24/06/2022 entelekheia.fr  6 min #210866

L'Occident échoue parce qu'il persiste à soustimer la Russie

Par Helmholtz Smith
Paru sur  Moon of Alabama sous le titre Two Big Errors About Russia


La politique américaine et occidentale à l'égard de la Russie est fondée sur deux graves erreurs (et c'est un euphémisme considérable, bien sûr - les trente dernières années démontrent que les idées conventionnelles de l'Occident sur la Russie sont presque toutes complètement fausses).

Mais ces deux erreurs sont répétées à l'infini et, quel que soit le nombre de fois où elles ont été réfutées, preuves à l'appui, elles restent les hypothèses sur lesquelles se fondent les tentatives de l'Occident pour changer ou contrôler la Russie.

La première est l'idée selon laquelle l'économie russe serait faible, mal équilibrée et dépendante de ses exportations vers l'Occident. La seconde est que Poutine est le chef d'une bande de voleurs qui, si on leur fait sentir de la douleur, se débarrasseront de lui. Les sanctions détruiront l'économie russe et la douleur provoquera la fin de son leader. (Une autre illusion est qu'une fois Poutine parti, tout sera à la convenance de l'Occident - mais j'ai bien dit qu'il y avait une multitude d'idées fausses).

Considérons d'abord l'économie de la Russie. Les éditorialistes qui affirment que l'économie russe a la taille du Texas, de la Belgique, du Luxembourg ou autre se contentent de convertir les roubles en dollars et de galoper jusqu'à leur conclusion préétablie. Ils ne demandent jamais quelle est l'ampleur du programme spatial du pays auquel la Russie est comparée, ni combien de sous-marins nucléaires il fabrique, ni combien de nouvelles stations de métro, de nouveaux aéroports ou de nouveaux ponts il ouvre, ni si ce pays fabrique toutes sortes d'avions et de camions, ni quelle quantité de nourriture il cultive et exporte, ni rien d'autre qui permette de mesurer une économie réelle.

S'ils le faisaient, bien sûr, ils verraient que l'économie russe est beaucoup plus importante que ne le suggère la comparaison puérile entre le rouble et le dollar. Et, en regardant d'un peu plus près, ils verraient que l'économie russe est presque autosuffisante. Mais l'Occident continue de croire que la Russie n'est qu'une « station-service dotée d'armes nucléaires » et que sa faible économie peut facilement s'effondrer. La RAND a fondé toute une stratégie sur le fait que  « la plus grande vulnérabilité de la Russie est son économie, qui est comparativement petite et fortement dépendante des exportations d'énergie »

Ils persistent et signent, en dépit de toutes les preuves du contraires. En 2014, l'UE avait réduit ses exportations de denrées alimentaires vers la Russie pour, je suppose, faire descendre les gens dans la rue pour protester contre la disparition des fromages européens. La Russie a réagi intelligemment ; elle est aujourd'hui autosuffisante en matière de nourriture, et l'Europe a perdu ce marché.

Biden allait réduire le rouble en miettes, mais Moscou l'a contré sans effort et le rouble est désormais adossé à l'énergie - l'une des bases les plus solides qu'une monnaie puisse avoir.

Les sanctions continuent néanmoins de s'accumuler. Mais c'est éducatif : nous savons maintenant beaucoup mieux à quoi sert la potasse et d'où elle vient. [*] Et le  néon - qui savait que c'était important ?  Les terres rares !  Les bouteilles de bière ! Moscou commence tout juste à contre-sanctionner et le monde découvre que la Russie est un grand producteur de beaucoup de choses importantes, et que si vous la sanctionnez, vous vous retrouverez à court de beaucoup de choses dont vous n'aviez jamais même eu conscience. (Même si on pourrait penser que toute personne possédant un atlas serait capable de comprendre qu'un pays aussi étendu que la Russie doit être un grand producteur de nombreuses ressources).

Biden peut blâmer Poutine autant qu'il le souhaite, mais sanctionner l'énergie et la potasse est un moyen garanti de faire monter les prix de tout. Biden  pensait que la Russie avait « des armes nucléaires et des puits de pétrole et rien d'autre ». Peut-être que les personnes qui dirigent la Russie sont plus aptes à réfléchir et à voir la réalité que nous ne le pensions. (Encore une autre hypothèse occidentale erronée - qu'est-ce qui, au cours des vingt dernières années, pourrait suggérer que nous sommes plus intelligents qu'eux ?)

L'idée selon laquelle la Russie est une grande conspiration criminelle et que Poutine en est le parrain des parrains fonde la stratégie des sanctions personnelles. Untel est jugé « proche de Poutine », quoi que cela signifie, et on l'empêche d'aller à Paris acheter du fromage et on lui vole confisque son yacht. En colère, il s'assoit avec les autres parrains et décide qu'il est temps que le Boss soit retrouvé noyé, face dans un bol de sang. Les think tanks nous disent que Poutine est le voleur en chef, et qu'il s'accroche au pouvoir en partageant le butin, en truquant les élections et en faisant disparaître les critiques. (Au fait, n'était-il pas censé avoir essayé de tuer Navalny ? Où est le sachant qui nous expliquera comment il se fait qu'il soit toujours en vie) ?

Toutes les élections en Russie sont truquées, tous les sondages d'opinion sont faux, tous les médias sont contrôlés par le Kremlin, les parrains mafieux russes sont frustrés, alors pourquoi Poutine est-il toujours là ? Ce n'est sûrement pas parce que c'est un chef d'État élu, très populaire et respecté - suggérer cela reviendrait à remettre en question trois décennies de conclusions de think tanks américains et ouest-européens. Son élimination doit donc dépendre d'une sanction de plus. Et c'est ainsi que d'autres noms - tous « proches de Poutine » - sont ajoutés à d'autres listes. Mais rien ne change.

Ces deux erreurs sont sans cesse répétées. La Russie est désormais le pays le plus sanctionné de toute l'histoire et les politiciens occidentaux continuent de penser qu'il faut lui imposer une série de « sanctions sévères » de plus, et que cela finira par marcher. Mais plus elle survit aux sanctions, plus la Russie est immunisée contre les sanctions.

Les guerres sont des irruptions de la réalité brute dans les bulles fantaisistes, et la guerre en Ukraine met à nu la vacuité auto-satisfaite qui fonde l'opinion de l'Occident sur la Russie. Cet hiver sera froid en Europe et dans certaines régions d'Amérique. On ne pourra pas éternellement blâmer Poutine.

Mais la vérité déprimante est que les esprits changent rarement, et qu'il faut changer les hommes. Pendant combien de temps encore les dirigeants de l'Occident survivront-ils à leurs échecs répétés ?

Traduction Corinne Autey-Roussel
Photo Pixabay

[*] Note de la traduction : Nous avons également appris que les graines de moutarde ne poussent pas dans les environs de Dijon, non plus que l'huile sur les étagères des supermarchés.

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