30/07/2022 euro-synergies.hautetfort.com  5 min #212975

Au-delà de la droite et de la gauche

par Andrea Zhok

Source : Andrea Zhok &  ariannaeditrice.it

Le nouveau terrain politique qui nous est offert doit partir de la reconnaissance du caractère désormais obsolète et trompeur de l'opposition historique entre la droite et la gauche. Ce rejet ne doit pas être compris comme une mode à suivre, mais comme le fait que nous comprenons bien les enjeux de la fin d'une époque. La droite et la gauche ont toujours été des oppositions sans identité stable : depuis leur origine dans la Révolution française, la droite et la gauche ont eu des rôles et des incarnations très différents. Il existe des identités théoriques telles le socialisme, le communisme, le libéralisme, le traditionalisme, le conservatisme catholique, le naturalisme chrétien, etc. etc., mais il n'y a pas d'identité de "droite" ou de "gauche", sauf dans la contingence d'expressions journalistiques plus ou moins vagues.

Au cours des trente dernières années, tant les partis de droite autoproclamés que les partis de gauche autoproclamés ont contribué à alimenter et à renforcer un modèle de société libéral et mondialiste. Les deux camps ont contribué à l'adoption de stratégies qui ont liquéfié le tissu social, déraciné les individus et sapé le fonctionnement des familles et des communautés territoriales. Tous deux ont contribué aux processus de privatisation des biens et services publics sans tenir compte des intérêts stratégiques nationaux ; tous deux ont soutenu la cession de la souveraineté à des organismes supranationaux ; tous deux ont accompagné l'érosion du bien-être et ont sapé la protection du travail ; tous deux ont soutenu une modernisation cosmétique de l'enseignement public qui a provoqué son effondrement. Tous deux ont soutenu la transition progressive d'un ordre démocratique à un ordre technocratique, où la souveraineté est déléguée à des élites opaques de personnes autoproclamées "compétentes".

Cette convergence substantielle de la gauche et de la droite, qui a été possible en raison de leurs identités, qui sont in fine intrinsèquement ténues, a été une véritable manœuvre de camouflage, une tromperie pour dissimuler leurs lignes dominantes à l'électorat. Bien sûr, tout ce qui a grandi dans l'ombre de forces qui se considéraient comme de droite ou de gauche n'est pas à rejeter, et tous les protagonistes individuels qui se sont reconnus comme tels n'étaient pas non plus de mauvaise foi. Tant à droite qu'à gauche, il a existé - bien que de manière minoritaire - des lignes critiques à l'endroit du développement du libéralisme, dont les tendances destructrices et autodestructrices ont été reconnues par les uns comme par les autres. Mais cette vigilance critique résiduelle a été dépassée par la logique du "front commun" : contre la droite sur la gauche et contre la gauche sur la droite. Malgré l'interchangeabilité substantielle des politiques, cette astuce rhétorique, cet appel à s'unir contre "l'ennemi" a fonctionné pendant des décennies, permettant à une politique sans idées ni principes, autres que les intérêts des grandes entreprises, de s'imposer sans scrupules.

Ceux qui, à gauche, se méfiaient des impératifs du marché ont fini par soutenir toutes les formes de dissolution des liens humains (familiaux, affectifs, territoriaux, communautaires, traditionnels, naturels, religieux), de manière parfaitement fonctionnelle pour produire des individus isolés à la merci du marché, pour produire des sujets fragiles, liquides, prêts à occuper des postes de rouages dans la machine mondiale.

Ceux qui, à droite, considéraient avec méfiance les processus de dissolution des liens familiaux, territoriaux, traditionnels, etc., ont cependant fini par soutenir des formes de marchandisation généralisée de la société, quand ce n'est pas carrément du darwinisme social, alimentant ainsi les formes sociales mêmes qui dévastaient ces liens qu'ils prétendaient vouloir défendre.

Dans le contexte de ce que l'on appelle "l'effondrement des idéologies", le couplage droite-gauche est donc devenu une astuce cosmétique pour maintenir en selle quelques survivants des anciennes formations idéologiques, alors qu'en fait l'idéologie globale du néolibéralisme a été imposée - déguisée en réalité ultime. Le besoin de mobilité de la main-d'œuvre sur le marché mondial a été dépeint de manière instrumentale comme de la "flexibilité", du "dynamisme", ou même invoqué au nom de l'"accueil" et de l'"hospitalité". Les exigences de fiabilité posées par le grand capital, protégé par la BCE, ont été présentées comme un européisme fier, par opposition à un nationalisme hargneux. La demande d'un capital humain illimité a été présentée comme une "libération des contraintes oppressives de la famille". La tendance libérale-capitaliste à la liquéfaction de tous les liens, qu'il s'agisse de lieux, de personnes, de cultures ou de traditions, a été présentée comme une force émancipatrice, qui permettait enfin aux individus de s'épanouir (tout en créant en fait des générations d'individus de plus en plus solitaires et désorientés).

Ce jeu a fait son temps. Si nous voulons rouvrir l'espace où un espoir politique fertile sera possible, nous devons laisser une fois pour toutes derrière nous l'opposition catégorique entre la gauche et la droite, en brisant l'inertie d'habitudes conceptuelles et verbales qui sont aujourd'hui totalement trompeuses.

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