Alain Tranchant, pour France-Soir
Manifestants opposés à la réforme des retraites, place de la Nation, le 28 mars 2023.
F. Froger / Z9, pour France-Soir
L'AVIS TRANCHANT D'ALAIN - Il faut se rendre à l'évidence : pour le pouvoir, il y a milliards de déficit et milliards de déficit, et tous ne requièrent pas de décisions en urgence absolue.
Peut-être n'ont-ils pas la même charge symbolique. Et sans doute en est-il de la politique comme de la médecine. S'il existe d'un côté du mauvais et du bon cholestérol, il doit y avoir de l'autre de mauvais et de bons déficits, et plus ils sont abyssaux, mieux ça vaut !
Au cours des dernières semaines, un homme est intervenu à plusieurs reprises dans le débat sur la réforme des retraites, sans toutefois retenir l'attention des grands médias d'information. Il s'agit d'Henri Guaino, successivement commissaire au plan, conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, député de la nation. Et cet homme a fait entendre un discours bien différent de celui des dirigeants de la droite républicaine.
Pour résumer l'argumentation du pouvoir et de ses partisans, la réforme des retraites - qui met le pays à feu et à sang, quand ce n'est pas en confinement du fait des blocages - a pour but d'économiser chaque année 10 à 12 milliards d'euros pour sauver le régime de retraite par répartition.
Mais, Henri Guaino le souligne dans Le Figaro du 27 mars, personne n'a été "capable de dire d'où venaient les chiffres qui servaient de justification à ce projet", portant de 62 à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite.
Et il ajoute : "Il est devenu clair que même les ministres ne le savaient pas quand le ministre du Travail n'a rien trouvé d'autre à répondre à un député que : 'je n'ai pas de comptes à vous rendre sur mes chiffres'".
Propos inacceptable, et étrange motivation, en effet !
Plus fondamentalement encore, l'ancien commissaire au plan souligne que "les seules données un peu sérieuses dont nous disposons sont celles du rapport du Conseil d'orientation des retraites". Et "de ses travaux, il ne ressort nulle part qu'il y a un risque de faillite à l'horizon", d'autant que "la part des dépenses de retraite dans le revenu national est appelée au pire à se stabiliser et au mieux à se réduire dans les décennies à venir".
Suivant Henri Guaino, "s'il y a quelque chose à discuter aujourd'hui c'est du niveau des salaires sur lesquels sont prélevées les cotisations et, dans l'avenir, de l'assiette du financement compte tenu notamment des mutations du travail".
Quand on lit cela, quand on voit l'état d'ébullition du pays en ce mois d'avril 2023, quand on mesure les risques liés à un engrenage infernal, on a envie d'écrire : "Tout ça pour ça, stop !". Et on ne résiste pas à la tentation de renvoyer à leur bilan les gouvernants de rencontre qui se produisent sur les estrades et, désormais, dans les magazines les plus improbables.
Car les chiffres ne plaident pas en leur faveur, sont d'une autre dimension, sans pour autant appeler de leur part la moindre action sérieuse, alors que nous dansons sur un volcan et que nous sommes à la merci d'une hausse brutale des taux d'intérêt.
Au mois d'août 2022, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, affirmait péremptoirement au quotidien Sud-Ouest : "Personne ne doit douter de ma détermination à rétablir les finances publiques de la France. Pour faire face à d'autres crises éventuelles, nous devons reconstituer nos réserves financières".
Beau programme ! Quelques semaines plus tard, il présentait une loi de finances pour 2023 avec 500 milliards d'euros de dépenses pour 345 milliards de recettes, soit un déficit de 155 milliards !
"Reconstituer nos réserves financières" sur une telle base va, sans aucun doute, s'avérer un exercice compliqué. Et ce n'est pas la situation du commerce extérieur qui va faciliter un redressement des comptes de la maison France, avec un déficit de 164 milliards d'euros en 2022, venant sanctionner une production nationale insuffisante en matière industrielle et même, désormais, dans le domaine agricole, notre pays étant contraint d'importer des produits alimentaires, un comble étant donné le statut de grande puissance agricole qui a été, et qui devrait encore être le nôtre.
Sur un autre plan, justifier la réforme des retraites en culpabilisant le peuple français, au motif que les générations actuelles vivraient sur le dos des générations futures auxquelles elles vont léguer leurs dettes, est un discours insupportable si l'on considère que, de près ou de loin, M. Macron a été associé aux 340 milliards de dette publique supplémentaire du quinquennat Hollande, et se trouve à l'origine des 600 milliards qui sont venus s'y ajouter lors de son premier mandat.
Quand on a attaché son nom à environ un tiers des 3 000 milliards de dette publique de la France, et que l'on s'est montré incapable de réduire la dépense publique depuis tant d'années, on s'abstient de faire la leçon et on a le droit - que dis-je ? - le devoir de faire preuve d'un peu plus de modestie et de beaucoup moins d'arrogance.
Pour ramener la concorde dans le pays, M. Macron serait bien inspiré de s'en remettre au suffrage universel, et le plus tôt sera le mieux. Il a le choix entre un référendum suivant l'article 11 de la Constitution et une dissolution de l'Assemblée nationale, deux outils voulus pour permettre au président de la République de recourir à l'arbitrage du peuple souverain.
Dans un cas comme dans l'autre, le président de la République doit engager sa responsabilité devant le peuple. C'est une des pièces maîtresses de la Constitution de la Vème République. En cas de désaveu, il doit se démettre. C'est la jurisprudence De Gaulle au soir du référendum du 27 avril 1969, où il recueillait 47,6 % des suffrages exprimés.