pour des alternatives locales à la globalisation marchande.

Il faut reprendre tout à zéro, abandonner les vieux schémas pour revendiquer un travail épanouissant, porter nos forces sur les conditions de travail et la qualité de la vie, changer le travail plutôt que le réduire, conquérir son autonomie et se réapproprier son temps de travail. C'est la véritable clef du bonheur et de la santé, beaucoup plus que le "pouvoir" ou l'argent. C'est le point qu'il faudrait mettre en valeur, en déconsidérant concurrence, profit, richesse et même les loisirs un peu vides qu'on nous fait miroiter, pour faire du travail le meilleur des loisirs ! Ensuite il deviendra naturel d'assurer un revenu garanti et de créer des coopératives municipales. Bien sûr c'est pas gagné et ce n'est pas facile, loin de là, mais ce n'est pas impossible non plus à notre époque qui en a tant besoin, simple adaptation des nouveaux rapports de production aux nouvelles forces productives immatérielles. Il me semble, c'est une idée que je propose (sera-t-elle bien comprise et peut-être est-ce folie ?) qu'un tel changement de point de vue en faveur d'une "ergothérapie" généralisée pourrait nous guérir de quelques unes de nos folies...

Jean Zin 21 mars 2007

 Son site

 planetenonviolence.org

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