21/03/2023 reseauinternational.net  13min #225855

 Vous n'avez aucun pouvoir ici. Que signifie pour Poutine le « mandat d'arrêt » de la Cpi

Illégalité du mandat d'arrêt contre Poutine et erreur politique stratégique de l'Axe atlantiste

par Karine Bechet-Golovko

Ce 17 mars, la Cour pénale internationale a délivré deux mandats d'arrêt pour déportation d'enfants sur le fondement de l'art. 8 du Statut de Rome (crime de guerre) à l'encontre du président russe Vladimir Poutine et de l'Ombudsman russe pour les enfants Maria Lvova-Belova. En soi, la décision est juridiquement surprenante, puisque la Russie, tout comme les États-Unis, n'est pas un État-membre et ne reconnaît pas la compétence de cette institution internationale, ce qui rend a priori infondée toute décision à son égard et à l'égard de ses ressortissants. Mais le problème n'est pas que juridique, beaucoup de questions se posent aussi sur l'impact politique d'une telle violation outrageuse du droit international : au-delà d'une incertaine limitation de la liberté de mouvement du président russe, c'est le système institutionnel international issu de la Seconde Guerre mondiale qui s'écroule, permettant une reconsolidation de toute la société russe autour de son président. La Russie n'étant jamais aussi forte que lorsqu'elle n'a pas le choix, c'est un étrange cadeau, qui vient de lui être fait.

De l'illégalité des mandats d'arrêt, délivrés par la CPI contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova

Selon les déclarations publiées sur le  site officiel de la CPI, le président russe et l'Ombudsman pour les enfants sont accusés de déportation d'enfants, sur le fondement de l'art.8, c'est-à-dire pour crime de guerre. Je cite :

« M. Vladimir Vladimirovitch Poutine, né le 7 octobre 1952, Président de la Fédération de Russie, serait responsable de crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d'Ukraine vers la Fédération de Russie (en vertu des articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome). Les crimes auraient été commis sur le territoire ukrainien occupé, au moins à partir du 24 février 2022. Il existe des motifs raisonnables de croire que M. Poutine porte une responsabilité pénale individuelle pour les crimes susmentionnés, pour avoir commis les actes directement, conjointement avec d'autres et/ou par l'intermédiaire d'autrui (article 25(3)(a) du Statut de Rome), et pour son manquement à exercer un contrôle approprié sur les subordonnés civils et militaires, qui ont commis les actes ou ont permis qu'ils soient commis, et qui étaient sous son autorité effective et son contrôle, conformément à la responsabilité du supérieur hiérarchique (article 28(b) du Statut de Rome). »

La responsabilité de l'Ombudsman est également engagée sur le fondement de l'art. 8 pour déportation illégale d'enfants et de l'art. 25(3) pour l'avoir réalisée, seule ou avec d'autres personnes.

Il est extrêmement surprenant de voir cette Cour adopter ces actes, à l'égard de ressortissants d'un pays qui n'est pas membre et qui ne reconnaît pas par convention la compétence de la CPI. Certes, l'Ukraine a reconnu la compétence de la CPI et participe aux enquêtes sur son territoire. La Cour peut donc y enquêter, sur le fondement de l'art. 4 du Statut de Rome, sur la militarisation des sites civils protégés par les Conventions de Genève par l'armée atlantico-ukrainienne, sur les répressions menées par cette armée contre les civils, sur les exactions commises par cette armée contre les militaires russes et sur toute infraction au Statut de Rome.

Si la Cour peut enquêter sur le territoire ukrainien, elle n'est en revanche pas compétente à l'égard de la Russie. Selon l'art. 12 (Conditions préalables à l'exercice de la compétence) point 1 :

« Un État qui devient Partie au Statut accepte par là même la compétence de la Cour à l'égard des crimes visés à l'article 5. »

Or, la Russie n'est pas partie. Donc, les infractions qui lui sont imputées sur le fondement de l'art. 8, qui détaille une partie des infractions énumérées à l'art. 5, ne ressortent pas de la compétence de la CPI. Et les  déclarations du procureur, voulant à tout prix expliquer que leur « enquête indépendante » aurait permis de mettre en lumière ces crimes, sans l'ombre d'un doute, n'ont aucun fondement, puisque les conditions préalables de la compétence de la CPI ne sont pas réunies.

Une accusation grotesque sur le fond : « déportation » d'enfants vers Artek, loin des lignes de front

Des centaines d'enfants d'Ukraine auraient été, de force, envoyés loin du front vers la Russie. Ces orphelins auraient même eu le malheur d'être adoptés et de pouvoir tranquillement vivre une vie normale, loin du chaos guerrier ukrainien. Effectivement, cela doit être condamné, le combat pour les cerveaux fait rage en Ukraine. Et le Procureur s'y engage, en toute « objectivité ».

« Les incidents identifiés par mon Bureau comprennent l'expulsion d'au moins des centaines d'enfants retirés d'orphelinats et de foyers pour enfants. Beaucoup de ces enfants, selon nous, ont depuis été donnés à l'adoption en Fédération de Russie. La loi a été modifiée dans la Fédération de Russie, par des décrets présidentiels émis par le président Poutine, pour accélérer l'attribution de la citoyenneté russe, facilitant leur adoption par les familles russes.

Mon Bureau allègue que ces actes, entre autres, démontrent une intention de retirer définitivement ces enfants de leur propre pays. »

Rappelons, que lors de l'avancée de l'armée russe, les populations locales refusent en grande majorité d'aller plus profondément en Ukraine et se débrouillent, malgré les menaces et les répressions pour aller vers la Russie. Donc, le caractère « forcé » du déplacement d'enfants est plus que suspect, même si cette réalité n'entre pas dans le discours pro-ukrainien fanatiquement de mise dans les pays et institutions de l'Axe, pour des raisons évidentes d'auto-légitimation. Par ailleurs, l'armée atlantico-ukrainienne ciblant les sites civils, comme les hôpitaux ou les écoles, fallait-il laisser les enfants en danger ?

Nous avons également des cas d'enfants, qui venus des villes alors libérées par la Russie dans la région de  Kharkov, de Kherson ou du Donbass, ont été envoyés par leurs familles dans des camps de vacances lors de l'été 2022. Pour qu'ils soient loin du front, loin des zones de combats. Pour qu'ils puissent être des enfants. Ceci est certainement aussi un crime : comment peut-on laisser ces enfants voir une autre réalité, que celle propagée par la propagande atlantico-ukrainienne.

« 45 enfants de Severodonetsk se reposeront dans le territoire de Perm et 200 enfants de Kupyansk sont allés dans le territoire de Krasnodar pendant deux semaines. »

Le  premier groupe d'enfants de Koupiansk est arrivé début août et un second groupe était attendu dans la ville balnéaire de Guelendjik fin août. La région de  Pskov accueille également environ 500 enfants, venus de la région de Kherson. Tout allait très bien... jusqu'au retrait de la Russie d'une grande partie de ces zones. Et les enfants sont rentrés en octobre, en larmes, avec des mères qui pleuraient, vers Koupiansk ou Izium, sous la menace des autorités ukrainiennes, ayant pris en otage le reste de la famille sur place. Extrait du témoignage du correspondant de guerre  Kots :

« Nous avons soigneusement proposé de l'aide - restez, nous vous aiderons à vous installer ici, dans le Kouban. La plupart des mamans ne répondaient que par des regards mélancoliques. Et les enfants ont demandé à rester. Et seuls quelques-uns ont admis tranquillement : nous avons une sœur et une mère là-bas, ou un mari, ou quelqu'un d'autre. Ils sont comme des otages. On ne peut pas rester, tu comprends ?

Ainsi, nos enfants ont été emmenés dans de nouvelles doudounes et bottes - ils étaient tous habillés hier seulement pour l'hiver. Gratuitement. Comme auparavant, ils étaient habillés pour les vacances à la plage, puis pour l'automne. Après tout, la plupart d'entre eux ont quitté leur maison avec presque rien. Et hier, ils sont repartis avec de tout nouveaux smartphones, qui ont été offerts à tout le monde pour communiquer avec leurs proches. Et avec un tas de souvenirs heureux de semaines heureuses dans le camp.

Il était impossible de ne pas rendre les enfants à leurs parents. Nous l'avons tous compris. Mais des questions douloureuses perçaient parfois dans les cœurs : où les emmènes-tu ? Et les gens ont honnêtement répondu - nous ne le savons pas nous-mêmes.

Les enfants ont demandé : « Maman, où allons-nous ? À Izyum ? Elles ont souri amèrement. « Quel d'Izyum... notre maison n'est plus là, mon bébé ». « Où allons-nous ? » « Je ne sais pas ». »

Je ne pense pas que dans son « enquête objective », le Procureur de la CPI s'occupe de ce crime de prise d'otage, pourtant condamné et lui réellement commis.

L'erreur politique stratégique commise par la CPI

Les dirigeants des pays de l'Axe se félicitent de leur victoire politico-médiatique, sachant très bien que cette décision n'aura aucun effet juridique réel, tant que le conflit ne sera pas terminé et qu'ils ne l'auront pas gagné. La justice pénale internationale est une justice de vainqueurs, comme le rappelle à juste titre  Medvedev aujourd'hui. Il faut une victoire, pour qu'elle puisse se dérouler. Il faut soit une victoire militaire et les vainqueurs jugent les vaincus, comme à Nuremberg - alors la décision adoptée, vaut le temps que les vainqueurs restent vainqueurs, comme nous le voyons aujourd'hui avec la réhabilitation du nazisme en Occident. Soit, il faut une victoire idéologique, pour les vainqueurs puissent juger ceux, qui portent atteinte à leur hégémonie - ce que les Etats-Unis tentent de faire, mais un peu trop tôt, leur hégémonie étant contestée.

Donc la  France se félicite de cette décision inapplicable, puisque chacun devra répondre de ses actes indépendamment de son statut. C'est beau ! Mais bizarrement, ça ne concerne pas le criminel en chef, que sont devenus les États-Unis. Lorsque cette même CPI a fait une tentative pour les incriminer, il lui a été rappelé que les États-Unis n'étant pas État-membre et ne reconnaissant pas la compétence de la CPI, tout comme la Russie, elle ne peut rien faire. À la différence de la Russie, puisque tous les pays ne sont pas égaux dans le système global, la CPI s'est alors en toute logique arrêtée, n'étant objectivement pas compétente.

Le fait que la CPI continue malgré son incompétence aujourd'hui marque la fin du système institutionnel issu de la Seconde Guerre mondiale et cela est la première erreur stratégique politique commise par l'Axe ici. En agissant pour des motifs géopolitiques en dehors de sa compétence juridique, la CPI reconnaît le changement de sa nature : elle n'est plus un organe international, elle est objectivement un organe de gouvernance globale. Juridiquement, car en droit international, les Etats étant souverains, ils ne peuvent se voir opposer que des obligations auxquelles ils ont formellement et antérieurement consenties. Politiquement, car un seul centre politique, les États-Unis, est hors de tout jugement et utilise les organes existants en fonction de ses intérêts, seuls légitimes. Ce qui est la globalisation. Et la déclaration du président américain  Biden trouvant justifiée la décision de la CPI, quand les États-Unis lui avaient rappelé les limites de sa compétence, l'affirme ouvertement.

La seconde erreur est la fragilisation des pays de l'Axe.  L'Allemagne peut certes s'emballer en laissant son ministre de la Justice menacer sur les ondes d'une arrestation de Poutine, s'il entre sur le territoire allemand, la réalité politique est bien loi du discours médiatique. Les pays de l'Axe sont conduits à reconnaître la décision de la CPI, car ils reconnaissent le pouvoir supérieur des États-Unis, ils n'ont donc pas le choix. Mais ce sont leurs organes étatiques, qui doivent mettre en œuvre cette décision, si le Président russe entre sur le territoire d'un pays membre. Et il n'est pas évident que les contraintes politico-juridiques et processuelles nationales tiennent longtemps... Ces pays ne sont pas juridiquement en guerre, n'osent pas en raison du manque de soutien de leur population. Menacer, et encore plus, arrêter un chef d'Etat en fonction est une déclaration de guerre.

Comme le souligne le président  serbe :

« Vucic, commentant le mandat d'arrêt de la CPI contre le président de la Fédération de Russie, a déclaré que l'Occident tente d'atteindre deux objectifs avec cette étape : montrer qu'il ne s'inquiète pas d'une éventuelle escalade du conflit, et essayer de faire pression sur les pays qui continuent de coopérer avec la Fédération de Russie. »

La troisième erreur politique stratégique de l'Axe est la consolidation de la société autour de son président. Le  président de la CPI est choqué et surpris de la réaction unanime de la société et des élites en Russie, soutenant le président Poutine. L'Occident oublie que nous ne sommes pas à la fin des années 80, les Russes n'ont aucune nostalgie pour ce que devient l'Occident, un phénomène anti-civilisationnel. Ils regrettent l'Europe des années 70, oui, mais pas celle d'aujourd'hui. Ils sont fiers d'être russes, fiers de leur pays et veulent être respectés en tant que tel. Pour une grande partie d'entre eux, Poutine incarne ce relèvement de la Russie. Et d'une manière générale, lui étant plus reproché sa délicatesse à l'égard des élites pro-globalistes russes, il obtient un soutien sans faille quand il tient justement une position forte.

Le tribunal de Marioupol, la meilleure réponse à apporter par la Russie

Il y a eu de nombreuses déclarations politiques en Russie, à tous les niveaux, arrivant toujours à la même - et juste - conclusion : cette décision de la CPI, juridiquement, ne concerne en rien la Russie. Celle-ci n'a pas à participer à cette farce pseudo-judiciaire, elle n'a pas à appliquer les décisions adoptées en dehors de son champ juridique.

En revanche, au-delà des déclarations politiques, il est important d'agir. Cela fait longtemps que l'on parle du procès de Marioupol, devant juger les criminels de guerre de l'armée atlantico-ukrainienne. L'organisation de ce procès serait la meilleure réponse à apporter. Et certains signes laissent place à l'espoir.

Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a déclaré que le Kremlin soutenait l'idée du président du Comité d'enquête de mettre en place un tribunal spécial, chargé de l'examen de ces crimes :

« Nous savons que des travaux sont en cours. Le Comité d'enquête enregistre soigneusement tous les crimes du régime de Kiev. Un travail très intense, scrupuleux et minutieux est en cours, dont les éléments, bien sûr, peuvent constituer la base d'un tel tribunal. »

Par ailleurs, lors de son passage à Marioupol, le président Poutine s'est rendu au Philharmonique de la ville, qui a été reconstruit... et dans lequel une salle spéciale a été organisée en salle de tribunal.

Peut-être ce mandat d'arrêt va-t-il enfin permettre à la Russie de se résoudre à entrer sur le terrain juridique, élément incontournable du combat civilisationnel qui se mène.

 Karine Bechet-Golovko

source :  Russie Politics

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