20/01/2021 tlaxcala-int.org  9 min #184514

La longue et ignoble histoire des centres de détention pour migrants en Italie

 Annamaria Rivera

Le monstre juridique qui couvre l'ensemble du territoire italien depuis vingt-deux ans fait partie d'un système répandu dans toute l'Union européenne et produit des émeutes, des automutilations, des suicides et des violences de toutes sortes parmi les migrants

Les 11 "Centres parmanents de rapatriement" installés en 2017

Parmi ses nombreux défauts et lacunes, le décevant décret-loi par lequel le gouvernement Conte-bis a modifié tardivement les deux infâmes lois portant la marque de Salvini (n°132 du 1er décembre 2018 et n° 77 du 8 août 2019), il y a le fait que celui-ci préservé le monstre juridique de la détention administrative, tout en réduisant la durée de la « détention » de cent quatre-vingts à quatre-vingt-dix jours, prolongeables d'un mois pour ceux qui viennent de pays qui ont conclu des accords de « réadmission » avec l'Italie.

Quatre-vingt-dix jours

Pour se rendre compte des limites d'une telle « réforme », il suffit de considérer que la tristement célèbre loi Bossi-Fini (n° 189 du 30 juillet 2002) avait prolongé la durée de la détention administrative de trente à quatre-vingt-dix jours. Non seulement : le décret « réformiste » du gouvernement Conte-bis prévoit également la possibilité alternative de détenir les migrants irréguliers, destinés à être expulsés, non pas dans un CPR (Centre Permanent de Rapatriement), mais dans un établissement de police, afin de les emmener de là directement à l'aéroport. Peu de personnes se sont publiquement dites scandalisées par cela. Et tout le monde n'a pas rappelé, à cette occasion, que la détention administrative, clairement anticonstitutionnelle, réservée aux immigrés en situation irrégulière, donc destinés à l'expulsion, a été officiellement instituée, pour la première fois dans l'histoire de la République, par un gouvernement de centre-gauche, le Prodi-1, avec la publication du projet de loi sur l'immigration (19 février 1997), qui a ensuite été converti en loi du 6 mars 1998, n° 40, appelée Turco-Napolitano., suivie, le 25 juillet 1998, du « Texte consolidé des dispositions relatives à la réglementation de l'immigration et des normes sur la condition de l'étranger ».

Depuis leur création jusqu'à aujourd'hui, ces camps pour migrants (d'abord appelées CPTA, puis CIE, enfin CPR) se caractérisent essentiellement par des conditions d'hygiène, de structure et de logistique très mauvaises ou problématiques ; par la présence panoptique, parfois agressive, des forces de l'ordre, ainsi que par la possibilité très limitée (voire inexistante dans certains cas) d'avoir des contacts avec l'extérieur. Encerclées, dans de nombreux cas, par des murs ou par plusieurs ensembles de barreaux (par exemple dans celui de Ponte Galeria, près de Rome), elles représentent la parfaite matérialisation non seulement de l'institution totale, mais aussi d'un système de contrôle qui va jusqu'à priver les individus de leur liberté personnelle non pas en raison d'un crime commis, mais simplement en raison de leur statut. Leur nature fallacieuse et extra-légale, leur caractère d'exception permanente sont illustrés par le recours constant - plus que dans les prisons - à la pratique consistant à administrer des psychotropes et des neuroleptiques aux détenus, le plus souvent à leur insu. Souvent, les conditions de vie imposées aux « hôtes » des centres sont à la limite de ce qui est humainement supportable et la violence et les tabassages punitifs ne manquent pas. Mais il ne s'agit pas là d'une exception italienne : sanctionnés par les accords de Schengen et de Dublin, les centres de détention sont devenus un véritable système, couvrant tout le territoire de l'Union européenne, un système qui produit quotidiennement des émeutes, des actes d'automutilation, des suicides et des violences de toutes sortes.

Sous surveillance

En outre, il convient de mentionner que non seulement les immigrants « irréguliers » qui ne peuvent être immédiatement expulsés par une reconduite à la frontière, mais aussi ceux dont le permis de séjour a été révoqué ou annulé, ou qui n'ont pas pu le demander ou le renouveler dans les délais fixés, y sont « retenus ». En réalité, la détention des migrant·es en situation irrégulière ne visa pas seulement à rendre l'expulsion possible, mais elle est aussi devenue une mesure de sécurité pour garder sous surveillance une catégorie de personnes considérées comme problématiques, voire dangereuses, ainsi que fauteuses d'insécurité sociale. Souvent, les personnes internées n'ont pas le droit de parler à des avocats ni d'appeler leurs proches. Et, si elles protestent avec leurs codétenu·es, elles se font tabasser par la police. On peut alors facilement comprendre pourquoi les émeutes, les grèves de la faim, les tentatives d'évasion désespérées, les actes d'automutilation, les suicides et les tentatives de suicide sont encore une routine quotidienne dans les lager italiens. Néanmoins, aucun gouvernement italien n'a jamais remis en question un tel monstre juridique : il a été rendu encore plus monstrueux sous le quatrième gouvernement Berlusconi, lorsqu'avec le décret-loi n° 89 du 23 juin 2011, la durée maximale de détention dans les CIE a été portée de six à dix-huit mois. Au contraire, il est devenu un système qui, avec des noms différents et variant au fil du temps, couvre désormais l'ensemble du territoire européen. Pourtant, dans ces établissements sont internées des personnes qui n'ont commis aucun crime, qui n'ont subi aucun procès, qui ne le subiront pas à l'avenir (selon la loi italienne, l'entrée irrégulière n'est pas un crime, mais un délit administratif) et qui sont néanmoins privées même de cette personnalité juridique qu'un détenu normal ne perd pas totalement.

Comme je l'ai écrit à l'époque, les Centres de résidence temporaire et d'assistance (Centri di permanenza temporanea e assistenza) - comme ils ont été initialement nommés avec un grotesque euphémisme contradictoire - sont le résultat d'un embarras linguistique qui révèle une mauvaise conscience ou, du moins, un fort malaise politique. Pourquoi, en fait, plutôt que de les définir pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des centres de détention, a-t-on eu recours à un stratagème sémantique maladroit ? Car celui qui les a conçus savait bien que, dans un État de droit, il n'est possible de prononcer une peine de prison que pour ceux qui ont été définitivement condamnés pour certaines infractions pénales ; et que, en tout état de cause, toute forme de limitation de la liberté individuelle doit être consécutive à un acte judiciaire. On peut dire la même chose de l'opportunisme qui consiste à appeler les interné··s hôtes ou carrément usagers : deux autres euphémismes visant à cacher la violation de ces principes incontestables, les lourdes limitations arbitraires de la liberté personnelle, la violence, même extrême, perpétrée par les « gardiens » de ces lager contre les hôtes. Certainsi vont jusqu'à les croire et/ou les définir comme des « centres d'accueil », ce qui conduit une partie de l'opinion publique se scandaliser lorsque des protestations et des émeutes s'y produisent, ce qui est souvent le cas.

La leçon donnée par un « gouvernement ami » a alors été bien apprise et, évidemment, radicalisée par les gouvernements de droite qui, sans aucun scrupule politique, idéologique ou sémantique, allaient les appeler de manière plus réaliste des CIE, c'est-à-dire des Centres d'identification et d'expulsion, prolongeant progressivement la durée de détention. Même les ministres de l'Intérieur et de la Justice d'un gouvernement dit de centre-gauche n'allaient pas hésité : leur loi n° 46, appelée Minniti-Orlando, a rebaptisé les lager CPR, c'est-à-dire Centres de Permanence pour le Rapatriement. Et pas seulement : malgré l'échec évident de la détention administrative et ses horreurs, elle a établi qu'il était nécessaire de « garantir l'expansion du réseau de centres ».

Le fait que de telles structures quasi-concentrationnaires -comme Etienne Balibar les a définies en son temps - étaient / sont également mortelles, ainsi qu'illégitimes selon la Constitution italienne, est apparu immédiatement. En fait, dès le début, les CPTA (ensuite généralement appelés CPT) ont commencé à faire des victimes. La première était Amin Saber : interné au CPT de Caltanissetta, dans la localité de Pian del Lago, au cours d'une révolte, il a probablement été tué par une balle. Peu après, le 1er août 1998, ce fut au tour d'Abdeleh Saler : après une manifestation collective dans le centre de Lampedusa où il avait été encagé il fut emmené à la prison d'Agrigente où, après l'avoir battu, on lui administra une dose mortelle de psychotropes.

En mai 2009, la Tunisienne Nabruka Mimouni, 44 ans, se pend au CIE de Ponte Galeria. Vivant en Italie depuis plus de 30 ans,, son permis de séjour n'avait pas été renouvelé. Mauro Biani fait dire au ministre de l'Intérieur liguiste Maroni : "Épîsode terrible. Elle aurait du se suicider en Libyé";

À Ponte Galeria

Plus poignant encore est le cas de Mohamed Ben Said, un Tunisien de 39 ans, décédé la nuit de Noël 1999. Après avoir purgé une courte peine de prison pour un délit mineur, il a été conduit au CPT de Ponte Galeria, où même selon la loi illégitime n° 40, il n'aurait pas dû rester : pendant des jours et des jours, il avait crié, sans que personne ne le croie (sinon ses compagnons d'infortune), qu'il était inexpulsable parce qu'il était marié à une citoyenne italienne. La mâchoire fracturée, probablement à la suite du traitement qu'il avait subi en prison, il avait insisté pour recevoir un traitement médical, qu'il n'avait jamais reçu. En réponse à ses protestations, on lui a administré une telle dose de psychotropes qu'elle s'est avérée fatale. Alors qu'il était en train de mourir, ses compagnons de « résidence temporaire et d'assistance » ont désespérément appelé à l'aide pendant des heures : les portes étaient fermées de l'extérieur et personne ne venait. Ce n'est que lorsque Mohamed était déjà mort que quelqu'un a trouvé son certificat de mariage. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 28 au 29 décembre de la même année, au centre « Serraino Vulpitta » de Trapani, afin de réprimer une tentative d'évasion, la police a enfermé douze migrants dans un dortoir, les bloquant de l'extérieur avec une barre de fer. Pour tenter de se faire ouvrir, l'un des détenus a mis le feu à un matelas, provoquant un incendie : trois d'entre eux ont perdu la vie immédiatement, brûlés vif ; trois autres, secourus et emmenés à l'hôpital civil de Palerme, sont morts plus tard, après une atroce agonie. Pour ces décès, l'ancien préfet de Trapani, Leonardo Cerenzia, a été inculpé de multiples homicides volontaires : ce Centre, comme tous les autres, était en effet caractérisé par de graves déficiences structurelles et la violation des règles les plus élémentaires de sécurité incendie, sans parler de la lenteur et de l'insuffisance des services de secours. Ces horreurs, que j'ai brièvement rapportées, se sont produites au cours de « gouvernements amis » : le premier gouvernement Prodi et les deux gouvernements D'Alema qui ont suivi.

Pendant ce temps, les « traitements inhumains et dégradants », les émeutes, les incendies, la violence et les morts suspectes continuent à ce jour, comme si l'expérience négative de vingt-deux ans était passée en vain. Pourtant (ou peut-être à cause de cela), la lutte contre ces structures quasi-concentrationnaires doit être intensifiée et élargie.


Œuvres d'art : Nouveau CPT

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  comune-info.net
Publication date of original article: 13/01/2021

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