13/05/2021 les-crises.fr  9min #189502

Seymour Hersh : Le monde est « dirigé par des ignares, des cinglés et des psychopathes »

Hersh se penche sur la santé actuelle des médias d'information américains, sur la raison pour laquelle les salles de rédaction d'aujourd'hui sont si facilement dévoyées par la façon dont Donald Trump se sert des médias sociaux, et sur la raison pour laquelle trop de reporters et de journalistes craignent de dire la vérité et sont devenus esclaves des piètres standards de « l'équilibre ».

Source :  Salon, Chauncey Devega - 23-07-2019
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Une archive fort intéressante du grand journaliste d'investigation Seymour Hersh, qui revient sur les dérives du système politico-médiatique américain. Un texte qui reste parfaitement d'actualité en ces temps de gestion de crise sanitaire (aux États-Unis et ailleurs). A lire et à relire !

Seymour Hersh est l'un des plus grands journalistes d'investigation américains. Au cours de sa carrière de plus de 50 ans, il a couvert nombre des histoires les plus importantes de cette période. Il a contribué à révéler le massacre de My Lai pendant la guerre du Viêt Nam, tragique épisode au cours duquel des centaines de civils vietnamiens non armés ont été tués par des soldats américains. En écrivant pour le New York Times, il a contribué à attirer l'attention du public sur la manipulation pour dissimuler le Watergate. Hersh a également été un des premiers journalistes à proposer un compte rendu exact de la guerre « secrète » de Richard Nixon et des États-Unis au Cambodge.

Hersh a également braqué la lumière sur la « guerre contre la terreur » menée par l'Amérique et ses programmes connexes de transferts extrajudiciaires, de prisons de torture « sites fantômes », et autres violations des droits humains. Il a été une des premières voix publiques à avertir que la guerre de George W. Bush et Dick Cheney contre l'Irak était fondée sur des prétextes fallacieux et sur des mensonges purs et simples.

Hersh a écrit pour le New York Times, le New Yorker, l'Associated Press et de nombreuses autres organisations de presse et publications. En plus de ses autres récompenses prestigieuses, Hersh a obtenu le prix Pulitzer en 1970 pour ses reportages internationaux. Il est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « The Dark Side of Camelot«, « The Price of Power : Kissinger in the Nixon White House«  et « Chain of Command : The Road from 9/11 to Abu Ghraib« [Pour les livres traduits en français, voir l'article de Wikipédia sur Seymour Hersh, NdT]. Dans son nouveau livre, « Reporter : A Memoir«, Hersh aborde nombre de ces récits et certaines des leçons tirées de sa longue carrière.

En résumé, Hersh est un homme qui n'a jamais eu peur de dire la vérité aux gens de pouvoir, même lorsque ces vérités sont embarrassantes ou impopulaires.

* Extraits

Seymour Hersh : En tant que journaliste, l'une des choses que je ne supporte pas, ce sont les informations sur les chaînes en continu. Elles ne font que renforcer l'anxiété. Il y a une chaîne câblée qui adore Trump, c'est bien sûr Fox News. Vous en avez deux qui ne le supportent absolument pas, CNN et MSNBC. Il n'y a personne au milieu. Il n'existe aucune chaîne qui vous permette d'obtenir quelque chose qui ne soit pas totalement biaisé, que ce soit en pour ou en contre.

Tout ça c'est une question d'argent. Des journaux s'effondrent à chaque nanoseconde. Nous allons bientôt être un monde numérique. Il y aura encore des journaux nationaux comme le Wall Street Journal et le New York Times, mais ce sera à peu près tout. Les gens seront tout simplement obligés d'aller en ligne pour obtenir leurs informations. Les journaux sont en compétition pour dépenser toujours moins de dollars.

Il ne s'agit pas seulement de l'Amérique. Le monde entier est en quelque sorte devenu une mare de boue. De manière générale, le monde est de plus en plus dirigé par des ignares, des cinglés et des psychopathes. Et c'était déjà le cas bien avant Donald Trump. Mais nous avons plus de détraqués que jamais à la tête du monde.

C'est un foutoir incroyable. Une erreur qui a été faite par les médias - et qui continue d'être faite - elle se repaît des tweets de Donald Trump. Pour moi les tweets de Trump sont des torchons à mettre aux chiottes.

Voici comment ça fonctionne : Donald Trump envoie un tweet. Les informations câblées répètent immédiatement le tweet de Trump, au lieu de faire ce que j'aurais fait si j'étais le roi du monde et rédacteur en chef. Je commencerais par regarder ce qu'il se passe et qui change à l'intérieur de la bureaucratie et du système.

Et en général, les journaux sont passés à côté des faits vraiment importants. Par exemple, Mueller a d'abord été directeur du FBI et il est au gouvernement depuis longtemps. C'est un secret de polichinelle à Washington, Mueller n'est plus aussi affûté qu'avant. Il a perdu sa capacité de balle rapide [terme de baseball, NdT]. Beaucoup de gens le savent. Et voilà que maintenant les démocrates sont amoureux des directeurs du FBI ? Ces gens là ne sont pas de notre côté.

Ceci n'est en rien une attaque contre le FBI. Tout comme dans le gouvernement en général, je pense qu'il y a beaucoup de gens formidables là-dedans. Je travaille avec eux tout le temps. Il y a des gens d'une grande intégrité. Mais dans l'ensemble, je trouve assez stupide que les Démocrates en arrivent à placer tous leurs espoirs dans un directeur du FBI. Je pense que la vérité est que si Robert Mueller voulait inculper Donald Trump, alors il aurait dû le faire. Et si Mueller voulait que ce soit Barr qui inculpe Trump, alors Barr ne l'aurait pas fait [William Barr était procureur général, NdT].

Si j'étais Démocrate, j'arrêterais de me préoccuper de Donald Trump et je commencerais à parler au peuple américain d'emplois et de soins de santé.

Vous avez écrit beaucoup de choses sur Barack Obama et son élection vue comme un signe « d'espérance et de changement ». En dépit de tout le pouvoir symbolique et l'importance d'Obama, il n'y a pas eu beaucoup de changement concernant la politique étrangère et l'empire américain pendant son mandat.

Je lui ai donné un blanc-seing pour le premier mandat parce que sa réélection était importante pour des raisons historiques. Et comme tout le monde, j'étais à 100% pour Obama. Il est arrivé et j'ai dit : « S'il vous plaît, fermez Guantánamo, parce que l'Amérique n'a jamais été en faveur de l'emprisonnement permanent. » Nous avons l'habeas corpus. Nous poursuivons les gens. Certains de ces gars y sont depuis 18 ans maintenant. Comment, en tant que société, pouvons-nous tolérer un tel état de fait ?

Obama n'a pas fermé Gitmo. Il a continué la guerre en Afghanistan. Obama n'a rien arrêté en Afghanistan. Il n'a pas entamé de négociations sérieuses. Après 18 ans, comment nous débrouillons-nous dans cette guerre ? Eh bien, rien. Aucun progrès. Des soldats qui se font tirer dessus tout le temps. Il y a beaucoup de choses qu'Obama n'a pas faites.

Comme vous le savez, j'ai écrit il y a quelques années un article sur l'assassinat d'Oussama Ben Laden. Et oui, Obama a eu raison. On lui a dit où était Ben Laden et il a ordonné aux Navy Seals de le tuer et ils l'ont fait. C'est exactement ce qu'il s'est passé. Tout le reste, les détails du comment ça s'est passé, c'est du mensonge. On m'a beaucoup critiqué pour cet article. La Maison Blanche contrôlait les médias d'information : l'administration Obama faisait des briefings, les journalistes suppliaient pour obtenir des exclusivités.

Quelle que soit la vérité, ça n'a aucune importance. Parce que, une fois que les journaux ont une histoire, ils en écrivent leur version. C'est tout simplement comique de voir comment la presse a été menée en bateau. Et bien sûr, les efforts que la Maison Blanche a déployés pour les manipuler. Vous savez, il faut rendre à Obama ce qui lui revient. C'était un excellent tremplin pour lui. On a eu Ben Laden. Mais il y avait toujours une guerre en Irak et une guerre en Afghanistan. Obama n'a rien changé.

Comment aborde-t-on l'actualité ? Il y a l'histoire qu'on présente publiquement et qui est formulée d'une certaine manière, et puis il y a les faits tels qu'ils existent réellement. Comment gérez-vous cette contradiction ?

J'ai récemment donné une conférence dans une école de journalisme et je leur ai dit qu'ils devaient lire avant d'écrire. C'est incroyable car les gens ignorent les choses les plus évidentes.

En matière de journalisme, il faut juste foutre le camp pour s'écarter du chemin tout tracé. Faire le job. S'il y a une querelle entre deux personnes sur un sujet, ça, ce n'est pas l'enjeu. L'enjeu, c'est de savoir laquelle des deux personnes a raison. Mais les reporters et les journalistes se contentent apparemment de juste dire : « Untel a dit ça aujourd'hui. » Et c'est comme ça que ça se passe maintenant.

En tant que pigiste depuis de nombreuses années, j'ai appris que les histoires compliquées ne mènent nulle part parce que les médias sont dominés par les informations du câble et de la télévision, des formats qui sont tous très réducteurs. Alors, si vous avez une histoire compliquée qui ne peut pas être résumée en deux phrases, elle ne va pas peser bien lourd. C'est une chose terrible à dire, car il y a beaucoup de gens brillants dans le secteur. Mais les grands médias d'information que nous avons en Amérique ne sont plus aussi bons qu'ils l'étaient.

Vous avez suivi et écrit des articles sur certaines des personnes les plus puissantes d'Amérique et du monde. Que voulez-vous que le peuple américain connaissent quant à leur comportement et leur personnalité ?

Je pense qu'il faut se méfier des diseurs de vérité d'où qu'ils viennent. Je veux que le peuple américain arrête de croire tout ce qu'il entend et qu'il se pose plus de questions, qu'il devienne plus sceptique. Ils savaient que Trump ne savait absolument pas de quoi il parlait. Mais avec Trump, on n'était plus dans le même vieux format de grand sourire et bonnes paroles Les démocrates sont allés partout en racontant : « Nous sommes pour le peuple, pour les petits. » Et tout ce qu'ils font, c'est de courir jusqu'à Wall Street pour récupérer des sous. Et le seul qui ne l'a pas fait, Sanders, a été sabordé par le Comité national démocrate. Tout ce qui a été divulgué montre que le parti démocrate travaillait contre le seul candidat qui n'utilisait pas de fonds de campagne provenant des grandes entreprises.

Les gens qui pensent encore que le monde est plat alors qu'en réalité la terre est ronde m'inquiètent vraiment. Si je leur explique qu'elle est ronde et qu'ils ne veulent pas l'entendre, qu'est-ce que ça peut me faire ? Je dois laisser ça de côté.

Source :  Salon, Chauncey Devega, 23-07-2019
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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