11/09/2022 2 articles dedefensa.org  7 min #215313

'Ukrisis' aux origines

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'Ukrisis' aux origines

La guerre en Ukraine, que nous nommons 'Ukrisis', commence pour certains qui interprètent la chansonnette suivant la partition du Parti, le 24 février 2022. • Pour d'autres, tout de même plus attentifs aux événements en-cours, il faut remonter à 2014, avec le coup d'État de Kiev de février de cette année-là. • D'autres enfin, témoignent que le drame s'est noué dans les premières années post-URSS. • Un témoin exceptionnel, l'un des principaux acteurs du côté US, c'est l'économiste Jeffrey Sachs. • Contribution : dedefensa.org et interview de 'Democracy Now !'

Donc, remonter aux origines, c'est-à-dire en 1989-1993, et le traitement qui fut appliqué aux restes épars de l'Union Soviétique, essentiellement à son cœur et à son âme russes. Notre témoin, Jeffrey Sachs, prestigieux universitaire, économiste fameux, acteur essentiel de toute cette période, n'a pas de "langue de coton" ni la langue dans sa poche. Il remonte, lui, aux origines des origines, retrouvant l'un des trois composants essentiels du " déchaînement de la Matière" selon PhG :

« Employant l'expression de "révolution du choix de la thermodynamique", nous ne désignons pas un événement historique précis mais une dynamique, une succession de choix conjoncturels, essentiellement faits en Angleterre, le tout aboutissant à une révolution industrielle et manufacturière de rupture, appuyée sur le "choix de la thermodynamique". Ici, nous pouvons citer des extraits du passage de la Grâce de l'Histoire se rapportant à l'événement, qui présentent parfaitement ce qu'est cet événement selon notre perception... (Voir le  25 janvier 2010.)

» "...Chaunu fait allusion aux"progrès"décisifs accomplis en Angleterre pendant la période de temps influencée directement par la Révolution, - disons entre 1780 et 1820, - dans le domaine du développement des techniques et du machinisme. C'est pendant cette période que s'est forgée la matrice technique du progrès industriel de l'époque moderne ; c'est pendant cette période que le choix est fait de la thermodynamique pour la production d'énergie et le développement de la machine qui va servir de fondement à notre ère technologique. Dans 'Le choix du feu', le philosophe des techniques Alain Gras montre combien ce choix n'était nullement inéluctable..." »

Jeffrey Sachs distingue de même cette période du "déchaînement", selon les mêmes références, - anglo-saxonne et invention de la machine à vapeur (datée symboliquement de 1784) qui entérine le 'choix du feu' :

« Le pouvoir disproportionné du monde occidental, et surtout du monde anglo-saxon, qui a commencé avec l'Empire britannique, et maintenant les États-Unis, a environ 250 ans, donc une courte période dans l'histoire du monde. Il se trouve que, pour de nombreuses raisons très intéressantes, la révolution industrielle est arrivée en Angleterre en premier. Le moteur à vapeur a été inventé là-bas. C'est probablement l'invention la plus importante de l'histoire moderne... »

Jeffrey Sachs est donc un économiste, un universitaire prestigieux et un homme d'influence et d'action comme les Etats-Unis sont capables de produire, restant à la fois totalement intégré au Système (de l'américanisme, bras armé du Système), portant à la fois sur ce Système lorsque le temps et les circonstances le permettent un œil critique, très-critique. C'est effectivement sa démarche pour cette période, cette séquence cruciale des trente années qui nous séparent de la chute de l'URSS, de la fin (?) de la Guerre Froide, du retour de la Russie en tant que telle, identité retrouvée et réaffirmée.

Sachs fut le maître d'œuvre des "conseils" économiques des USA aux pays communistes perdant brusquement toutes leurs références. Professeur à Harvard, et donc détaché auprès des dirigeants russes et polonais durant la dernière décennie du XXème siècle. Ainsi eut-il tout le loisir (?) d'assister directement aux événements et aux responsabilités engagés dans ces événements, débouchant évidemment sur les événements actuels.

« Cela dit, je pense que ce qu'il est important d'observer c'est qu'il n'y a pas de déterminisme linéaire, même à partir d'événements comme ceux-là [les années 1990 en Russie], qui étaient déstabilisants et très malheureux et inutiles, jusqu'à ce qui se passe maintenant, parce que lorsque le président Poutine est arrivé, il n'était pas anti-européen, il n'était pas anti-américain. Ce qu'il a vu, cependant, c'est l'incroyable arrogance des États-Unis, l'expansion de l'OTAN, les guerres en Irak, la guerre secrète en Syrie, la guerre en Libye, contre la résolution de l'ONU. Donc, nous avons nous-mêmes créé une si grande partie de ce à quoi nous sommes confrontés en ce moment par notre propre ineptie et notre arrogance. Il n'y a pas eu de détermination linéaire. C'est l'arrogance des États-Unis, étape par étape, qui a contribué à nous amener là où nous sommes aujourd'hui. »

Jeffrey Sachs mena par conséquent deux combats parallèles dans les années 1990 : l'un pour relever les pays de l'ancienne URSS, l'autre contre ce qu'il jugeait être une incompréhensible volonté de Washington de ne pas aider la Russie. Le paradoxe, sur lequel on reviendra très vite parce qu'il est de taille après tout, est que ces conceptions étaient le pendant économiques de la politique des néoconservateurs qu'il accuse aujourd'hui, - c'est-à-dire les thèses fameuses autour de la "destruction créatrice", autant que les embrassades à propos de la globalisation.

Mais Sachs ne voyait rien de cela, il ne voyait rien de la construction en train de se faire de ce que William Pfaff baptisa «  The Burlesque of Empire », parlant des premiers échos des plans hégémoniques de Cheney (alors secrétaire à la défense de Bush-père), de son adjoint Wolfowitz et du compère Rumsfeld :

« Et il m'a fallu, en fait, un certain temps pour comprendre la géopolitique sous-jacente. C'était exactement l'époque de Cheney et Wolfowitz et Rumsfeld et de ce qui est devenu le 'Project for a New American Century', c'est-à-dire pour la poursuite de l'hégémonie américaine... »

Ainsi en fut-il, la dynamique de l'encerclement de la Russie était lancée, avec au terme l'investissement de l'Ukraine, jusqu'à notre 'Ukrisis' dont tant de nos petits-marquis télévisés attribuent la paternité au monstrueux Poutine. Jusqu'au bout, il nous en fait témoin, Sachs aura essayé d'empêcher l'inévitable...

« La guerre en Ukraine aurait pu être évitée et aurait dû l'être par la diplomatie. Pendant des années, le président russe Poutine a répété que l'OTAN ne devait pas s'étendre jusqu'à la mer Noire, ni jusqu'à l'Ukraine, et encore moins jusqu'à la Géorgie, qui, si l'on regarde la carte, se trouve directement sur le bord oriental de la mer Noire. La Russie n'a cessé de nous dire : "Cela va nous encercler. Cela va mettre en péril notre sécurité. Ayons recours à la diplomatie." Les États-Unis ont rejeté toute diplomatie. J'ai essayé de contacter la Maison Blanche à la fin de 2021, - en fait, j'ai contacté la Maison Blanche et j'ai dit qu'il y aurait une guerre à moins que les États-Unis n'entament des discussions diplomatiques avec le président Poutine sur cette question de l'élargissement de l'OTAN. On m'a répondu que les États-Unis ne feraient jamais cela. C'était hors de question. Ce n'était pas sur la table. Maintenant nous avons une guerre qui est extraordinairement dangereuse. »

L'interview de Sachs a été réalisé le 30 août par le réseau (radio/vidéos) 'Democracy Now !', un des médias alternatifs de gauche les plus anciens et les plus fameux aux USA. Les deux intervieweurs (signalés entre parenthèses) sont Amy Goodman et Juan Gonzales. On trouve une vidéo et un verbatim de l'interview  sur le site du réseau, et une vidéo de l'entretien sur YouTube .

 dedefensa.org

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11/09/2022 dedefensa.org  13 min #215314

'Ukrisis' aux origines

Interview de Jeffrey Sachs

Democracy Now

'Democracy Now !' (Amy Goodman) : Quelle est l'histoire que les gens en Occident et dans le monde entier devraient savoir pour comprendre ce qui se passe actuellement avec ces conflits, avec la Russie, avec la Russie et l'Ukraine, et avec la Chine ?

JEFFREY SACHS : Le point principal, Amy, est que nous n'utilisons pas la diplomatie, nous utilisons des armes. Cette vente annoncée à Taïwan, dont vous avez parlé ce matin, en est un autre exemple.