19/09/2023 mondialisation.ca  11min #234057

Le Roi est nu!

Par  Jean-François Geneste

Je voudrais réagir aux deux articles suivants 1. Ils font état de la déclaration récente de Vladimir Poutine comme quoi la Russie aurait développé des armes basées sur de nouveaux principes physiques. Hélas, je n'ai pas eu accès à une traduction professionnelle du russe et encore moins au contexte dans lequel ces mots ont été prononcés. Je me contenterai donc dans ce texte d'en rester à la lettre de ce qui est écrit.

Les deux articles sont en réalité de peu d'intérêt, car ils passent totalement à côté du sujet. Le premier fait peu ou prou des élucubrations sur des progrès dans certains domaines d'armes existant déjà, mais qui deviendraient plus performantes comme les lasers ou des moyens basées sur la physique des hautes énergies. Le deuxième se concentre davantage sur le potentiel productif russe dans un contexte de sanctions. Bref ! Rien sur les principes physiques nouveaux !

La première question à se poser est de savoir si ce que dit Poutine est crédible. La réponse est oui et il nous faut ici expliquer pourquoi. Durant la guerre froide, l'Union soviétique et l'Occident ont largement divergé dans toutes les disciplines scientifiques. Sans entrer dans les détails, la Russie est restée dans un état d'esprit que je qualifierai d'européen de la Renaissance, soit la méthode qui nous a valu les progrès industriels du XIXe siècle, mais seulement après les avancées conceptuelles des siècles précédents.

De son côté, l'Occident et le reste du monde ont convergé vers le modèle imposé par les Anglo-Saxons. Une structure qui doit avoir un retour sur investissement, qui veut tout évaluer financièrement et qui a la désagréable habitude de créer des coteries. Cela s'est fait via les revues dites à comité de lecture qui ont su développer bien des stratégies, avant tout commerciales, qui ont fait leur fortune et ont conduit à une uniformisation de la science en portant au pinacle des gens, au final, conformistes et moyens 2 ! Le système n'a donc que toujours creusé le même trou et ceux qui ont essayé de voir ailleurs n'ont tout simplement pas eu accès à la parution. Je ne veux pas trop m'étendre sur un sujet qui prendrait des pages, mais qui est assez bien documenté. L'épisode du COVID aura montré en grandeur nature le dispositif pourri de la publication scientifique, le non-accès aux vrais penseurs et la mise en valeur des « mauvais », sans compter leurs nombreux conflits d'intérêts. Il ne faut pas un seul instant imaginer qu'une unique discipline scientifique ait échappé à ce phénomène. Il y a juste un peu moins d'argent ailleurs, mais le principe reste le même.

Il y a donc une possibilité, le monde russe ayant été quelque peu préservé, que ce dernier ait, partiellement au moins, continué sur sa lancée et ait fait des découvertes fondamentales nouvelles et non publiées, ou bien promulguées en russe dans de sombres (pour l'Occident) revues locales. Qui sait par exemple que la théorie de l'apprentissage statistique a été inventée en URSS par Vapnik et Chervonenkis 3 dans un article de 1971 et qui n'a été véritablement pris en considération en Occident que vers 1989 ? Dans d'autres domaines, nous savons que l'URSS avait développé une biologie qui n'était pas tournée à 100% sur le moléculaire comme c'est aujourd'hui le cas et depuis longtemps chez nous. Et il y a eu bien des dossiers additionnels, expérimentaux parfois, qui ont été amorcés via des érudits qui pensaient différemment et ont eu des résultats étonnants que l'on a ou pas, selon les circonstances, pu reproduire.

Feu mon ami Georges Lochak avait l'habitude de lancer qu'en URSS, même s'il y avait la dictature, c'était suffisamment « le bordel » dû à l'immensité du pays, pour que quelques-uns soient vraiment libres de faire ce qu'ils voulaient.

Voilà pourquoi il faut prendre, à mon avis, ce qu'a annoncé Poutine, très au sérieux et cela laisse peser un poids extraordinaire sur l'Occident qui, si de telles armes étaient révélées, par exemple dans le conflit ukrainien, montreraient un retard conceptuel occidental supplémentaire important et aggloméreraient le flux scientifique mondial vers la Russie qui deviendrait, en la matière, le leader des BRICS alors même que la concurrence sur les sujets traditionnels est rude avec la Chine et l'Inde.

Passons maintenant aux nouveaux principes physiques. J'en reviens à George Lochak qui disait régulièrement que depuis l'expérience japonaise au CERN de 1956 sur la violation de la parité, aucun progrès théorique n'avait été fait. Il parlait bien entendu de mécanique quantique. Le public n'a, bien sûr, pas idée de cela. Pourtant, depuis que les bases de cette discipline ont été jetées, on doit bien reconnaître que peu de choses ont bougé. Plus singulièrement et pour donner un exemple concret, la plus grande avancée qui a été faite est celle concernant les particules intriquées, sujet soulevé par Einstein, Podolsky et Rosen 4 en 1935 et qui a valu le prix Nobel 2022, entre autres, à Alain Aspect, lequel n'a rien inventé sinon qu'il a réalisé en 1980 une expérience qui était impossible avec la technologie des années 30.

Rappelons aussi brièvement que la physique quantique est non causale, ce qui ne dérange quasiment personne, sauf quelques rares individus de bon sens comme David Deutsch 5 par exemple. Par ailleurs, nous avons quatre familles de théories décrivant le noyau atomique, mais elles sont contradictoires 6, ce qui nous laisse dans une détresse profonde alors que nous parlons couramment de l'ère atomique et d'énergie nucléaire.

Alors les nouveaux principes de la physique devraient être en dehors des sentiers battus, hors quantique, hors relativité qui sont, en quelque sorte, les deux tours jumelles de cette science. La Russie va-t-elle signifier un 11 septembre pour cette discipline ? Ce serait intéressant ! Ou alors va-t-elle se contenter, comme l'a fait la théorie d'Einstein avec la mécanique classique, de seulement changer le domaine de validité des théories existantes ? Nous ne pouvons, bien entendu, pas le savoir à l'avance. Mais puisqu'il s'agit d'armements, nous allons essayer de deviner certaines possibilités.

Si nous considérons l'énergie, la tendance historique est à une concentration toujours plus grande de cette dernière. Ainsi, dans un kilogramme de bois il y a moins d'énergie que dans un kilogramme de charbon qui lui-même en a moins que le pétrole, inférieur au gaz, inférieur lui-même au nucléaire de fission pour aboutir, aujourd'hui à la fusion que l'on nous promet sans cesse, mais qui n'arrive pas. Pourrait-il y avoir quelque chose de supplémentaire et de plus concentré qui, bien évidemment, pourrait constituer une arme guerrière, mais aussi économique ?

La théorie du chaos est née au vingtième siècle. Bien que le constat fut fait, on n'en a pas trouvé beaucoup d'applications à ce jour. Elle a été popularisée par l'effet papillon qui dit qu'un battement d'ailes en Amazonie peut créer un ouragan en Inde. Si l'on dévoilait une méthode de contrôle de cela, voilà une découverte qui serait prodigieuse. La même technique, peu ou prou, permettrait de déclencher des catastrophes « naturelles » de-ci de-là, tremblements de terre, inondations, sécheresses, etc.

Une meilleure connaissance de la matière pourrait autoriser la mise au point de nouveaux matériaux, de concevoir d'innovantes formes d'énergie. Rêvons un peu et envisageons que les Russes auraient compris ce qu'est la matière noire et sauraient s'en servir. Alors… !

Il semblerait que Poutine ait plutôt parlé de défense que d'attaque. On pourrait songer à une possibilité de solidifier à distance les fluides dans lesquels se meuvent les mobiles, que ce soient des missiles ou des bateaux. Ils seraient simplement paralysés et même pas détruits !

Comme chacun pourra le voir, l'imagination ne manque pas et ses réalisations sont à la portée de tout un chacun. En revanche, découvrir de nouveaux principes physiques n'est à la portée que de quelques-uns et la science officielle et actuelle est devenue une telle religion, qu'il aura fallu aux savants une bonne dose d'esprit critique ainsi qu'une connaissance approfondie de ce qui est maîtrisé pour arriver à faire la rupture.

Je vais me faire plaisir en donnant ici un exemple qui m'est cher. Il s'agit de la viscosité de l'air. Si vous prenez un volume élémentaire d'air et écrivez quelques principes de base, c'est-à-dire que l'énergie qui y entre est égale à celle qui en sort (en régime établi), qu'il y a conservation de la masse, etc., vous tomberez sur un système d'équations auquel on a prodigué le nom de Navier-Stokes. On ne sait pas le résoudre analytiquement, mais c'est avec lui que l'on fait voler, avion, missiles et fusées. Dans une approximation linéaire qui est particulièrement bien décrite dans le fameux livre de Landau et Lifshitz, on obtient, pour écrire ces équations, deux coefficients de viscosité. Et pour les objets que nous concevons, nous négligeons toujours le deuxième. Néanmoins, cela s'obtient à partir d'équations et personne ne sait vraiment à quoi ces coefficients correspondent vraiment d'un point de vue physique. Si on se passait de l'approximation linéaire et si l'on considérait, localement, une décomposition en séries entières nous aurions alors potentiellement une infinité de tels coefficients dont nous saurions encore moins interpréter à quoi ils correspondent réellement.

Passons à la théorie cinétique des gaz, découverte par Boltzmann, et qui suppose que les molécules d'un fluide subissent des chocs élastiques. Cela ne conduit à aucune viscosité. Il y a donc un problème puisqu'une autre approche donne au moins deux coefficients ! Alors, me direz-vous ? Eh bien la viscosité existe bien, car si tel n'était pas le cas, les équations de Navier-Stokes nous disent que les avions ne voleraient pas !

Passons maintenant à Maxwell qui publia en 1867 une étude de la viscosité de l'air qui le mena à considérer non plus des chocs élastiques entre molécules, mais une force de répulsion d'évitement en 1/r5. Cela est bien plus acceptable, mais pour des raisons que je ne connais pas, ce modèle ne fut pas retenu.

Au travers de ce court exemple simplifié, j'espère vous avoir fait sentir ce que peut vouloir dire « nouveaux principes physiques », puisqu'entre Maxwell et Boltzmann, il y a clairement incompatibilité.

Il nous reste à revenir à la politique et à nous demander pourquoi la déclaration de Poutine. En réalité, la situation sur le terrain, côté russe, n'est pas si satisfaisante que cela. C'est dû à plusieurs facteurs. Bien entendu, les Ukrainiens aidés des Occidentaux ont progressé et ont trouvé quelques faiblesses dans le dispositif russe. Il y a aussi la non-volonté de mener une guerre et de bombarder massivement, ce qui plaide pour l'humanisme de Poutine, mais, comme chacun le sait, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, l'OMS aura au final probablement coûté bien plus de vies que n'en aurait fait une opération de destruction qui n'aurait duré que quelques jours. Il y a enfin une réticence, semble-t-il, du côté russe, à vouloir utiliser les mobilisés récents et à faire une incorporation supplémentaire, élections présidentielles obligent. Alors, si d'aventure de nouvelles armes faisaient leur apparition sur le champ de bataille, avec une efficacité importante et qui ne peut pas être contrée, cela pourrait s'avérer une solution commode pour le pouvoir russe.

On sent néanmoins une certaine réserve de ce dernier à s'en servir, car, a priori, si on lit entre les lignes, ces armements pourraient être facilement réplicables et peut-être les Russes eux-mêmes pourraient-ils en pâtir. Rappelons-nous, à titre d'exemple, la bombe atomique. Elle était basée sur un principe physique original et très vite elle fut à la portée de tout le monde. Les plus anciens se souviendront que dans les années 80 un étudiant britannique avait publié des plans d'une telle arme et chacun sait bien que ce qui est difficile à faire n'est pas la bombe elle-même, mais à obtenir le « combustible ». C'est d'ailleurs pour cela que le Mossad utilisa Stuxnet pour détruire les centrifugeuses iraniennes il y a quelques années.

Nous conclurons donc encore une fois comme de nombreux articles qui ont précédé que le roi Occident est nu ! Il est piégé dans son système économique qui ne fait émerger que les plus moyens donc pas les meilleurs, qui ne développe que ce qui est rentable et pas ce qui est le mieux, qui met chaque individu sous une chape de plomb financière qui est l'équivalent moderne de l'esclavage, lequel, au final, n'a rien à envier aux soi-disant dictatures qui non seulement n'en sont généralement pas, mais qui en plus aménagent, de temps en temps, et quand cela les arrange, des espaces de liberté (au moins scientifique !).

Jean-François Geneste

Notes :

[1]  reseauinternational.net et  reseauinternational.net

[2]  amazon.fr

[3]  amazon.fr

[4]  journals.aps.org

[5]  linkedin.com

[6]  amazon.fr

Jean-François Geneste a près de 40 ans d'expérience dans les domaines aéronautique espace et défense. Il a été directeur scientifique du groupe EADS, devenu Airbus Group, pendant 10 ans. Il a été professeur au Skolkovo Institute of Science and Technology à Moscou. Il est actuellement le PDG de la startup WARPA qui vient de se voir attribuer un brevet pour son moteur de propulsion spatiale à impulsion spécifique infinie.

La source originale de cet article est  cf2r.org

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