11/04/2024 basta.media  7 min #246593

Pour sauver les haies, essentielles à la biodiversité, il faut plus d'agriculteurs

Dans les champs, les haies disparaissent à vue d'œil. En cause, la chute vertigineuse du nombre d'agriculteurs et agricultrices, à commencer par ceux et celles qui travaillent en polyculture élevage.

L'édito de Nolwenn Weiler

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Les haies, dont on a beaucoup entendu parler pendant la crise agricole, n'ont jamais été si peu nombreuses. Leur disparition - constante depuis 1950 avec l'effacement de 70 % d'entre elles - s'est même accélérée ces derniers temps avec une perte de 23 500 kilomètres par an.

Énumérer leurs avantages permet de visualiser  la catastrophe écologique que ces disparitions représentent : réservoirs de biodiversité, les haies sont aussi des puits de carbone, elles assurent la rétention des sols et de l'eau, offrent des abris aux bêtes lors des canicules et renferment diverses ressources alimentaires (baies et fruits par exemple).

Apparemment inquiet, le gouvernement entend « mettre un frein à la réduction des linéaires de haies et encourager leur développement ». C'est en tout cas ce qui est écrit dans le  projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, arrivé en conseil des ministres le 3 avril dernier et qui consacre un article entier à cette question des haies.

D'après ce texte, si ces dernières disparaissent par dizaine de milliers de kilomètres chaque année, c'est avant tout à cause... des réglementations qui les protègent (!) : « La multiplication des régimes d'autorisation ou de déclaration applicables aux haies a pu conduire à une réduction des linéaires de haies depuis plusieurs décennies », expliquent ainsi le Premier ministre Gabriel Attal et le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau.

Cette mise en cause ressemble à s'y méprendre à l'argumentaire des dirigeants de la FNSEA : le 10 janvier 2024, lors de ses vœux à la presse, le président du syndicat majoritaire,  Arnaud Rousseau, fustigeait en effet les « 14 textes réglementaires qui encadrent les haies », feignant de croire que chaque agriculteur s'inquiète de toutes ces règles en même temps, avant d'ajouter : « On comprend pourquoi les agriculteurs ne se lancent pas [dans la plantation de haies]. »

Flou juridique

Il est vrai que la réglementation est généreuse, et complexe. Dix textes (et non quatorze) sont susceptibles d'être utilisés pour protéger les haies. Mais si l'amoncellement de règles suscite une vraie fatigue administrative dans les fermes, voire du stress, il faut quand même rappeler que le risque de sanction reste très faible et le montant des amendes peu dissuasif « parfois inférieur au coût de la replantation », note même  un récent rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER).

« Le système actuel ne fonctionne pas très bien, explique Benjamin Hogommat, juriste chez France nature environnement (FNE). On a beaucoup de haies qui sont détruites sans autorisation, et sans qu'il y ait de rattrapage ensuite. Avoir quelque chose de plus lisible, avec un guichet unique qui rassemble divers services de l'État comme le propose le projet de loi, nous semble une bonne idée. »

« Ce qui nous inquiète davantage c'est la mention selon laquelle une absence de réponse vaudra autorisation », poursuit le juriste. La loi prévoit en effet que, passé un certain délai, si personne ne lui répond, l'agriculteur pourra considérer qu'il est autorisé à couper les arbres. Question : quel sera ce délai ? On l'ignore pour le moment, car le gouvernement a courageusement confié sa définition au Conseil d'État. « Il faut espérer qu'il ne soit pas trop court », lâche Benjamin Hogommat.

Les associations environnementalistes sont d'autant plus inquiètes que l'annonce d'une simplification de la réglementation risque de provoquer un appel d'air de dossiers auxquels les services de l'État auront bien du mal à répondre. Le gouvernement reconnaît lui-même que ses fonctionnaires vont être débordés. Mais il promet de les soulager avec... une application. Nous voilà rassurés (et eux aussi sans doute).

450 euros par kilomètre

De toute façon, ces simplifications et promesses de plantations (le gouvernement veut planter 50 000 kilomètres d'ici 2030) ne sauveront pas les haies. Car la raison principale de leur disparition, ce n'est pas l'arrachage illégal, mais le manque d'entretien - tailles, déblaiement, replantation, etc. Seul ce travail patient et quotidien permet de régénérer les haies et d'assurer leur longévité.

Or, ce manque d'entretien est principalement dû à la diminution continue du nombre d'agriculteurs (pour rappel, ils et elles sont moins de 400 000 aujourd'hui, et la moitié sera partie à la retraite d'ici six ans !). On peut d'ailleurs remarquer que si l'on trace une courbe faisant état du nombre d'agriculteurs, et une autre représentant le nombre de kilomètres de bocage, elles se superposent. Pourquoi ?

Parce que moins il y a d'agriculteurs et d'agricultrices, plus les parcelles sont grandes, et plus il faut abattre de haies (la taille des fermes françaises a plus que doublé ces trente dernières années). Alors qu'elles avaient pour mission de délimiter les parcelles agricoles, les haies deviennent des obstacles au milieu de ces parcelles, et elles entravent le maniement des machines, lesquelles sont de plus en plus grosses. Étant de moins en moins nombreux, les agricultrices et agriculteurs ont chacun de plus en plus de kilomètres de haies à entretenir. Or, ce travail est non négligeable : il exige du temps et de l'argent, environ 450 euros par kilomètre. De plus, ce travail peut être pénible et dangereux.

Passage en force du gouvernement ?

Ces raisons structurelles de la disparition accélérée du bocage sont confirmées « en creux » par le profil des (trop rares) agriculteurs et agricultrices qui plantent des haies, et les entretiennent.  Une récente enquête sociologique auprès des agriculteurs planteurs de bocage démontre ainsi que les deux tiers pratiquent l'élevage bovin et que près des trois quarts « ont fait le choix de conduire leur exploitation en système herbager ». Cela signifie que les bêtes sortent, et ne restent pas enfermées douze mois sur douze à manger (entre autres) du maïs irrigué et du soja qui arrive de l'autre bout du monde. À noter, enfin : la moitié de ces agriculteurs sont installés en bio.

Malheureusement, ni le soutien à l'installation agricole, ni l'aide à la transition écologique de la production ne sont au programme. Censées être au cœur de la nouvelle loi, ces deux préoccupations semblent même avoir disparu sous le rouleau compresseur de la FNSEA et des tas de pneus brûlés devant les préfectures au cours de l'hiver.

Pour ne prendre qu'un exemple : le passage par les chambres d'agriculture risque d'être obligatoire pour toucher des aides publiques, alors que nombre de candidats et candidates à l'installation préfèrent passer par d'autres structures, plus en phase avec leurs projets agroécologiques, comme les Civam ( Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural).

 Toutes ces organisations comptent désormais sur les députés pour infléchir le projet de loi. À condition qu'il y ait des débats à l'Assemblée nationale, puisqu'il est question que le gouvernement passe (encore) en force via des ordonnances. Les haies et leurs habitants ont donc quelques raisons de s'inquiéter.

Nolwenn Weiler

Photo de Une : haie bocagère/© Nolwenn Weiler

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