15/01/2022 elcorreo.eu.org  9 min #200652

La rébellion dirigée par les États-Unis au Kazakhstan pourrait bien renforcer la Russie

Kazakhstan, révolte et complot

Les détails sont encore inconnus, mais tout indique que Moscou a profité d'un mouvement populaire anti-oligarchique pour parrainer le changement politique au Kazakhstan. Un complot enveloppé dans une révolte. Un « Maidan, à l'inverse », on pourrait dire.

Si en Ukraine l'Occident encourageait le changement de régime en 2014, transformant l'équilibre corrompu du président Viktor Ianoukovitch entre la Russie et l'Occident, dans l'obéissance corrompue pro-occidentale de Porochenko et de ses successeurs, avec ce qui s'est passé au Kazakhstan, Moscou a profité de la véritable vague de grèves ouvrières pour, au moins, atténuer la diversification entre l'Occident et la Russie/Chine pratiquée pendant des décennies par le chef de guerre Nursultan Nazarbaïev. Après tout, n'est-ce pas Poutine lui-même qui a dit qu'à partir de maintenant nous agirons comme les États-Unis ?

Le Kazakhstan de Nazarbaïev participe aux conglomérats économiques et militaires euro-asiatiques de Moscou et accueille en même temps de grandes entreprises énergétiques occidentales telles que Chevron et Exxon Mobile. Son oligarchie, qui vend 70 % du pétrole sur les marchés occidentaux et qui détient dans les banques étasuniennes et européennes le fruit de son butin, est très exposée à la pression occidentale. Son gouvernement a abandonné l'alphabet cyrillique, ne reconnaît pas la réunification/annexion de la Crimée effectuée par la Russie en 2014 et prévoit dès l'année prochaine de diminuer l'enseignement en russe, langue parlée non seulement par l'importante population russe du pays (18 %) mais aussi par la grande majorité des Kazakhs de souche. Des temps difficiles arrivent où Moscou a formulé des « lignes rouges » en Europe de l'Est qui, comme toujours, ne seront pas suivies par l'OTAN, de sorte que la discipline est imposée avec peu de nuances. Une discipline de blocs, peut-on dire. « Nous ne tolérerons pas les révolutions de couleurs dans nos pays » a déclaré Poutine lundi s'exprimant au nom du conglomérat eurasien qui a envoyé des soldats au Kazakhstan, « à la demande du Président du Kazakhstan ».

Cela aboutit à la marginalisation des États-Unis en Asie centrale réalisée ces dernières années avec la conformité de la Chine pour qui la stratégie d'intégration continentale du Kazakhstan est un élément clé. En 2005, l'Ouzbékistan a fermé la base militaire étasunienne sur son territoire et le nouveau président ouzbek, Shavkat Mirziyoyev, a amélioré ses relations avec Moscou. En 2014, les derniers soldats US ont quitté la base aérienne de Manas au Kirghizstan. Puis vint la débâcle occidentale en Afghanistan. La région est bien mieux positionnée qu'il y a vingt ans pour un condominium russe/chinois sans ingérence occidentale.

Le mouvement social pour protester contre la hausse du prix du gaz a démarré à l'ouest du pays, où se trouvent les riches gisements de gaz et de pétrole kazakh. Contrairement aux villes russes « énergétiques » comme Janti-Mansinsk, Surgut, Langepas et autres, où les services fonctionnent, la consommation est à un niveau satisfaisant et le niveau de vie des travailleurs et de la population générale est supérieur à la moyenne nationale, la situation dans les zones énergétiques du Kazakhstan est très différente. L'oligarchie corrompue y laisse encore moins de miettes qu'en Russie pour les gens qui produisent des pétrodollars. Le niveau de vie est bas, les gens sont pauvres, utilisent de modestes voitures japonaises d'occasion (les transports en commun existent à peine) et portent les vêtements chinois les moins chers. Les grèves et les activités syndicales sont interdites (tout comme les partis communistes et socialistes).

La ville de Zhanauzen, ancienne Novy Uzen, origine des manifestations est un panorama de ces maisons de cinq étages à l'époque de Jrushov. Là, les gens exclus de la prospérité des pétrodollars voient comment avec le fruit de leur travail se construit la capitale Nur Sultan (en l'honneur du Leader, avant Astana et pendant l'ère soviétique Tselinograd) et d'autres fantaisies. Les travailleurs pétroliers de Zhanauzen ont déjà mené une grande grève, qui a coûté 17 morts, en décembre 2011. La pandémie, l'inflation et la hausse des prix du gaz, qui alimentent la majeure partie des voitures du pays, ont fourni l'étincelle qui a ravivé le ressentiment populaire contre Nazarbaïev et sa famille. À Almaty, la principale ville du pays, la manifestation a dégénéré en violentes émeutes et pillages, certains armés par des jeunes sans emploi et déclassés d'origine rurale, un chapitre sombre qui a donné expression aux fantaisies des médias officiels, Russes et Kazakhs, sur environ 20 000 bandits et terroristes étrangers.

Dans la vie de l'URSS, Nazarbaïev était le dirigeant le plus digne des républiques d'Asie centrale. Bien qu'il ait quitté le pouvoir en 2019 en abdiquant à Kasim-Yomart Tokayev, le chef de guerre a conservé les rênes des fondamentaux avec un statut de père de la nation à vie et avec son fidèle chef du KGB local (KNB), Karim Masimov, à la tête de la sécurité de l'État.

Tokayev, c'est un homme politique faible et sans charisme, comme il convient à chaque dauphin nommé par un autocrate, qui a étudié les relations internationales à Moscou et pourrait être dans l'orbite des services secrets russes. Son premier geste a été de priver Masimov, d'origine ouïghour, de la direction de la sécurité de l'État et de destituer Nazarbaïev à la tête du Conseil de sécurité, avec l'impression que dans tout le reste, y compris son patrimoine de plusieurs milliards de dollars situé à l'étranger, l'âgé « père de la patrie » sera laissé tranquille. Quel sera le résultat de tout cela ?

« Le Kazakhstan a perdu sa souveraineté », résume l'ancien chef du KGB kazakh Alnur Musayev, exilé en Autriche. Si les choses tournent mal sur le front occidental, comme tout semble l'indiquer, et que les États-Unis alourdissent les sanctions contre la Russie, le Kazakhstan pourrait être utilisé comme un matelas contre les sanctions : « à travers ses banques, on pourrait controuner l'exclusion possible de la Russie du système de paiement international Swift », dit-il. Le pays pourrait être transformé en une fédération, organisant son immense territoire (le neuvième plus grand pays du monde) et ses quatorze provinces en quatre districts, avec le plus septentrional et le plus oriental d'entre eux, où les Russes de souche sont une majorité absolue, prêts à se décomposer, comme un Donbass de steppes, si les choses deviennent mauvaises... Tout cela peut être des scénarios absurdes conduits par la confusion du moment, mais ce que vous devez comprendre, c'est que depuis le rien ne va plus de l'Ukraine, Moscou ne va plus de main morte et joue fort. Et plus il joue fort, plus il s'expose. Les risques sont énormes.

Au Kazakhstan, qui était la plus « soviétique » des républiques de l'URSS, avec plus d'une centaine de nationalités, la dissolution du super état ne laissait d'autre choix que de construire une nation qui, au-delà de ses fondements institutionnels soviétiques (République, Parti, Académie des Sciences, Culture...), devait s'élever pratiquement au-dessus de zéro. A partir de ce moment dans le nouveau récit national, l'URSS, et la Russie avec elles, ont dû être placées plus nécessairement dans le rôle de belle-mère que de mère de la nouvelle nation (la réalité est que cela fut, dramatiquement, les deux pour les peuples de la steppe). Toute une génération de jeunes Kazakhs a été éduquée dans ce nouvel « esprit national » selon lequel les Russes étaient des conquérants, des colonisateurs, des auteurs d'une terrible révolution et d'une collectivisation contre laquelle il y avait eu une résistance armée jusqu'aux années trente, des organisateurs de famines (qui étaient communes à de nombreuses aussi dans autres régions de l'URSS, y compris la Russie, mais qui, comme dans le cas de l'Ukraine, sont présentées comme des « génocides nationaux »), camps de concentration, polygones atomiques, etc. La nouvelle identité nationale kazakhe détermine le développement de toute cette vision négative de la Russie. La mauvaise gestion de l'intervention actuelle peut facilement augmenter le ressentiment.

Le style habituel des relations de Moscou post-communiste, qui n'a pas encore appris à se rapporter aux peuples de son environnement dans une attitude d'équanimité loin de l'imposition arrogante et du diktat, favorise cette évolution. Si les Kazakhs perçoivent la crise actuelle comme ce qu'elle semble être, un interventionnisme russe dans leurs affaires, ce « Maïdan à l'envers » peut facilement être retourné contre Moscou.

Avec des fronts ouverts partout, dans presque tous ses environs, en Ukraine, en Biélorussie, en Géorgie, en Moldavie et maintenant au Kazakhstan, Moscou est également exposée à des révoltes sociales sur son propre territoire, contre la stagnation économique, contre les inégalités et les abus oligarchiques, contre l'autocratie et ses décors électoraux truqués qui ne laissent pas à leurs adversaires politiques plus de terrain que la rue et plus de scénarios de changement que le complot. Révoltes de leur propre société qui, à leur arrivée, seront immédiatement exploitées et instrumentalisées par leurs adversaires extérieurs. Voila le pays fragile qui dessine les « lignes rouges » à l'agressivité occidentale. Et c'est ce régime fragile qui assume de nouveaux risques, les uns après les autres.

Rafael Poch de Feliu* par su  Blog personal

 Rafael Poch de Feliu. Catalunya, 11 de enero de 2021

* Rafael Poch de Feliu a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l'Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l'agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l'Est (1983 à 1987).  Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; «   La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de «   Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ». Blogs :  Diario de París  ;  Diario de Berlín (2008-2014)  ;  Diario de Pekín (2002-2008)  ;  Diario de Moscú (2000-2002)  ;  Cuaderno Mongol

Traduit de l'espagnol pour  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

 El Correo de la Diaspora. Paris, le 15 janvier 2022.

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