L'OMS et le ministère italien de la Santé ont, selon The Guardian et The Financial Times, «conspiré» pour garder secret un rapport «accablant» de l'OMS, révélant la gestion «chaotique» de l'épidémie de Covid-19 en Italie lors de la première vague.
Le ministère italien de la Santé et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sont tous les deux accusés d'avoir «conspiré», dans le but de retirer du site internet de l'OMS un rapport «accablant», mettant en cause la gestion «chaotique» de l'épidémie de Covid-19 en Italie, durant la première vague.
Cette information, révélée par les médias britanniques The Financial Times et The Guardianest parue dans deux articles, respectivement les 5 et 11 décembre.
Ce rapport de 102 pages, intitulé «Un défi sans précédent : la première réponse italienne au Covid-19» et publié le 13 mai sur le site de l'OMS montrait que l'Italie était loin d'être prête à affronter la pandémie.
Réalisé par le scientifique italien de l'OMS Francesco Zambon et par dix autres collègues européens, ce texte, financé par le gouvernement du Koweït, avait pour objectif de fournir des informations aux Etats qui n'avaient pas encore été touchés par le Covid-19, en se basant sur l'analyse de la gestion épidémique de l'Italie, premier pays européen fortement frappé par la première vague de la pandémie.
Un document subitement retiré le lendemain de sa publication
Mais le document a subitement été retiré du site de l'OMS le 14 mai, le lendemain de sa parution, apparemment sans raison. Selon The Financial Times, l'OMS n'a à l'époque pas fait de déclaration publique pour indiquer si oui ou non elle avait retiré le rapport et les raisons pour lesquelles celui-ci avait été supprimé.
Ce document, consulté par The Guardian révèle que le plan italien de crise en cas de pandémie n'avait pas été mis à jour depuis 2006. Faute de préparation, la réponse initiale des hôpitaux italiens était décrite dans le rapport, comme «improvisée, chaotique et créative». De plus, les premières directives officielles ont été actées après un certain temps de latence, explique The Guardian.
Les deux journaux britanniques avancent l'hypothèse selon laquelle le document aurait été retiré du site à la demande de Ranieri Guerra, directeur général adjoint de l'OMS pour les initiatives stratégiques et ancien directeur général de la santé préventive au ministère italien de la Santé entre 2014 et 2017.
Le docteur est aussi membre de la «task force» scientifique contre la propagation du Covid-19 en Italie et était donc «responsable de la mise à jour du plan de crise en cas de pandémie», expliquent The Guardian et The Financial Times.
Une possible négligence des autorités italiennes dans la gestion de l'épidémie ?
Les enquêteurs qui mènent des investigations en Lombardie - région la plus durement frappée lors de la première vague - concernant une éventuelle négligence des autorités italiennes se basent sur un autre rapport : celui compilé à l'issue de la première vague par un général d'armée à la retraite, Pier Paolo Lunelli. L'ancien militaire a lui conclu que «pas moins de 10 000 décès peuvent être imputés à un manque de protocoles suffisants pour lutter contre le Covid-19», a rapporté The Guardian.
«Si les procureurs de Bergame constatent que l'Italie n'a pas mis à jour son plan de lutte contre la pandémie, alors tous les ministres de la Santé et les premiers ministres depuis 2013 risquent d'être jugés», va même jusqu'à avancer ce même journal.
En ce qui concerne l'avancée des investigations, seul Ranieri Guerra a été entendu par les procureurs, «à titre personnel», explique l'OMS. Francesco Zambon, le scientifique de l'OMS, a assuré qu'il était prêt, selon The Guardian, à être entendu par les procureurs, mais on le lui a déconseillé.
En effet, il n'aurait pas reçu de la part de l'agence spécialisée de l'ONU de refus formel, l'empêchant de s'adresser aux enquêteurs, mais «il a été informé []... que l'OMS avait écrit au ministère italien des Affaires étrangères pour lui dire que [lui] et les autres experts de l'OMS susmentionnés ont été priés de ne pas se présenter à ces audiences», détaille le média britannique. Il soutient aussi avoir été menacé de licenciement par Ranieri Guerra, s'il ne modifiait pas la partie du rapport de l'OMS faisant référence au plan de crise obsolète, rapporte The Guardian. Aucune enquête interne n'aurait été menée, selon Francisco Zambon et ce malgré ses signalements.
«Le personnel de l'OMS est composé de fonctionnaires internationaux qui entreprennent toutes les activités de manière impartiale et sans crainte de représailles ou d'attentes de faveurs. Pour préserver son objectivité et son indépendance, l'OMS ne s'implique normalement pas dans les affaires juridiques au niveau national», a tenu à se justifier l'Organisation mondiale de la santé, début décembre, dans un communiqué. Elle s'est aussi défendue en ajoutant que le rapport du 13 mai «contenait des inexactitudes et des incohérences».
Un «pacte conclu avec le ministère italien de la Santé» ?
En ce qui concerne l'éventuelle responsabilité du gouvernement italien, pour le Guardian, Francesco Zambon a affirmé avoir envoyé, un mois avant la publication du rapport de l'OMS, un aperçu des résultats à Ranieri Guerra qui l'a ensuite partagé avec Roberto Speranza, le ministre italien de la Santé. Le média en ligne explique ensuite avoir eu accès à des mails envoyés par Ranieri Guerra et le directeur de l'OMS Europe, Hans Kluge, à destination de Francesco Zambon. Hans Kluge avait rédigé l'introduction du rapport supprimé le 14 mai.
Cet échange de mails semble, toujours selon The Guardian, «refléter un pacte conclu avec le ministère italien de la Santé pour garder le rapport secret».
Pour ce qui est de rendre ce rapport public : «je ne pense pas que nous rendions un grand service au pays», a aussi ajouté Ranieri Guerra dans une correspondance datée du 13 mai. En réponse à ces révélations, le ministère italien de la Santé a nié fermement toute implication.
«Pour autant que nous sachions, il ne s'agit pas d'un document officiel de l'OMS et il n'a jamais été envoyé au ministère de la Santé, qui ne l'a donc jamais évalué ni commenté», a-t-il assuré dans un communiqué cité par The Guardian.
Le chercheur Francesco Zambon est quant à lui resté droit dans ses bottes en affirmant avoir tenté d'alerter en vain des hauts fonctionnaires, comme le directeur général de l'OMS, sur les répercussions que pourrait provoquer un blocage de ce rapport. Les informations contenues dans ce document auraient pu, selon lui, contribuer à sauver des vies. «Sa publication avait le potentiel de sauver des vies et la responsabilité de l'OMS était en jeu», a déclaré le scientifique italien au journal britannique. «Je suis fermement convaincu que le monde a besoin d'une OMS transparente et indépendante, qui se concentre en fin de compte sur les populations», a conclu Francesco Zambon, sur une lueur d'espoir.
Lire aussi Le directeur de l'OMS visé par une plainte pour complicité de crime contre l'humanité