20/03/2024 reseauinternational.net  5 min #245168

Les États-Unis divorcent-ils de Netanyahou ? Ou s'agit-il pour les démocrates de faire face à leurs erreurs à Gaza ?

par Alastair Crooke

Les États-Unis divorcent-ils de Netanyahou ? Ou s'agit-il pour les démocrates de faire face à leurs erreurs à Gaza ?

Le discours de Schumer a moins fait l'effet d'une bombe en Israël qu'aux États-Unis, les chemins du Likoud et du libéralisme occidental ayant longtemps divergé.

La semaine dernière, le sénateur Schumer (qui représente un État comptant plus de 20% de la population juive des États-Unis) a prononcé un discours acerbe devant le Sénat, dans lequel il excoriait Netanyahou, considéré comme un obstacle majeur à la paix au Moyen-Orient, et appelait de ses vœux un nouveau leadership en Israël. Schumer n'a pas ménagé ses critiques : «La coalition de Netanyahou ne correspond plus aux besoins d'Israël après le 7 octobre»... «Le monde a changé - radicalement - depuis lors, et le peuple israélien est étouffé en ce moment par une vision de gouvernement qui est coincée dans le passé».

Le discours a été largement diffusé à la Maison-Blanche et aux donateurs et groupes d'intérêts juifs (notamment l'AIPAC, selon certaines sources) avant d'être prononcé.

Le discours a donc été lu à partir d'un texte convenu et devait marquer un changement majeur dans la position des États-Unis. Il a été «vendu» dans les grands médias américains comme une «bombe» pour Israël, l'avertissant qu'il risquait de «perdre» les États-Unis (et une grande partie du monde).

Cependant, s'agissait-il vraiment d'un «décret Nisi» de divorce entre les États-Unis et Netanyahou ?

Il ne fait aucun doute que de nombreux juifs réformés et libéraux de New York et d'ailleurs, si ce n'est la plupart, seraient tout à fait d'accord avec la position de Schumer. Ensemble, ils représentent le noyau dur des électeurs démocrates.

Mais si les mots de Schumer constituent une déclaration de divorce, la réalité est que «le couple» est séparé et mène des vies distinctes depuis de nombreuses années.

Il y a des années, Netanyahou a vu l'écriture sur le mur alors que les démocrates américains devenaient de plus en plus woke, juste au moment où Netanyahou, le Likoud et la politique israélienne marchaient vers la droite, vers le sionisme fondamentaliste.

L'éthique woke, qui consiste à demander réparation (discrimination positive) pour l'identité historique et la discrimination raciale, et la demande de justice sociale restitutive étaient clairement en contradiction et représentaient une menace pour le monde sioniste, qui accorde des droits spéciaux à un groupe de population (les juifs) par rapport à un autre (les Palestiniens) partageant la même terre.

Les démocrates libéraux et le sionisme radical suivaient des voies divergentes.

La réponse pour le Likoud semblait être un pivot vers les électeurs évangéliques aux États-Unis - et comme la plupart d'entre eux étaient républicains, un changement également vers le GOP en tant que principal mécène. (En 2007, 51% des protestants aux États-Unis s'identifiaient à des églises évangéliques).

À l'époque, la droite israélienne a considéré qu'il s'agissait d'une initiative audacieuse et controversée. Mais du point de vue du Likoud, elle a commencé à porter ses fruits, comme dans le cas du déménagement délicat de l'ambassade américaine à Al-Qods. Ce ne sont pas les démocrates qui ont été les mécènes, mais les évangéliques (pour des raisons bibliques chrétiennes).

Dans cette optique, le discours de Schumer a moins fait l'effet d'une bombe en Israël qu'aux États-Unis. Les chemins du Likoud et du libéralisme occidental ont longtemps divergé. Ce que Schumer proclamait, c'était le divorce des libéraux américains d'avec Israël tel qu'il est aujourd'hui (et non le monde imaginé et teinté de rose de deux décennies plus tôt).

Les horreurs de la guerre de Gaza ont révélé que le «sionisme libéral» est désormais un oxymore.

Elles révèlent également l'impuissance de l'approche laïque et libérale d'un problème (dans les discussions sur la réforme de la sécurité de l'Autorité palestinienne, les solutions à deux États, l'acceptation/normalisation de l'Arabie saoudite, etc.) qui devient de plus en plus eschatologique, motivé par la peur, la haine et les injonctions bibliques à tuer en tant que commandement obligatoire en vertu de la loi halachique. Il existe un blocage psychologique en Occident qui empêche d'admettre que les compulsions bibliques peuvent l'emporter sur la «rationalité».

Bien entendu, le non-dit du discours de Schumer est que les responsables de la campagne démocrate ont été effrayés dans le Michigan par l'ampleur du vote de protestation «non engagé» contre le soutien de Biden aux objectifs de guerre d'Israël.

Il semble que Netanyahou doive être le bouc émissaire de l'ensemble d'Israël, qui - à tort ou à raison - soutient massivement les objectifs de guerre du Cabinet à Gaza et au Liban. En pointant du doigt Schumer, Biden se dédouane de son erreur initiale en embrassant Netanyahou et en déclarant que les États-Unis «soutiennent Israël». Comme l'a noté un analyste :

«Biden sait que Netanyahou représente un courant dominant sur la guerre et que le président bluffe surtout pour son intérêt national. Biden a un jeu qu'il joue, et c'est la critique de Bibi... Cela réduit un peu les flammes».

En outre, le discours de Schumer absout intentionnellement l'Occident «libéral» d'avoir participé, pendant deux décennies, au blocage délibéré par Israël de toute perspective de création d'un État palestinien, et il élude la question de savoir pourquoi l'administration Biden continue d'envoyer des bombes et des munitions à l'armée israélienne.

Netanyahou a peut-être joué un rôle central dans la récente transformation d'Israël, mais ce n'est pas uniquement Netanyahou. Cette dynamique était parfaitement visible à l'époque d'Ariel Sharon.

Il est intéressant de noter que même le sénateur McConnell a relevé ces points : «Le parti démocrate n'a pas un problème anti-Bibi : il a un problème anti-Israël». Cependant, comme d'habitude, la perspicacité est obscurcie par la politique du parti : McConnell espère que le GOP aura l'occasion de reprendre «la carte» d'Israël aux démocrates !

 Alastair Crooke

source :  Al Mayadeen

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