Bidsina Ivanishvili et son entretien avec l'ambassadeur US
Nous publions ici des extraits d'un article de l'historien allemand Hermann Ploppa paru le 11 mars 2023, concernant les émeutes actuelles en Géorgie. Quoique ne partageant pas nécessairement toutes les conclusions du Dr. Ploppa, il nous a paru utile de traduire ces éléments, peu connus en France, et à prendre sans doute en considération [1].
Lorsque, en 2008, l'ex-président Saakashvili, atlantiste furibond, a décidé d'utiliser les forces armées pour se saisir de la Sud-Ossétie et de l'Abkhazie, la Russie - à la surprise générale - n'est pas restée les bras ballants face à cette nouvelle tentative d'expansion de l'OTAN. Elle a repoussé l'attaque et en cinq jours les troupes géorgiennes avaient dû se retirer des deux républiques.
Ce cassement de gueule a porté grand préjudice à la réputation de Saakashvili, quoique l'opposition ne sut en profiter car elle était divisée et impuissante.
Est arrivé alors sur scène Bidsina Ivanishvili.
Quoique Géorgien, sous le règne du président Yeltsine Bidsina Ivanishvili a fait fortune en Russie, au point qu'il se trouve désormais au n°153 dans le « ranking » Fortune des riches de ce monde, avec un patrimoine estimé à $US 6,4 milliards. Cependant, et contrairement aux autres oligarques, la fortune d'Ivanishvili ne repose pas sur le pillage du bien public russe, mais sur une base relativement plus éthique : importation de biens électroniques occidentaux en Russie.
De retour en Géorgie, Ivanishvili a dépensé un part notable de sa fortune dans des investissements destinés au bien public. Cela lui permit (...) de rassembler l'opposition jusqu'alors divisée, au sein d'une alliance, le parti Rêve géorgien (2012). Cette alliance a alors assuré la déconfiture électorale de Saakashvili, tandis qu'Ivanishvili a été très brièvement par deux fois chef de gouvernement (2012-2013...).
Par ses réformes, le gouvernement de Rêve géorgien a su tempérer les pires excès néo-libéraux de Saakashvili. Des allocations sont mises en place pour les nécessiteux ; le service de santé, privatisé, a été doublé de services de santé publics. Pour ce qui est de la politique étrangère, c'est un peu le modèle Yanoukovitch : pas de vrais changements ; velléités d'intégration dans l'UE et dans l'OTAN. Cependant, le gouvernement a tenu à maintenir de bonnes relations (avec la Russie ndlr)...
Et c'est précisément ce que nos valeureux Otaniens ne souhaitent pas. Il leur faut la guerre totale et sans condition contre la Russie. Au fur et à mesure que la position de Zelensky en Ukraine devient chancelante, ils poursuivent l'objectif de saisir la Russie par une attaque en tenaille, menée par l'Ukraine aux côtés de la Géorgie. Il est donc aisé de comprendre pourquoi l'on essaie avec tant de hargne et de frénésie de se débarrasser de Rêve géorgien : le temps des Otaniens leur est compté.
Or, tandis que dans la plupart des pays les oligarques sont simplement dégoûtants de corruption, Ivanishvili s'est distingué par une certaine tenue et savoir-faire stratégique.
Ainsi, la haine atlantiste se déchaîne non pas sur le seul gouvernement mais sur la personne d'Ivanishvili. Dès le 9 juin 2022 le Parlement européen s'est fendu d'une résolution de six pages (!) contre le gouvernement et plus spécialement contre Ivanishvili. On s'y étend sur le « démontage de la liberté de presse »... sur les « relations personnelles et d'affaires avec le Kremlin ». Et les bons seigneurs de lister douze « recommandations » à la Géorgie désireuse de rejoindre l'UE. On entend un parlementaire lituanien expliquer doctement que « dé-oligarquiser » veut dire « dé-Ivanishvilisier ». Le 14 décembre le Parlement UE réclamait des sanctions contre Ivanishvili en personne pour avoir prétendument entravé « le progrès politique » (sic) dans son pays et aidé la Russie à contourner les sanctions.
Par ailleurs, Ivanishvili avait déposé des fonds auprès de la banque Crédit Suisse, qui connaît, notoirement, de gros problèmes. Ce faisant, il a été trompé par un conseiller en investissement et dépouillé de sommes conséquentes [2].
Or, la cible n'était pas Ivanishvili. Ledit conseiller était chargé par Credit Suisse de s'occuper des oligarques résident en Russie ; il a été jugé en Suisse et s'est suicidé il y a deux ans. Alors qu'il s'agit là d'un lamentable fait divers, sous différents prétextes spécieux des dizaines de millions d'euro n'ont toujours pas été rendus à Ivanishvili par le département de conseil en entreprise de Crédit Suisse Groupe. Si une partie de ces fonds serait dans le périmètre des sanctions réclamées par le Parlement européen, lesdites sanctions n'ont toujours pas été validées par la Commission européenne. Entretemps, Ivanishvili a attaqué le Credit Suisse en dommages-intérêts, réclamant env. $US 800 millions pour perte de chance en investissement. Il a déclaré qu'en cas de succès devant les tribunaux, les fonds iront aux Géorgiens pour des œuvres sociales.
Autre curieuse rumeur - non encore confirmée - qui fait les rondes en Géorgie : le 21 mars 2022 l'Ambassadeur US Kelly Degnan aurait convoqué Ivanishvili à un entretien qui aurait duré 3 heures. L'Amb. Degnan aurait expliqué que M Ivanishvili recevrait les fonds qu'il réclame au Credit Suisse, à condition que la Géorgie s'engage aux côtés de l'Ukraine contre la Russie et y envoie un contingent nourri de soldats - 200 000 hommes semble-t-il (population géorgienne : 3.7 millions - ndlr). Ivanishvili aurait alors courtoisement refusé.
Toujours est-il que le 27 juillet 2022 Ivanishvili a publié une lettre à son peuple [3], où il se réfère à la conversation avec l'Ambassadeur en termes voilés, diplomatiques. Aucune référence au marchandage proposé. Cependant, Ivanishvili réitère à plusieurs reprises dans la lettre qu'au cours de l'entretien, il a insisté que la Géorgie ne se mêlerait pas de la guerre.
(...) Le parti Rêve géorgien a été fondé sur un réel mouvement de base. Mais au cours des dernières années, il a bêtement négligé de maintenir ce contact direct avec la base et d'exprimer les souhaits du peuple en termes clairs et compréhensibles pour tous. Il n'arrive donc plus à mobiliser ses propres gens.
Autre grave erreur : le parti a fait nommer le diplomate Salomé Zourabashvili comme Président (2018). Le président est citoyenne française (née en France en 1952 - ndlr); diplomate de formation, elle a terminé ses études en géopolitique sous la houlette directe de Zbigniew Brzezinski à l'Université de Columbia (NYC). En 2003 elle prit la nationalité géorgienne (elle parle encore difficilement la langue - ndlr); Rêve géorgien s'est montré avide d'avoir dans ses rangs un diplomate chevronné disposant de tels réseaux.
Début mars, le président Zourabashvili n'a trouvé rien de mieux que d'envoyer depuis New York un vidéo où elle salue expressément les émeutiers.
envoyé par Mendelssohn moses