29/09/2020 tlaxcala-int.org  19 min #179798

Quelques secrets de l'année 1989 révélés : comment les Usa ont renoncé à lancer un missile Cruise depuis la base de Comiso et une dispute a éclaté dans l'Otan sur le recours à l'arme nucléaire

 Antonio Mazzeo

Le 8 décembre 1987, le Président d'alors des Etats-Unis d'Amérique, Ronald Reagan, et le chef d'État soviétique Mikhaïl Gorbatchev signaient à Washington le traité historique FNI pour éliminer les armes nucléaires à moyenne portée installées en Europe, y compris les missiles de croisière Cruise que l'US Air Force avait déployés sur la base aérienne de Comiso (Raguse) en Sicile. Au cours de l'été 1989, la population de l'Allemagne de l'Est se souleva contre le régime : s'ensuivirent soudainement la chute du Mur de Berlin et, le 3 octobre 1990, la réunification de l'Allemagne, en attendant l'effondrement du Pacte de Varsovie et de l'URSS elle-même.

Ce furent des années extrêmement complexes, dans lesquelles les frictions politico-militaires même au sein de l'Alliance Atlantique s'envenimèrent, en particulier du fait des visions opposées au sujet de l'utilisation des armes nucléaires. Ce qui contribua spécialement à aigrir les esprits, ce fut un exercice militaire réalisé par l'OTAN du 24 février au 9 mars 1989, c'est-à-dire après la signature du traité FNI et seulement quelques mois avant le séisme qui devait modifier la carte géographique de l'Europe centre-orientale.

Appelé Winter-Cimex 89 (Winter Exercise and Civil-Military Exercise), l'exercice avait pour but de simuler la riposte alliée dans les domaines terrestre, naval et aérien à la suite d'une attaque des forces militaires oranges (URSS et pays membres du Pacte de Varsovie) contre l'Allemagne de l'Ouest, l'Italie du Nord-Est et la Turquie, avec usage généreux d'armes nucléaires de première et de deuxième frappes (bombardiers stratégiques, systèmes de missiles à moyenne portée et obus de courte portée).

Ce qui devait être des jeux de guerre de routine (Wintex-Cimex avait lieu en Europe depuis la moitié des années 60), généra pourtant un conflit entre quelques-uns de ses principaux acteurs : d'un côté, les USA et la Grande-Bretagne, absolument pas gênés de recourir à l'usage massif du nucléaire à l'intérieur même des frontières de l'OTAN, de l'autre, l'Allemagne du chancelier Helmut Kohl, convaincu que le processus de réunification avec les cousins de l'Est ne pouvait plus être différé, et de l'impossibilité de soutenir une guerre nucléaire « limitée » contre la RDA.

Les relations interalliées étaient rendues encore plus critiques par les prises de position de certains pays d'Europe du Nord, de moins en moins convaincus par l'utilisation du nucléaire, ou de la Turquie, mécontente de l'attitude des partenaires européens, peu portés à s'engager en sa faveur au cours de l'agression - simulée - des troupes soviétiques. C'est le numéro du 1er mai 1989 de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel qui révéla au grand public les contours d'une des crises les plus dramatiques vécues dans le cadre de l'OTAN : USA et Royaume-Uni avaient décidé de larguer trois têtes nucléaires sur l'Allemagne de l'Est pour s'opposer à l'avance des tanks du Pacte de Varsovie, plus un deuxième round avec le lancement d'armes nucléaires tactiques sur le territoire ouest-allemand. Ces options, qui n'avaient pas été discutées avec Bonn, avaient provoqué la fureur du chancelier Helmut Kohl.

L'exercice avait préfiguré un scénario choc : dévastation du territoire des deux Allemagnes et d'une partie de l'Europe centrale, avec un nombre impressionnant de morts parmi la population civile. C'est pourquoi les autorités allemandes avaient quitté, en signe de protestation, le centre de commandement de Winter-Cimex, présentant ensuite de façon formelle une demande de révision des doctrines nucléaires de l'OTAN sur la riposte flexible et l'usage éventuel des têtes à court rayon d'action sur son territoire. Ce qui est certain, c'est que l'édition 1989 fut le dernier maxi-exercice interallié de ce type, car les scénarios simulés « étaient devenus de plus en plus anachroniques et improbables », comme l'expliquerait le commandement de l'OTAN en mai 1990.

L'Italie et les trois petits singes : Je ne vois pas, je n'entends pas, je ne parle pas...

Les révélations du Spiegel sur le conflit vécu à Bruxelles au cours de l'hiver qui précéda la chute du Mur de Berlin furent rapportées en Italie par le Corriere della Sera le 12 mai 1989 et, le lendemain, par la Repubblica. « Une vieille histoire sur laquelle il n'y a pas lieu de faire de déclarations » : ce fut le commentaire laconique de la Farnésine [siège du Ministère des Affaires Etrangères], qui démentit « avoir tapé du poing sur la table » au siège de l'OTAN, contrairement à ce qu'avait affirmé le Corriere. « Nous ignorons qui peut avoir eu recours à une telle image », ajoute l'agence de presse du Ministère des Affaires Etrangères.

Deux documents restés top secret pendant des décennies, retrouvés dans les archives personnelles du sept fois Président du Conseil Giulio Andreotti (à l'époque de Wintex-Cimex ministre des Affaires Etrangères) - archives données en 2007 à la Fondation « Luigi Sturzo » de Rome - mettent en évidence un tableau tout à fait différent : l'Italie eut en fait beaucoup à redire sur les buts et méthodes selon lesquels furent conduits les jeux de guerre nucléaires, et, à Washington, certains pensèrent même dans un premier temps à utiliser comme arme de première frappe les missiles Cruise de Comiso.

Les deux documents sont consultables on line dans le Wilson Center Digital Archive de New York, qui a développé un projet de recherche sur l'Histoire de la Guerre Froide en collaboration avec l'Université Roma Tre. Le premier d'entre eux est une lettre (classée secrète) envoyée le 10 mars 1989 au ministre des Affaires Etrangères Andreotti par le Représentant permanent de l'Italie auprès du Conseil Atlantique, qui était alors l'ambassadeur messinois Francesco Paolo Fulci (plus tard secrétaire général du CESIS - Comité pour la Sécurité et le Renseignement). « Monsieur le Président, l'exercice Wintex-Cimex 89, qui a duré 2 semaines, s'est conclu sans le traditionnel communiqué des Etats-Unis aux Alliés disant que le chef du bloc Orange avait demandé la paix, contraint de prendre acte de l'efficacité de la stratégie de la dissuasion de l'OTAN », commençait le diplomate. « Cette conclusion inhabituelle, au-delà de la fiction de l'exercice, plonge ses racines dans une réalité qu'on soupçonnait depuis quelque temps, et que Wintex a mise à nu. Si le but de l'exercice était de vérifier les procédures de consultation interalliée, dans la réalité - notamment dans la phase nucléaire -, les pays ont cessé de participer au jeu, adoptant des attitudes dictées par des préoccupations politiques réelles et contingentes ».

« En d'autres termes - ajoutait Francesco Paolo Fulci -, Wintex s'est transformé en une sorte de répétition générale du fonctionnement de la stratégie de la riposte flexible, ce qui constitue une contradiction dans les termes : en effet, la dissuasion nucléaire est trop liée à des perceptions du malheureux moment réel pour admettre des répétitions dans l'abstrait. Et même, plus la dissuasion perd ses nécessaires contours d'incertitude et d'ambiguïté, moins elle devient crédible ».

La Sicile comme grand porte-avions nucléaire

Dans sa missive, le représentant italien à l'OTAN décrivait les problèmes et les méfiances interalliées surgies au cours des jeux de guerre, révélant ainsi que l'intention des militaires était initialement de simuler une attaque en territoire soviétique avec les missiles nucléaires installés en Sicile. « Le premier point de dissension a surgi lorsqu'on a envisagé de frapper, lors du premier emploi du nucléaire, des objectifs sur le territoire de l'URSS, et pas seulement sur celui des pays satellites », écrivait Fulci. « En cette circonstance, les États-Unis se sont soustraits à cette responsabilité (ce qui nous en a à notre tour exemptés, étant donné qu'était prévu l'emploi d'un Cruise depuis Comiso...), à laquelle la Grande-Bretagne, par contre, n'a pas voulu renoncer. Les appels de certains Européens à un signal d'implication immédiat et plus fort des États-Unis, pour souligner l'indissolubilité de la sécurité transatlantique, n'ont eu aucun effet. Washington n'a pour sa part accepté de participer à l'attaque contre l'URSS avec ses armes qu'elle a déployées en Europe, qu'au cours seulement de la seconde frappe (appelée follow-on) ».

« L'autre problème est sorti des modalités d'emploi des armes à rayon d'action plus court. Leur utilisation avait été prévue par le SACEUR (le Commandement Suprême des Forces Alliées en Europe, NdA), lors de la deuxième rappe nucléaire, caractérisée par des objectifs de combat militaire et pas seulement de dissuasion. Les Allemands, qui avaient déjà déploré la localisation d'un nombre relativement élevé d'objectifs sur le territoire de l'Allemagne Orientale, ont ensuite vivement protesté lorsqu'ils se sont aperçus que le même SACEUR avait prévu l'emploi de pièces d'artillerie militaires sur le territoire de la RFA (et, j'ajoute, de la Turquie). Et, pour souligner que leur désaccord ne se limitait pas à la fiction de l'exercice, le gouvernement a retiré - selon ce qui nous a été dit par une voie très confidentielle - le Secrétaire d'Etat à la Défense qui dirigeait le Centre de décision de Bonn, confiant la participation allemande à la partie finale du Wintex à de simples fonctionnaires. Les Allemands sont ensuite parvenus, par un artifice de l'exercice, à faire éliminer deux objectifs sur leur territoire. Ce qui laissait à découvert la Turquie, dont le Représentant permanent a présenté une protestation formelle, regrettant que, uniquement dans le cas turc, l'opinion du pays le plus directement concerné par l'opération n'allait pas être dûment prise en compte, contrairement à ce que prescrivent les General Political Guidelines sur le nucléaire ».

Les tensions interalliées ne s'étaient pas atténuées par la suite. « En somme, donc, l'Alliance a dû constater à quel point serait problématique - dans la réalité - l'emploi des armes nucléaires courtes, en particulier sur le territoire occidental et sur celui de l'Allemagne de l'Est », ajoutait Francesco Paolo Fulci. « Cela a été stigmatisé sans ambiguïté par le Représentant permanent américain, qui a dénoncé l'attitude européenne comme un élément intrinsèque de faiblesse de la stratégie de la riposte flexible. En effet, la tranche basse de cette stratégie n'a pas pu trouver d'application et certains - en premier lieu des Américains - pensent qu'un morceau de l'actuelle doctrine alliée a été perdu, avec des conséquences difficilement prévisibles, du moins tant que subsisteront en Europe les équilibres conventionnels actuels ».

Cerise sur le gâteau, les timides aspirations à la dénucléarisation manifestées par quelques pays membres de l'OTAN du Nord de l'Europe. « La Norvège n'a communiqué aucune possibilité d'accueillir, même en temps de guerre, des armes nucléaires, et le Danemark ne l'a fait que tardivement, en relation avec la seconde frappe », rapportait l'ambassadeur messinois. « Cela augmente les interrogations sur la solidarité effective qui viendrait du côté de ces Alliés - toujours en première ligne quand il s'agit d'obtenir des avantages et des postes - en cas de malheureuse nécessité. Le collègue danois a par ailleurs jugé bon de me rendre visite pour éclairer la position de son gouvernement et assurer que - en cas d'hostilités - le Danemark participerait pleinement à la défense commune. J'ai jugé bon, Monsieur le Président, de vous mettre personnellement au courant de ces appréciations, étant donné l'évidente perméabilité entre fiction et réalité, et vu la morale qu'on peut en tirer dans une matière où - comme l'a rappelé en fin d'exercice Woerner (Manfred Hermann Woerner, secrétaire général de l'OTAN de 1988 à 1994, NdA) - le dernier mot reviendrait de toute façon toujours aux puissances nucléaires ».

L'échec des doctrines nucléaires délirantes de l'OTAN

Le second document, beaucoup plus long, retrouvé dans les archives digitales du Wilson Center de New York, est la note produite le 2 mai 1989 par la Direction Générale des Affaires Politiques - Bureau 4 OTAN du Ministère des Affaires Etrangères - intitulée L'Exercice Wintex-Cimex 89 dans ses aspects nucléaires : déroulement, particularités et implications, classée « très réservée ».

« Comme à l'ordinaire, les organes collégiaux compétents de l'OTAN produiront, dans les prochaines semaines, un Rapport qui fera le point sur le déroulement d'ensemble de l'exercice et sur les enseignements à en tirer », commençait le rédacteur. « Entre-temps, les occasions n'ont pas manqué pour des échanges de vues et des réflexions à chaud, aussi bien au siège national qu'interallié (concernant tout spécialement les thématiques nucléaires), qui permettent de formuler un certain nombre d'observations sur quelques aspects et implications politico-militaires significatifs qui ont caractérisé l'exercice en question ».

« Wintex-Cimex se déroule régulièrement tous les deux ans, sur une durée d'environ deux semaines, dans le cadre d'un scénario de crise politique et guerrière complexe, dont la caractéristique fondamentale ne consiste pas tant dans la vraisemblance que, plutôt, dans la possibilité que, dans le cadre d'un tel schéma, on puisse expérimenter et contrôler la vaste gamme de délicates et complexes procédures opérationnelles et consultatives inter-atlantiques - de nature politique et militaire - que l'Alliance serait conduite à appliquer dans la malheureuse hypothèse d'un conflit, consécutif à l'agression effectuée contre un ou plusieurs pays membres de l'OTAN par des forces ennemies. Il faut à ce propos préciser que le scénario de l'exercice est de nature extrêmement rigide, au sens où presque tout est déterminé en détail à l'avance, et que les marges laissées à ce qu'on appelle le libre jeu d'initiatives des participants sont particulièrement étroites, comme il est normal dans le cadre d'un exercice qui poursuit de simples finalités de large expérimentation des aspects procéduraux d'un conflit. Cela vaut aussi, en particulier, pour la phase de consultation nucléaire, où le recours au premier, de même qu'au deuxième emploi de l'arme nucléaire, avait été déterminé d'avance par les pays membres dans le cadre de la définition du concept nucléaire à expérimenter procéduralement à l'occasion du Wintex 89. Il s'ensuit que les possibilités de désaccord ne pouvaient concerner que les modalités spécifiques selon lesquelles les instances militaires proposaient que soit donnée, à chaque fois, une application concrète aux hypothèses maximales déjà déterminées à l'unanimité des pays membres ».

Parmi les alliés du Pacte Atlantique, le passage du simple jeu de rôles - de toute façon irresponsable puisqu'étaient en jeu les possibilités mêmes de survie de la planète - à une situation réelle se faisait par un enchaînement logique jusqu'à déboucher dans le drame. « Ce qui a aussi contribué, au cours des dernières années, à rendre plus visible et marquée cette tendance - et plus particulièrement dans l'édition 89 de Wintex -, c'est le fait que, malgré le caractère hautement réservé de la façon dont il est à chaque fois défini et joué, les fuites d'information sont devenues de plus en plus fréquentes, larges et systématiques, avec pour résultat de faire apparaître dans la presse internationale même le détail des aspects les plus délicats de l'exercice », poursuit la note de la Direction générale du MAE. « Wintex a donc fini par se voir attribuer des significations et fonctions radicalement différentes de celles, de nature purement expérimentale et procédurale, pour lesquelles il a été dès l'origine exclusivement conçu ».

Éteins-le !
contre les missiles à Comiso
contre tous les missiles
22 octobre à Rome
Affiche de Bruno Magno, PCI, 1982

« La confusion tendancielle entre fiction et réalité s'est donc affirmée de plus en plus nettement dans les choix et les attitudes de nombreux Gouvernements alliés engagés dans cet exercice, au point d'arriver en 1989 à un caractère de quasi complète identité, notamment dans la phase de consultation nucléaire interalliée qui a précédé les choix sur les modalités du recours à l'arme atomique de la part de l'OTAN ; choix qui - il faut aussi le rappeler - laissent toujours et de toute façon le dernier mot aux seules Puissances nucléaires. Une première démonstration d'une telle perméabilité, évidente, entre fiction et réalité, s'est produite lorsque le SACEUR a envisagé de frapper - dans le cadre d'un premier recours à l'emploi du nucléaire - des objectifs situés sur le territoire de l'URSS, en plus de celui des pays satellites. Dans cette circonstance, les États-Unis se sont soustraits à cette responsabilité (ce qui a du reste annulé l'utilisation prévue d'un missile américain Cruise basé à Comiso), tandis que la Grande-Bretagne n'a pas renoncé à utiliser son propre système nucléaire. C'est en vain que certains Européens ont réclamé, en guise de signal politique immédiat et plus fort, un emploi direct du nucléaire par les USA contre le pays premier responsable de l'agression, pour mieux souligner l'indissolubilité du lien de sécurité transatlantique. Washington n'a pas accepté de participer à l'attaque sur l'URSS avec ses propres armes déployées en Europe, dans le cadre du premier emploi, jugeant que cette hypothèse conduisait à une escalade excessive dans la circonstance ».

Dans sa note au gouvernement, le bureau OTAN de la Farnésine apportait d'autres détails inédits sur les « war games » nucléaires de la fin de l'hiver 1989. « Une deuxième et plus significative démonstration a eu lieu, peu avant la fin de l'exercice, dans le cadre d'une consultation sur l'hypothèse d'un second recours allié à l'emploi de l'arme nucléaire », précisait le rédacteur. « Hypothèse, là aussi, toujours envisagée dans un but procédural, en présupposant qu'un précédent premier emploi, effectué de façon sélective sur des objectifs militaires exclusivement situés sur le territoire du Pacte de Varsovie, n'ait pas obtenu l'effet souhaité, à savoir celui de convaincre l'agresseur de la ferme détermination atlantique à sauvegarder son intégrité territoriale en recourant même à l'arme nucléaire, et de l'amener ainsi à cesser l'agression et à se retirer ».

Cette phase de consultation nucléaire sur l'hypothèse d'un second emploi s'est fondée sur les requêtes présentées à ce sujet par le SACEUR, caractérisées par un double aspect : d'un côté, une naturelle accentuation quantitative - bien que toujours sélective - de l'emploi du nucléaire sur les territoires du Pacte de Varsovie, dans le but d'envoyer, par voie militaire, un message politique plus incisif sur la détermination atlantique à effectuer ultérieurement une escalade, dans le recours au nucléaire, dans le cas où l'agression ne s'arrêterait pas (à ce sujet, il faut rappeler que les Allemands ont vivement déploré la localisation d'un nombre relativement élevé d'objectifs sur le territoire des frères séparés de l'Allemagne de l'Est) ; de l'autre côté, un recours aussi à l'emploi d'armes nucléaires tactiques, contre les unités mobiles ennemies de premier et deuxième degré, dans l'intention d'en bloquer une avance désormais irrépressible, que ce soit à proximité ou à l'intérieur des territoires alliés objets de l'agression. Sur ce dernier point, la consultation nucléaire alliée a aussi été confrontée à la demande du SACEUR d'expérimenter les procédures relatives à un emploi, certes limité, d'armes nucléaires tactiques (artillerie) sur le territoire même de deux pays alliés déjà envahis (la RFA et la Turquie), pour répondre à l'exigence d'employer le nucléaire avec des finalités, non seulement de dissuasion, mais aussi de lutte militaire directe ».

C'était, de la part des dirigeants militaires de l'Alliance, une stratégie d'un cynisme barbare : expérimenter l'holocauste pour ralentir l'avance des tanks ennemis, et ne pas rechercher de processus politico-diplomatique alternatif et durable. « À cette première hypothèse, la RFA s'est vigoureusement opposée, obtenant, en ce qui la concerne, une révision de la demande du SACEUR en vertu d'un artifice ouvertement sollicité par Bonn, à savoir la découverte inopinée de forces de réserve à opposer efficacement à l'ennemi, sans le recours aux artilleries nucléaires », ajoutait la Farnésine. « Pour obtenir un tel résultat, et souligner que son désaccord ne se limitait pas à la fiction de l'exercice, Bonn a même retiré de la direction du Centre de Décision National de l'exercice son Secrétaire d'Etat à la Défense, confiant à de simples fonctionnaires la participation allemande à la partie finale de Wintex. De son côté, la Turquie, en plus de s'opposer tout comme la RFA à la demande avancée par le SACEUR, a formellement protesté, à la suite de l'exercice, contre le fait que, contrairement à ce que prescrivent les Directives Politiques Générales sur l'emploi du nucléaire, selon lesquelles l'opinion du pays le plus directement impliqué doit être dûment prise en compte, l'hypothèse d'un emploi du nucléaire sur le territoire turc avait été maintenue, alors que ce sort avait été épargné à la RFA. En résumé, l'Alliance a surtout constaté, à travers Wintex 89, à quel point le recours à l'emploi des armes nucléaires de courte portée (FNS) serait problématique, dans la réalité, surtout si on les utilisait contre des objectifs situés sur le territoire de la RFA et de la RDA. Ceci a été stigmatisé par les USA, qui ont dénoncé dans cette attitude européenne un élément intrinsèque de faiblesse dans la riposte flexible ».

« D'un autre côté, cette situation sert aussi à expliquer de façon emblématique pourquoi la RFA poursuit avec un acharnement bien connu le double thème de la négociabilité des FNS, pour en réduire le nombre et, ainsi, la probabilité d'un emploi éventuel sur son territoire ou sur celui de la RDA en cas de conflit ; et de l'allongement maximum permis dans la portée des armes résiduelles, qui devraient être modernisées (la troisième option zéro étant d'emblée rejetée par toute l'Alliance), pour créer les présupposés d'un contournement des territoires allemands, dans l'hypothèse, certes éloignée, d'un emploi des FNS en question (...). Ce n'est pas par hasard que Wintex 89 s'est conclu sans la traditionnelle communication des États-Unis aux Alliés, selon laquelle le Chef du bloc agresseur avait demandé la paix, contraint à prendre acte de l'efficacité de la stratégie atlantique de la dissuasion. Cette conclusion inhabituelle, au-delà de la fiction de l'exercice, est le reflet des doutes et des méfiances qui circulent désormais entre alliés autour de la crédibilité de la stratégie de la riposte flexible... ».

En mars les missiles seront opérationnels à Comiso.
A partir du mois de mars, nous sommes une cible nucléaire.
Affiche de Bruno Magno, PCI, 1989

Bye bye, Cruise...

Wintex 89 avait donc sanctionné l'échec total des doctrines nucléaires selon lesquelles les stratèges-docteurs Folamour de l'OTAN s'étaient formés pendant des décennies, et qui avaient impliqué l'investissement d'énormes ressources financières pour remplir les arsenaux d'armes capables de détruire vingt fois la planète. À la perte de crédibilité d'une guerre atomique « limitée » et localisée en Europe centre-orientale, avaient certainement contribué le nouveau paysage géopolitique global post-Traité FNI de 1987, et l'amélioration progressive des relations USA-URSS.

Francesco Paolo Fulci, tout comme le bureau OTAN de la Direction Générale du MAE, révèlent comment, malgré les plans préétablis, Washington avait décidé de renoncer à la première frappe contre un objectif soviétique avec un missile Cruise de Comiso. La Sicile joua néanmoins un rôle-clé dans le déroulement de Wintex-Cimex : le rapport sur les activités annuelles 89 (classé Confidentiel et déclassifié le 28 avril 2000) du Commandant de l'Helicopter Combat Support Squadron Four, David Smania, signalait que les unités de l'escadron de l'US Navy stationnées sur la NAS Sigonella, avaient été transférés le 24 février 1989 sur la base d'Anaxos (Grèce) pour « appuyer l'exercice Wintex-Cimex ». Les mêmes unités se voyaient déployées du 28 février au 1er mars dans la grande base aéronavale de Souda Bay (Crète) et du 1er au 11 mars à Antalya en Turquie.

Le destin a voulu que les 11 et 12 mai suivants, l'escadron d'hélicoptères de l'US Navy ait été chargé de transporter de Sigonella à Comiso les 58 membres de l'équipe d'inspecteurs du Traité NFI, de nationalités soviétique, italienne et usaméricaine. Les 21 et 22 septembre 1989, se déroulait à Comiso une nouvelle activité d'inspection de l'équipe internationale. La dernière batterie des célèbres missiles à capacité nucléaire sera retirée de l'Île le 26 mars 1991.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  antoniomazzeoblog.blogspot.com
Publication date of original article: 25/09/2020

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