22/03/2021 les-crises.fr  8 min #187142

Meurtre de Khashoggi : l'Arabie saoudite rejette le rapport des renseignements américains

Affaire Khashoggi : Aucune sanction de Biden à l'encontre du prince héritier d'Arabie saoudite

Source :  CNN, Kaitlan Collins, Kevin Liptak, Vivian Salama et Kylie Atwood

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

Bien qu'il ait promis de punir les hauts dirigeants saoudiens pendant la campagne électorale, le président Joe Biden a refusé d'appliquer des sanctions à celui que la communauté du renseignement américain a déterminé comme étant responsable de la mort du journaliste Jamal Khashoggi : le prince héritier Mohammed ben Salman.

Le choix de ne pas punir directement le prince Mohammed met en évidence le type de prise de décision qui devient plus compliquée pour un président par rapport à un candidat, et démontre la difficulté de rompre avec un allié gênant dans une région instable.

Vendredi dernier, l'administration Biden a publié un rapport non classifié sur la mort de M. Khashoggi, une action que son prédécesseur a refusé de faire car il tenait le renseignement américain à l'écart. Le rapport de la directrice du Renseignement national indique que le prince héritier, connu sous l'acronyme MBS, a directement approuvé le meurtre de Khashoggi. Mais si le secrétaire d'État Antony Blinken a annoncé des restrictions de visa qui ont touché 76 Saoudiens impliqués dans le harcèlement d'activistes et de journalistes, il n'a pas annoncé de mesures touchant le prince. Et alors qu'une liste de sanctions du département du Trésor nommait un ancien chef adjoint des services de renseignement et la force d'intervention rapide de la Garde royale saoudienne, le prince héritier n'y a pas été mentionné.

Deux responsables de l'administration ont déclaré que sanctionner MBS n'avait jamais vraiment été une option, estimant que cela aurait été « trop compliqué » et aurait pu mettre en péril les intérêts militaires américains en Arabie saoudite. En conséquence, l'administration n'a même pas demandé au département d'Etat de trouver des options pour cibler MBS avec des sanctions, a déclaré un fonctionnaire du département d'Etat.

En quittant la Maison Blanche samedi, Biden a déclaré qu'il y aurait une annonce lundi « sur ce que nous allons faire avec l'Arabie Saoudite en général. »

La Maison Blanche a ensuite tenté de clarifier les commentaires du président, en disant que le département d'Etat se contenterait de fournir plus de détails sur les actions qu'ils avaient précédemment annoncées.

« Le recalibrage des relations avec l'Arabie saoudite a commencé le 20 janvier et il est toujours en cours. L'administration a pris un large éventail de nouvelles mesures vendredi, a déclaré un fonctionnaire de la Maison Blanche. Le président fait référence au fait que lundi, le département d'Etat fournira plus de détails et développera ces annonces, et ne fera pas de nouvelles annonces. »

Interrogé vendredi par Univision sur sa volonté de pousser le prince héritier à respecter les Droits de l'Homme, Biden a déclaré qu'il traitait désormais avec le roi saoudien et non plus avec ben Salman. Il a déclaré que « les règles changent » et que des changements importants pourraient intervenir lundi.

« Nous allons les tenir responsables des violations des Droits de l'Homme et nous allons nous assurer qu'en fait, vous savez, s'ils veulent traiter avec nous, ils doivent le faire de manière à ce que les violations des Droits de l'Homme soient traitées » a déclaré Biden, sans être plus précis sur les plans visant à punir le prince héritier.

On est loin d'un commentaire de novembre 2019, dans lequel Biden promettait de punir les hauts dirigeants saoudiens d'une manière que l'ancien président Donald Trump ne ferait pas.

« Oui, a-t-il déclaré lorsqu'on lui a demandé directement s'il le ferait. Et je l'ai dit à l'époque. Khashoggi a, en fait, été assassiné et démembré, et je crois sur ordre du prince héritier. Et je ferais savoir très clairement que nous ne leur vendrions pas davantage d'armes, qu'en fait, nous leur ferions payer le prix et ferions d'eux les parias qu'ils sont. »

« Il y a très peu de valeur sociale rédemptrice au sein du gouvernement actuel en Arabie saoudite, a-t-il dit. Ils doivent être tenus responsables. »

La définition de l'administration Biden de la responsabilité est maintenant plus claire. Le président a mis fin au soutien américain à la guerre menée par les Saoudiens au Yémen et a ordonné la fin de certaines ventes d'armes au royaume, tandis que ses principaux collaborateurs disent vouloir « recalibrer » la relation.

La directrice de la communication de la Maison Blanche, Kate Bedingfield, a déclaré à Erin Burnett de CNN sur « OutFront » que Biden avait dit au roi Salman bin Abdulaziz Al-Saud, lors de leur conversation téléphonique de jeudi, que les Etats-Unis ne toléreraient pas le comportement du prince héritier, malgré l'absence d'action.

Biden « leur a fait comprendre, et notre administration a fait savoir clairement, que cela cela ne sera plus toléré » a déclaré Bedingfield.

« Cela ne sera pas toléré. Et nous avons pris des mesures aujourd'hui. Le Trésor et l'État ont pris des mesures aujourd'hui pour sanctionner les individus, les réseaux qui ont été impliqués dans ce meurtre horrible » a-t-elle ajouté.

Les responsables de l'administration reconnaissent que le recalibrage de la relation sera délicat. Dans une interview exclusive avec NPR diffusée vendredi après-midi, la directrice du Renseignement national, Avril Haines, a reconnu que le rapport pourrait compliquer les relations américano-saoudiennes à l'avenir.

« Je suis sûre que cela ne va pas faciliter les choses, a-t-elle déclaré. Mais je pense qu'il est également juste de dire que ce n'est pas inattendu. »

Un haut fonctionnaire de l'administration, en expliquant la décision de renoncer à punir le prince héritier à la lumière du rapport, a déclaré que les informations publiées vendredi n'étaient pas nouvelles et étaient connues du gouvernement américain depuis plus d'un an.

En réponse à ce rapport, le ministère saoudien des Affaires étrangères a déclaré qu'il « rejette complètement l'évaluation négative, fausse et inacceptable du rapport concernant le dirigeant du Royaume. »

La relation avec Riyad elle-même semble trop précieuse pour que l'administration Biden l'abandonne complètement en punissant l'homme qui est largement considéré comme dirigeant le royaume. Les fonctionnaires du département d'Etat ont déclaré que l'administration Biden s'est fait un devoir de ne pas interrompre les discussions de travail entre les deux pays, car la relation de sécurité est particulièrement importante.

À bien des égards, ce calcul est le même que celui que l'administration Trump a fait en décidant de ne pas punir le MBS.

Les responsables des administrations Trump et Biden ont reconnu en privé que l'Arabie saoudite est un partenaire essentiel dans les actions de lutte contre le terrorisme et en tant que contrepoids régional à l'Iran, rendant toute tentative d'éloignement presque impossible.

« Il est difficile d'imaginer un problème dans la région où le partenariat et le soutien saoudiens ne jouent pas un rôle significatif » a déclaré Dennis Ross, un ancien coordinateur spécial pour le Moyen-Orient, à CNN.

Gerald Feierstein, ancien sous-secrétaire d'État principal adjoint pour les affaires du Proche-Orient, qui travaille maintenant à l'Institut du Moyen-Orient, a déclaré que l'administration avait pesé sa réponse avec ses autres priorités, comme la fin du conflit au Yémen, la réduction des tensions dans la région du Golfe et les efforts de lutte contre le terrorisme sont également des facteurs, et tous nécessitent une relation bilatérale stable entre les États-Unis et l'Arabie saoudite.

Plus important encore, « les négociations entre les États-Unis et l'Iran devant reprendre plus tard cette année, Biden aura besoin de l'accord des Saoudiens, voire de leur enthousiasme, pour conclure un éventuel accord dans la région » a déclaré Ayham Kamel, chef du groupe Eurasie pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

Autre facteur souligné par les analystes : le prince héritier sert effectivement certains objectifs des États-Unis, notamment sa tentative de modernisation et de refonte de l'économie saoudienne.

« Bien que le prince héritier vienne avec un sérieux bagage, ses réformes sont des approches productives de modernisation du royaume, limitant l'influence de l'establishment clérical wahhabite, promouvant un plus grand degré de tolérance religieuse et responsabilisant la jeunesse » a déclaré Kamel.

« Nous avons un intérêt à le voir réussir son effort de modernisation, nous avons un intérêt à ce qu'ils mènent une transition pour sortir des combustibles fossiles » a déclaré M. Ross.

Kamel a déclaré que « l'équipe de Biden ne cherche pas à approfondir l'influence politique directe des États-Unis en Arabie saoudite ni à influencer le débat sur la succession au sein de la maison d'al Saud », ce que les Saoudiens sont prêts à écouter - dans une certaine mesure.

« Les dirigeants saoudiens ont fermement décidé d'adopter une position constructive à court terme pour limiter les tensions avec les États-Unis » a déclaré Kamel, en soulignant que la libération des militants des Droits de l'Homme était « un rameau d'olivier. »

Et bien que les responsables saoudiens comprennent que Biden est sous pression à Washington pour agir, « ils ne sont pas convaincus que Riyad manque de moyens de pression » a déclaré Kamel, faisant référence à leurs relations en matière de sécurité qu'ils ont développées avec des pays tels que la France et la Russie et à leur capacité à tirer parti des liens avec la Chine pour contrer les États-Unis.

Arlette Saenz, Nicole Gaouette et Donald Judd de CNN ont contribué à cet article.

Source :  CNN, Kaitlan Collins, Kevin Liptak, Vivian Salama et Kylie Atwood, 28-02-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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