19/08/2019 les-crises.fr  11 min #160521

La Grande-Bretagne, un « Royaume-Uni » pour combien de temps encore ? Par Johanna Ross

Source :  Consortium News, Johanna Ross, 06-06-2019

Le 6 juin 2019

Les élections européennes soulèvent des questions sur l'intégrité territoriale du Royaume-Uni, écrit Johanna Ross.

Londres, capitale de l'Angleterre et, pour l'instant, du Royaume-Uni (Colin, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

Par Johanna Ross

à Edimbourg, Ecosse

Exclusivité pour Consortium News

Il s'agissait d'élections qui n'étaient pas censées avoir lieu, mais qui se sont avérées très importantes pour la politique britannique. Le Royaume-Uni devrait déjà avoir divorcé de l'UE selon la promesse du Premier ministre Theresa May disant que : « Brexit signifie Brexit ». Mais son leadership s'avérant ne pas être si « fort » ni « stable », la Grande-Bretagne se retrouve toujours dans l'Europe. Par conséquent, le 23 mai, les électeurs du Parlement européen ont saisi l'occasion d'envoyer un message retentissant aux partis centristes traditionnels : le duopole qui a dominé la politique britannique depuis la Seconde Guerre mondiale - les conservateurs et les travaillistes - n'existe plus. Le changement est en marche.

Malgré deux années de négociations désastreuses de Brexit avec une série d'accords bloqués par les élus de Westminster et des efforts considérables de la part des partisans du Maintien (dans l'UE), dont l'ancien Premier ministre Tony Blair, pour obtenir un second référendum sur le Brexit, l'infatigable Nigel Farage a mené son parti pro-Brexit à une victoire décisive, avec 32 % des voix obtenues. Pris au pied de la lettre, ce résultat renforce le résultat du référendum européen de 2016 par un message clair : le Royaume-Uni veut sortir de l'Europe.

Nigel Farage : le Parti pro-Brexit conduit à la victoire décisive. (Gage Skidmore, CC BY-SA 2.0, Wikimedia Commons)

L'Écosse toujours plus pro-européenne

Mais une carte du taux de participation électoral raconte une autre histoire pour l'Écosse. Comme prévu, le Parti national écossais [SNP, NdT] au pouvoir, qui s'est tenu sur une position Maintien, préconisant un second référendum, a fait un score historique. Leur résultat est passé de 29 % à 38 % lors des dernières élections européennes, il y a cinq ans. Le parti pro-Brexit, en revanche, a obtenu un peu moins de 15 pour cent. Comme l'a conclu le Premier ministre écossais Nicola Sturgeon, l'Écosse a renforcé sa position pro-UE.

Depuis l'époque de  l'Auld alliance avec la France [Alliance passée en 1295 pour contrer l'Angleterre, NdT], bien avant l'unification avec l'Angleterre en 1707, l'Écosse a eu ses propres relations avec le continent. Des liens avec des universités telles que Leyde aux Pays-Bas et des liens commerciaux avec Bruges, en Belgique, et Gdansk, en Pologne, étaient en place bien avant que des liens similaires soient établis avec l'Angleterre.

L'Écosse a toujours été plus pro-européenne et ce résultat des élections l'a souligné. Il est déjà salué comme le catalyseur nécessaire pour un deuxième référendum sur l'indépendance de l'Écosse ou « IndyRef2 », comme on l'appelle plus près de chez nous. Les nationalistes le réclament depuis qu'ils ont été défaits à 45 % contre 55 % lors du vote de 2014. Mais Sturgeon est resté sur ses positions, disant que le moment n'était pas propice, comme l'ont confirmé les sondages. Cependant, moins d'une semaine après les élections européennes, le SNP a déjà publié  un nouveau projet de loi sur l'indépendance, déclarant que le résultat des élections européennes est un « nouveau départ » pour Indyref2. Une date limite a été fixée à mai 2021.

Sturgeon : Renforcement de la position pro-UE de l'Écosse. (Wikimedia Commons)

Westminster peut bien sûr essayer de bloquer tout deuxième référendum. Au moins trois des candidats au remplacement de Mme May ont dit qu'ils le bloqueraient. Mais cela pourrait avoir de graves répercussions. De plus en plus d'écossais pensent que Londres ne s'intéresse plus à leur point de vue sur quoi que ce soit, ce que les négociations sur le Brexit ont largement démontré. Comme l'historien écossais Tom Devine  l'a avancé, les pourparlers du Brexit ont démontré que toute idée d'une union fondée sur le « partenariat et le respect mutuel » est « une fraude et un mythe ». Dans ces conditions, il n'est pas exagéré d'envisager une situation de type Catalogne dans laquelle l'Écosse va de l'avant avec un second référendum malgré Westminster.

Dans un tel cas, l'Écosse pourrait obtenir plus de soutien de la part de ses alliés de l'UE que la Catalogne. Après tout, la réputation de la Grande-Bretagne en Europe a été gravement entachée à cause du Brexit, et l'UE est sans doute plus susceptible de soutenir un pays intéressé à rejoindre l'Europe que celui qui l'a rejetée. En tout cas, ce ne serait pas la première fois que l'Écosse ferait une telle chose. En 1320, la Déclaration d'Arbroath fut envoyée au Pape, signée par 50 nobles écossais et proclamant l'indépendance de l'Écosse.

La copie « Tyninghame » de la Déclaration d'Arbroath de 1320. (barons écossais via Wikimedia Commons)

Ensuite, il y a la question du leadership. Contrairement à son homologue de Westminster, Sturgeon est largement reconnue et respectée en Écosse. Contrairement à Mme May, elle a fourni la seule chose que les citoyens apprécient chez un leader : la cohérence. Malgré les critiques pour ne pas avoir provoqué un autre référendum jusqu'à présent, elle s'en est tenue à sa stratégie - et cela a payé. La prochaine campagne pour l'indépendance sera certainement plus efficace que la précédente. Il a été largement reconnu que les arguments économiques étaient le maillon faible de la campagne en faveur de l'indépendance en 2014. Conscients de cela, les nationalistes sont en train de publier un guide sur le sujet, qui sera distribué à 2,4 millions de foyers écossais cet été.

Tous les indicateurs indiquent à présent un Brexit sans accord, ce qui ne fera que renforcer la position des nationalistes. Cela pourrait également créer le chaos dans une autre partie du Royaume-Uni, l'île d'Irlande.

Frontières de l'Irlande

Partir sans accord serait le pire des scénarios pour quiconque se souvient des troubles en Irlande du Nord. Il est à craindre qu'une frontière dure entre le Nord et le Sud - qui s'établirait si l'Irlande du Nord, en tant que partie du Royaume-Uni, quittait l'UE - avec toutes les douanes et contrôles douaniers stricts que l'UE exige à ses frontières - ne déclenche un retour aux temps des explosions et des tirs et ne compromette tout ce que  l'accord du vendredi saint a permis de faire. Ce serait la provocation ultime pour les groupes paramilitaires nationalistes irlandais qui croient en une Irlande unie.

Une frontière dure serait donc considérée comme un retour aux jours sombres d'un conflit, dont personne ne veut qu'elle coûte à nouveau autant de vies qu'au XXe siècle. En effet, les temps ont changé, comme le paysage politique de l'île d'Émeraude. La République d'Irlande a bénéficié de l'adhésion à l'UE et à la zone euro et, pour beaucoup d'habitants du Nord, elle a semblé être un modèle de prospérité économique. En revanche, l'Irlande du Nord n'a même pas de gouvernement - l'accord de partage du pouvoir entre nationalistes et unionistes ayant été rompu il y a deux ans - et les perspectives économiques sont assombries par le Brexit.

La frontière entre le Royaume-Uni et la République d'Irlande traverse cette route à Killeen, marquée seulement par une limite de vitesse en km/h. L'Irlande du Nord utilise le mph [miles per hour, NdT]. (Oliver Dixon, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons)

Ces facteurs - ainsi que le fait qu'une majorité d'Irlandais du Nord a voté en faveur du maintien dans l'UE lors du référendum de 2016 - ont donc soulevé une idée qui aurait semblé impensable il y a quelques années à peine : celle de la réunification de l'Irlande. Plus tôt cette année, plusieurs ministres du cabinet britannique  ont évoqué une perspective « très réelle » qu'un Brexit sans accord conduirait à un vote sur la réunification de l'Irlande.  Les sondages, tant au nord qu'au sud de la frontière, indiquent que les deux côtés souhaitent de plus en plus que cela se produise. Certes, l'unification de Irlande entraînerait naturellement sa propre série d'obstacles et ce n'est pas une chose qu'on peut compter voir demain. Il est néanmoins remarquable qu'elle fasse malgré tout l'objet de discussions.

Tout cela soulève la possibilité réelle de la dissolution du Royaume-Uni. Une direction médiocre et incohérente de la part de Mme May et un parlement de Westminster qui a fait passer la politique partisane et les intérêts personnels avant la réalisation du Brexit ont créé la crise actuelle, qui à son tour a été un cadeau aux nationalistes écossais et irlandais.

Ce qui était auparavant considéré comme une option risquée et instable pour certains électeurs - l'indépendance - semble sans aucun doute plus sûr aujourd'hui étant donné le bourbier du Brexit. Les électeurs doivent maintenant peser le pour et le contre et voir s'il est dans leur intérêt de rester au sein d'une union qui ne sert plus le peuple écossais (certains diraient qu'elle ne l'a jamais servi).

Comme l'a dit Robert Burns, le barde écossais du XVIIIe siècle : « Je me demande depuis longtemps quels sont les avantages que l'Écosse tire de cette soi-disant Union qui peuvent contrebalancer l'anéantissement de son indépendance et de son nom même ? » Plus de 200 ans plus tard, les Écossais se posent toujours la même question.

Johanna Ross est une journaliste indépendante basée au Royaume-Uni.

Source :  Consortium News, Johanna Ross, 06-06-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 les-crises.fr

 Commenter

Référencé par :

1 article