10/10/2021 lilianeheldkhawam.com  11 min #196285

L'enfumage de la démocratie, une guerre contre le peuple. Texte du philosophe Eric Werner

Vidéo: Dans cette émission diffusée à une heure de grande écoute, le ministre tout-puissant du moment vient séduire le spectateur récalcitrant à la vaccination. Une opération d'enfumage-type sur fond d'informations pour le moins biaisées Une spécialité du moment

Avant-propos:

Voici deux extraits d'articles écrits en 2012 et 2013. Je les reprends non pour m'en prévaloir à titre personnel, mais pour insister que la catastrophe vers laquelle nous nous dirigeons était prévisible et prédictible.

« La démocratie directe suisse, cœur du succès suisse, est en danger car elle est incompatible avec un modèle technocratique. C'est un système élitiste basé sur la science et la technologie. L'homme y a peu de place. Ce schisme entre une politique technocratique et la population est aggravé par les liaisons dangereuses de certains élus avec le monde de la finance (lobbies, financement des partis politiques par les supranationales, cumul de mandats politiques/privés, entrée d'ex-hauts fonctionnaires dans les conseils d'administration des supranationales...). On aimerait voir émerger à temps une opposition politique préservant le citoyen d'un système porteur de germes de révoltes populaires.

On aimerait voir émerger à temps une opposition politique préservant le citoyen d'un système porteur de germes de révoltes populaires. » Le schisme croît entre l'Etat suisse et les citoyens, Le Temps, juin 2012

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« Perte de souveraineté. Pillage de la place financière. Pillage de sa monnaie. Pillage de son or. Pillage de ses données. Pillage des droits des citoyens. A toutes ces plaies s'ajoute l'humiliation. Rien n'aura été épargné au peuple suisse! Une des plus anciennes démocraties du monde flanche sous des coups venant de toutes parts. Or, la facilité et la vitesse avec lesquelles tout cela se passe auraient été impossibles sans trahisons internes. » La Suisse est un concept en danger », Le Temps, 2013

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Cette intro de 2013 de l'article « La Suisse est un concept en danger » est plus vraie et vérifiable que jamais. C'est si vrai que lors de la réforme de la Constitution de 1999, le principe de haute trahison en avait été évacué. Il disait ceci dans la version de la Constitution précédente:

Art. 112
Le Tribunal fédéral, assisté du jury, lequel statue sur les faits, connaît en matière pénale:
1. Des cas de haute trahison envers la Confédération, de révolte ou de violence contre les autorités fédérales;
2. Des crimes et des délits contre le droit des gens;
3. Des crimes et des délits politiques qui sont la cause ou la suite de troubles par lesquels une intervention fédérale armée est occasionnée;
4. Des faits relevés à la charge de fonctionnaires nommés par une autorité fédérale, quand cette autorité en saisit le Tribunal fédéral.

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874

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Aujourd'hui, le roi est nu. Les mots s'ils sont fondés sur des faits réels font tomber les masques et les fausses postures. Je vous laisse avec le texte du jour du philosophe politique Eric Werner. Il revient sur l'entretien que j'avais eu avec Slobodan Despot.  lilianeheldkhawam.com.

Bonne lecture avec un des plus grands intellectuels suisses du moment.

LHK

 La double vie du Prince, ou l'envers  de la démocratie suisse. Eric Werner/Antipresse

Un complot à ciel ouvert et que tout le monde peut voir ne mérite plus réellement d'être appelé un complot. Lorsque le pouvoir en arrive à ce degré de franchise, volontaire ou non, le jeu des apparences cesse. Ne reste entre lui et ses sujets qu'une seule interface: la police.

Dans le Prince, Machiavel explique que le Prince doit apprendre «à pouvoir n'être pas bon», autrement dit à faire le mal. Il doit apprendre à faire le mal, mais par ailleurs aussi veiller à son image. C'est aussi très important. Lui-même n'est peut-être pas bon, il fait le mal, mais il ne faut évidemment pas que cela se sache. Les gens doivent être persuadés du contraire. Tous doivent croire que le Prince n'est pas seulement bon, mais très bon. Il répand en permanence le bien autour de lui, etc.

Le Prince mène ainsi une double vie, l'une fictive, l'autre réelle. D'un côté il y a les fausses apparences, ce qu'on essaye de faire croire aux gens, de l'autre la réalité, ce qu'il y a derrière les fausses apparences. Toute l'astuce est de faire en sorte que la réalité n'apparaisse jamais au grand jour, reste en permanence cachée au regard des citoyens: cachée derrière la façade, les fausses apparences. Pour cela, le Prince dispose de spécialistes: journalistes, propagandistes, experts en communication, etc. Eux savent faire ce travail: créer de fausses apparences, travestir la réalité pour la faire apparaître autre qu'elle n'est, inventer des choses qui n'existent pas (ou l'inverse: faire oublier ce qui existe), etc.

LA DÉMOCRATIE SUISSE COMME RÉALITÉ

L'Antipresse de la semaine dernière a publié un entretien ravageur avec Liliane Held-Khawam qui montre ce qu'est aujourd'hui devenu l'État suisse. En apparence, la Suisse est une démocratie, et même une démocratie directe. Tous les deux mois ou presque, les gens se rendent aux urnes pour donner leur avis sur des sujets importants, et bien sûr cet avis est toujours religieusement suivi. Il y a également un Parlement qui soi-disant contrôle les actes du gouvernement, une justice indépendante, etc. Tout le monde ici bien sûr aussi respecte la loi, à commencer par les autorités. L'armée est là enfin pour défendre les frontières, etc. Voilà ce que croient les gens, en tout cas ce qu'on essaye de leur faire croire. Mais en règle générale ils le croient (enfin, l'ont longtemps cru: aujourd'hui, justement, c'est peut- être en train de changer).

Et maintenant la réalité. La réalité est que la Suisse en tant qu'État indépendant n'existe plus depuis long- temps: «La Suisse, comme tous les pays de la planète, n'a plus d'existence en tant qu'État souverain (...) C'est un pays globalisé qui prend ses directives auprès de divers organismes: OMS, ONU, FMI, BRI, UE, etc.» Le Conseil fédéral n'est donc qu'une courroie de transmission, il exécute des ordres venus d'ailleurs. On a vu par ailleurs avec l'affaire Berset jusqu'où les autorités en place, aussi bien politiques que policières et judiciaires, étaient prêtes à aller pour s'empêcher de ne rien entreprendre d'illégal ou d'assimilable à ce qu'on pourrait considérer comme un abus de pouvoir. S'ils l'avaient fait, ce qu'à Dieu ne plaise, les médias officiels en auraient aussitôt parlé. Etc.

Bref, à sa manière aussi, la Suisse mène une double vie. On dit que la Suisse est un pays «neutre». Sauf que, de facto, la Suisse fait aujourd'hui partie de l'OTAN (au travers du Partenariat pour la Paix, auquel elle a adhéré à la fin des années 90, sans s'en être seulement rendue compte: les Spin Doctors du palais fédéral ont très bien fait leur travail), et donc il est absurde de parler de la Suisse comme d'un État neutre. La Suisse n'est pas plus neutre aujourd'hui que ne le sont des États comme la Belgique, l'Allemagne ou les Pays- Bas. C'est un pays satellite des États- Unis, sans doute même plus arrimé encore aux États-Unis que ne le sont les pays qu'on vient de citer (et ce n'est pas peu dire). Quant à la défense des frontières, ce n'est même plus aujourd'hui un sujet. L'armée suisse est chargée d'un certain nombre de tâches et de missions, mais celles-ci n'ont rien à voir avec la défense des frontières(1).

On distinguera donc bien entre l'apparence et la réalité. En lieu et place de l'apparence on pourrait aussi parler, comme le fait Machiavel, des choses qu'on imagine. Il y a souvent loin entre les choses qu'on imagine et la réalité. C'est cet écart même que Liliane Held-Khawam met en lumière. Sauf, justement, qu'en le mettant ainsi en lumière, forcément aussi elle l'annule. On touche ici aux limites du système.

AU-DELÀ DES MENSONGES, LES FAUX MENSONGES

Dans le Prince, Machiavel dresse une liste des qualités que le Prince se devrait sinon d'avoir, du moins de passer pour avoir, en particulier cinq: la générosité, la miséricorde, la loyauté, le courage, la piété. Parfois il les a, mais le plus souvent il ne fait que passer pour les avoir. Or chacun comprendra que cela ne saurait durer éternellement. Il arrive toujours un moment où la fausse image que le Prince cherche à donner de lui-même se lézarde pour laisser voir, à tout le moins entrevoir, la réalité. C'est ce qui est peut-être aujourd'hui en train d'arriver en Suisse. Là aussi l'image se lézarde. On ne peut plus exactement dire que l'État suisse mène une double vie, car de plus en plus les gens ont conscience de cette dualité même: celle entre l'apparence et la réalité. Or, encore une fois, elle n'existe que pour autant et dans la mesure où elle n'est pas perçue.

Laissons ici de côté la générosité, la miséricorde, la loyauté, le courage, la piété. On serait déjà bien content si les membres du Conseil fédéral respectaient leurs propres lois, accessoirement aussi la constitution. On sait également que certains d'entre eux ont quelque peine à tracer une ligne de démarcation stricte entre leurs problèmes personnels, voire intimes, et l'exercice de leur mandat public. Liliane Held-Khawam explique très bien dans cet entretien comment l'affaire Berset se relie à l'actuelle pandémie, qu'elle éclaire en même temps qu'elle est éclairée par elle. Les faux décors partent en petits morceaux, tout le monde peut désormais voir ce qu'il y a derrière. A partir de là, il n'y a plus à se poser de questions, car les réponses sont données en même temps que les questions. C'est également la fin du complotisme. Tout le monde sait qu'il y a (et qu'il y a toujours eu) des complots, mais il n'y a plus désormais à spéculer à leur sujet. Un complot à ciel ouvert et que tout le monde peut voir, soit pour la raison qu'on vient de dire (les faux décors qui partent en petits morceaux), soit (on va y venir) parce qu'il se met lui-même en scène, ne mérite plus réellement d'être appelé un complot.

Bref, on est très au-delà de Machiavel. Machiavel décrit la double vie du Prince, le Prince feignant d'être ce qu'il n'est pas et de ne pas être ce qu'il est. Ici il ne feint plus rien, ou s'il le fait encore il sait en même temps très bien qu'il ne trompe personne. La formule de Balzac est ici applicable: la «fin des illusions». On assiste dès lors à une mutation du système. Le Prince continue certes à mentir, mais ses mensonges ne sont le plus souvent que de faux mensonges. Ils disent le vrai à travers le faux, et donc le mensonge se retourne ici sur lui-même. Il vire au jeu, quelque part aussi à la provo- cation. Le Prince, à mots couverts parfois, parfois au contraire tout à fait ouvertement, annonce ce qu'il va faire et le fait. La réalité déborde ici (et même dégouline) de toute part. On ne peut donc plus dire que la propagande occupe la première place. Ce rôle revient désormais à la police. C'est la police, aujourd'hui, qui occupe la première place. Car le Prince ne peut plus désormais compter que sur elle.

Oui ou non, le Prince doit ou non apprendre à pouvoir n'être pas bon? Sans doute le doit-il. C'est ce que pensait Montaigne, et sans doute avait-il raison: «Le bien public requiert qu'on trahisse et qu'on mente et qu'on massacre» (Essais, III, 1). Il n'importe guère au point de vue éthique que cela se fasse ouvertement ou en cachette. Reste à se demander jusqu'où il lui est permis d'aller dans cette direction: en d'autres termes où commence l'hybris. Car on se laisse aisément griser dans ce domaine. Il y a un engrenage dans le mal. On ne saurait toujours se dispenser de faire le mal, sauf qu'à force de le faire on finit par y prendre plaisir. C'est là que cela devient dangereux. Le Prince illégitime (ou si l'on préfère le tyran) n'est pas celui qui fait le mal mais celui y prend plaisir, chez qui donc cela tend à devenir une habitude. Il faut ici très fermement réagir, sans quoi le risque existe d'une dérive toujours plus accentuée. Si le droit de résistance a la moindre existence, c'est ici qu'il se met à exister.

Lectures suggérées

     «De quoi Alain Berset est-il  l e nom?», Entretien avec Liliane Held-Khawam, AP305 | 3.10.2021.
    • Machiavel, Le Prince (en particulier les chapitres 15-18). 
    • Judith Barben, Les Spin Doctors du palais fédéral, Xenia, 2010. 
     

NOTE

1. Dans L'Insécurité du territoire (Gali- lée, 1993), Paul Virilio insistait déjà sur le fait que les armées européennes sont de plus en plus aujourd'hui appelées à se spécialiser dans des tâches de main- tien de l'ordre, sur le modèle des armées sud-américaines (L'Insécurité du terri- toire, p. 154-155). Le maintien de l'ordre peut se faire à l'intérieur ou à l'extérieur (Balkans), mais cela reste du maintien de l'ordre. Et de toutes les manières ce sont les Américains qui décident: «De même qu'en période de crise, les forces de l'ordre civil passaient sous contrôle militaire, de même on peut dire qu'au- jourd'hui, avec la crise des États-nations de notre hémisphère idéologique, les institutions militaires sont toutes sous contrôle des États-Unis.» L'armée suisse ne fait bien sûr pas exception.

Eric Werner a été professeur de philosophie politique à l'Université de Genève.

Complément

Les générations qui viennent ont besoin de la Police et de la Justice. Merci pour eux!

Samedi 9 octobre à Genève. Par Eva Morales

 lilianeheldkhawam.com

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