17/08/2022 elcorreo.eu.org  7 min #213925

Raquel Camps : « J'ai l'espoir que Roberto Guillermo Bravo sera extradé »

Dans une interview, la fille d'Alberto Camps, survivant du massacre de 1972, parle du procès qui a déclaré le répresseur coupable et exige qu'il soit jugé en Argentine.

Dans l'après-midi du 1er juillet, Raquel Camps a couru pour récupérer son téléphone portable et envoyer un message. « Nous avons gagné ». une phrase qui résume une quête de justice qui a commencé il y a presque 50 ans, quelques années avant sa naissance. Raquel est la fille d'Alberto Camps, l'un des trois survivants du massacre de Trelew en 1972. Avec d'autres membres de sa famille, elle a réussi à obtenir qu'un  jury aux États-Unis déclare l'officier de marine à la retraite Roberto Guillermo Bravo  responsable du massacre de 16 prisonniers politiques détenus sur la base aéronavale d'Almirante Zar. Quelques jours avant le demi-siècle de la fusillade et alors qu'elle participe et organise des activités pour se souvenir de ce prélude à l'extermination à venir, Raquel exige que les États-Unis extradent Bravo afin qu'il soit jugé par la justice argentine.

Raquel est la fille de Camps et de María Rosa Pargas. Elle est née en 1976, quatre ans après le massacre de Trelew. En réalité, elle s'appelle María Raquel. Elle doit son prénom à  María Angélica Sabelli, l'une des militantes assassinées dans l'aube froide du 22 août 1972. Son frère aîné s'appelle Mariano en l'honneur de Mariano Pujadas, une des autres victimes.

Raquel porte sur ses épaules une grande partie du poids de la tragédie argentine. Le 16 août 1977, un escadron de la mort est arrivé dans la petite maison du quartier de Lomas de Zamora où ils vivaient. Au cours de l'opération, ils ont grièvement blessé Camps - qui a été transporté à l'hôpital Gandulfo pour y mourir - et ont emmené María Rosa - connue dans le milieu militant sous le nom de « Mirta ». Elle a été vue dans le centre clandestin connu sous le nom de « El Vesubio ». Certaines personnes se souviennent d'elle serrant dans ses bras une photo de ses deux enfants. Mariano a été emmené au foyer El Alba ; ce qu'ils ont fait de Raquel reste flou car elle avait onze mois et n'en a aucun souvenir. Ensuite, ils ont été réunis dans un poste de police et remis aux grands-parents paternels.

 Raquel s'est rendue en Floride à la fin du mois de juin pour assister aux audiences d'un procès civil contre Bravo, l'un des tireurs de la base d'Almirante Zar, que la Marine argentine a aidé à se réfugier aux États-Unis. Là, il a réussi à devenir un homme d'affaires prospère et à échapper à la justice argentine. Au cours du procès, Raquel a pu exposer son petit trésor : la seule photo qu'elle possède de toute sa famille.

La seule photo que Raquel a de sa famille entière.
Elle est le bébé dans les bras d'Alberto Camps.

Quelle est la valeur pour vous du fait que la dénomination de l'affaire aux États-Unis était Camps contre Bravo ?

Cela avait une signification impressionnante. Mon père - depuis qu'il a survécu au massacre jusqu'à ce qu'il soit tué - a toujours fait des déclarations et a toujours voulu que la vérité soit connue. Le fait que cela se produise 50 ans plus tard est un don de Dieu. La revanche de la vie est impressionnante parce que la vérité émerge et que la justice, d'une certaine manière, a été présente après tant d'années. Le plus frappant est qu'elle s'est réalisée aux États-Unis.

Votre père a dit à Francisco « Paco » Urondo que c'était une obligation pour les trois survivants de raconter ce qui s'était passé à Trelew. L'avez-vous aussi vécu de cette façon ?

J'étais la représentante légale de mon père. J'y allais en tant que successeur de mon père. C'est comme si son cri pour la justice était passé par ma gorge et que nous étions finalement capables de le faire ensemble. Je sentais que je ne le faisais pas seule, que je le faisais avec lui.

Qu'est-ce que ça fait de se retrouver face à face avec Bravo après tant d'années ?

C'était difficile. Nous étions à côté, nous avons écouté lorsque les personnes qui l'accompagnaient et lui demandait comment se passait « ce cirque ». Nous sommes passés par la même porte. Nous étions dans le hall et il était là aussi. C'était difficile de ne pas s'en aller. C'est 50 ans. Cela fait également partie de la recherche de la justice d'où nous venons, de l'amour et non de la haine. Nous avons toujours été respectueux de la justice que nous voulions obtenir. Heureusement, nous avons eu notre moment pour parler et pour être émus aussi. Il était très important pour nous que les avocats Sol Hourcade et Eduardo Hualpa soient présents car ils ont pu nous expliquer de nombreux aspects juridiques, mais aussi en raison du soutien humain qu'ils nous ont apporté.

Comment s'est développée la stratégie de la constitution de partie civile aux Etats-Unis ?

C'est grâce à un contact que le Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS) à propos de cette loi qui permet ce type de procès aux États-Unis. Nous avons commencé à en parler en 2019 environ. Le Center for Justice and Accountability (CJA) a contacté le cabinet d'avocats pour entamer toute la procédure.

Avez-vous jamais imaginé de revenir avec une victoire aux Etats Unis ?

Non. Nous avions beaucoup d'espoir quand il a témoigné parce qu'il s'est contredit, mais nous n'avions jamais été dans un procès avec un jury. Nous avons parfois été très positifs et parfois nous avons pensé que le délai de prescription pourrait jouer contre nous car il s'agit d'un événement qui s'est produit il y a 50 ans.

Dans sa  déclaration, Bravo finit par reconnaître la dissimulation de la Marine.

Oui, à aucun moment il n'a dit que ça n'a pas eu lieu. A chaque fois, il dit que c'était de l'auto-défense. L'argument n'avait aucun sens.

Pensez-vous que les répercussions de la condamnation dans le procès civil peuvent avoir un impact sur la demande d'extradition ?

Je le crois et l'espère. Nous continuons à travailler dans ce sens.

Comment pensez-vous que le système judiciaire argentin a traité les proches des victimes de Trelew ?

C'était très difficile parce que le procès Trelew (2012) s'est déroulé plusieurs années après. En tout cas pour moi, je commençais à peine à reconstruire mon histoire. Grâce au procès, j'ai pu apprendre beaucoup de choses sur d'autres événements, sur mes parents, et rencontrer des gens. C'était difficile mais, en même temps, c'était vraiment nécessaire pour mon histoire, pour mon identité. La justice a son temps, mais nous avons réalisé que, malgré le temps, nous avons continué à insister et c'est ce dont il s'agit. Eh bien, nous venons de nos aînés : nous avons l'insistance et la persévérance que nous ne voulons pas d'injustice dans quoi que ce soit. C'est pour élever cet esprit, leurs bannières, qu'un monde injuste ne doit pas exister.

Quelle est la reconstruction de l'histoire que vous faites sur la base de ces années ?

Mes parents se sont connus à l'intérieur de la prison de Rawson. Je dis toujours que j'ai commencé par le début qui m'a donné mon existence. Lorsque je me suis rendu à Trelew pour la première fois, j'ai senti que je pouvais entrer en contact avec mon histoire, leurs compagnons, avec les familles des victimes de Trelew. C'est la rencontre de compagnons qui avaient été à Rawson avec lui, qui m'ont dit qu'il donnait des cours de karaté, toutes ces choses qui m'ont aidé à reconstituer un père dont je n'avais aucun souvenir.

Luciana Bertoia para  Página 12

 Página 12. Buenos Aires, le 14 août 2022

Roberto Guillermo Bravo

Traduit de l'espagnol pour  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Cacrlos Debiasi

 El Correo de la Diáspora. Paris, le 17 août 2022

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