26/04/2024 arretsurinfo.ch  11 min #247522

Usa : Mobilisation des étudiants de la célèbre université de Columbia à New York !

Révolte à l'université

Par  Chris Hedges

Où sont passées toutes les fleurs - par M. Fish

Achinthya Sivalingam, étudiante diplômée en affaires publiques à l'université de Princeton, ne savait pas en se réveillant ce matin que peu après 7 heures, elle rejoindrait des centaines d'étudiants à travers le pays qui ont été arrêtés, expulsés et interdits de campus pour avoir protesté contre le génocide à Gaza.

Elle porte un sweat-shirt bleu, et lutte parfois contre les larmes, lorsque nous parlons. Nous sommes assis à une petite table du café Small World, sur Witherspoon Street, à un demi-pâté de maisons de l'université où elle ne peut plus entrer, de l'appartement qu'elle ne peut plus habiter et du campus où, dans quelques semaines, elle devait obtenir son diplôme.

Elle se demande où elle va passer la nuit.

La police lui a donné cinq minutes pour récupérer des objets dans son appartement.

Les étudiants protestataires du pays font preuve d'un courage moral et physique - beaucoup d'entre eux risquent la suspension et l'expulsion - qui fait honte à toutes les grandes institutions du pays. Ils sont dangereux non pas parce qu'ils perturbent la vie du campus ou qu'ils s'en prennent aux étudiants juifs - beaucoup de ceux qui manifestent sont Juifs - mais parce qu'ils exposent l'échec lamentable des élites dirigeantes et de leurs institutions à mettre un terme au génocide, le crime entre les crimes. Ces étudiants regardent, comme la plupart d'entre nous, Israël massacrer en direct le peuple palestinien. Mais contrairement à la plupart d'entre nous, ils agissent. Leurs voix et leurs protestations constituent une puissante réaction à la faillite morale qui les entoure.

Aucun président d'université n'a dénoncé la destruction par Israël d' aucune des universités de Gaza. Aucun président d'université n'a appelé à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Aucun président d'université n'a utilisé les mots "apartheid" ou "génocide". Aucun président d'université n'a appelé aux sanctions et au désinvestissement d'Israël.

Au lieu de cela, les dirigeants de ces institutions universitaires se prosternent devant les riches donateurs, les entreprises - y compris les fabricants d'armes - et les politiciens les plus radicaux. Ils replacent le débat sous l'angle des préjudices causés aux Juifs plutôt que sous celui du massacre quotidien des Palestiniens,  dont des milliers d' enfants. Ils permettent aux agresseurs - l'État sioniste et ses adeptes - de se faire passer pour des victimes. Ce faux récit, qui se base sur l'antisémitisme, permet aux instances de pouvoir, y compris les médias, d'occulter le véritable problème, à savoir le génocide. Le débat s'en trouve faussé. C'est un cas classique d'"abus réactif". Il suffit d'élever la voix pour dénoncer l'injustice, de réagir à un abus prolongé, de tenter de résister, et l'agresseur se transforme soudain en victime.

L'université de Princeton, comme d'autres universités à travers le pays, est déterminée à mettre un terme aux rassemblements appelant à la fin du  génocide. Il semble qu'il s'agisse d'un effort coordonné des universités du pays.

L'université était informée à l'avance du projet de rassemblement. Lorsque les étudiants ont rejoint les cinq sites ce matin, ils ont été accueillis par un grand nombre d'agents du département de la Sécurité publique de l'université et de la police de Princeton. Le site du campement devant la bibliothèque Firestone était envahi par la police. Et ce, bien que les étudiants n'aient pas utilisé les courriels de l'université et se soient limités à ce qu'ils pensaient être des applications sécurisées. Parmi les policiers ce matin se trouvait  le rabbin Eitan Webb, qui a fondé et dirige la maison Chabad de Princeton. Il a participé à des événements universitaires pour attaquer verbalement ceux qui appellent à la fin du génocide en les qualifiant d'antisémites, selon des étudiants mobilisés.

Alors que la centaine de manifestants écoutait les intervenants, un hélicoptère tournait bruyamment au-dessus d'eux. Une banderole, accrochée à un arbre, indiquait : "Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre".

Les étudiants ont déclaré qu'ils poursuivraient leur manifestation jusqu'à ce que Princeton se désengage des entreprises qui "tirent profit de la campagne militaire en cours de l'État d'Israël" à Gaza ou y participent, mette fin à la recherche universitaire "sur les armes de guerre" financée par le ministère de la Défense, adopte un boycott universitaire et culturel des institutions israéliennes, soutienne les institutions universitaires et culturelles palestiniennes et plaide en faveur d'un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel.

Mais si les étudiants tentent à nouveau de monter des tentes - ils en ont démonté 14 après les deux arrestations de ce matin - il est certain qu'ils seront tous arrêtés.

"C'est bien pire que ce à quoi je m'attendais", déclare Aditi Rao, étudiante en doctorat de lettres classiques. "Ils ont commencé à arrêter des gens sept minutes après le début du rassemblement".

Rochelle Calhoun, vice-présidente de Princeton chargée de la vie sur le campus, a envoyé mercredi un courriel collectif avertissant les étudiants qu'ils pourraient être arrêtés et expulsés du campus s'ils organisaient des rassemblements.

"Toute personne impliquée dans un rassemblement, une occupation ou tout autre comportement perturbateur illégal qui refuse de partir après un avertissement sera arrêtée et immédiatement exclue du campus", a-t-elle écrit.

Pour les étudiants, une telle exclusion du campus mettrait en péril leur capacité à terminer le semestre. "Ces étudiant", ajoute-t-elle, "pourraient être suspendus, voire expulsés".

Mme Sivalingam a croisé l'un de ses professeurs et l'a supplié de soutenir la manifestation. Il l'a informée qu'il allait être titularisé et qu'il ne pouvait pas participer. Son cours s'intitule "Marxisme écologique".

"C'était un moment bizarre", dit-elle. "J'ai passé le semestre dernier à réfléchir aux idées, à l'évolution et au changement social. C'était un choc".

Elle s'est mise à pleurer.

Peu après 7 heures du matin, la police a distribué aux étudiants qui montaient des tentes un tract intitulé "Princeton University Warning and No Trespass Notice" [Avertissement de l'université de Princeton et avis d'interdiction d'intrusion]. Le tract indique que les étudiants "se livrent, sur la propriété de l'université de Princeton, à des actes qui violent les règles et règlements de l'université, constituent une menace pour la sécurité et les biens d'autrui et perturbent les activités courantes de l'université : ces actes incluent la participation à un campement et/ou les perturbations liées à un événement se déroulant sur la propriété de l'université."

Le tract précise que les personnes ayant adopté ces comportements illégaux seraient considérées comme des intrus provocateurs en vertu du droit pénal du New Jersey (N.J.S.A. 2C:18-3) et pourraient être arrêtées sur-le-champ.

Quelques secondes plus tard, Sivalingam a entendu un officier de police dire "Attrapez ces deux-là".

Hassan Sayed, doctorant en économie d'origine pakistanaise, travaillait avec Sivalingam au montage d'une des tentes. Il était  menotté. Sivalingam a été attachée avec des menottes en plastique si serrées qu'elles lui ont coupé la circulation des mains. Ses poignets sont couverts d'ecchymoses sombres.

"Il y a eu un premier avertissement des flics : 'Vous êtes en train de violer une propriété privée' ou quelque chose comme ça, 'C'est le premier avertissement'", raconte Sayed. "C'était un peu violent. Je n'ai pas entendu grand-chose. Soudain, on m'a passé les mains dans le dos. À ce moment-là, mon bras droit s'est un peu crispé et ils m'ont dit 'Vous résistez à l'arrestation si vous faites ça'. Puis ils m'ont passé les menottes".

L'un des agents qui ont procédé à l'arrestation lui a demandé s'il était étudiant. Lorsqu'il a répondu par l'affirmative, ils l'ont immédiatement informé qu'il était banni du campus.

"Pour ce que j'aie pu l'entendre, ils n'ont pas mentionné les charges retenues contre lui".

"On m'a emmené dans une voiture. Ils m'ont vaguement fouillé. Ils m'ont demandé ma carte d'étudiant."

Sayed a été placé à l'arrière d'une voiture de la police du campus avec Sivalingam, qui souffrait des menottes trop serrées. Il a demandé aux policiers de desserrer les menottes attaches de Sivalingam, ce qui a pris plusieurs minutes car ils ont dû la sortir du véhicule et les ciseaux n'ont pas réussi à couper le plastique. Ils ont dû trouver des pinces coupantes. Ils ont été emmenés au poste de police de l'université.

On a enlevé à Sayed son téléphone, ses clés, ses vêtements, son sac à dos et ses AirPods, et on l'a placé dans une cellule de détention. Personne ne lui a lu ses  droits Miranda*.

On lui a répété qu'il était interdit de séjour sur le campus. "Est-ce une expulsion ?" a-t-il demandé à la police du campus.

La police n'a pas répondu. Il a demandé à appeler un avocat. On lui a dit qu'il pourrait appeler un avocat lorsque la police le jugerait bon.

"Il est possible qu'ils aient parlé d'intrusion, mais je ne m'en souviens pas très bien", dit-il. "En tout cas, je n'en ai pas été informé".

On lui a demandé de remplir des formulaires sur sa santé mentale et de préciser s'il prenait des médicaments. Puis on l'a informé qu'il était accusé de violation de propriété avec provocation.

"J'ai répondu : "Je suis étudiant, en quoi est-ce une intrusion ? Je suis les cours ici", raconte-t-il. "Ils ne semblent pas connaître la réponse. J'ai répété ma question, en demandant si le fait d'être interdit de séjour sur le campus constituait une expulsion, car je vis sur le campus. Ils se sont contentés de me répondre : 'expulsion du campus'. J'ai dit que cela ne répondait pas à ma question. Ils disent que tout sera expliqué dans la lettre. J'ai demandé de quelle lettre il s'agit, et on m'a répondu qu'elle viendrait du doyen de la faculté."

Sayed a été conduit à son logement sur le campus. La police du campus ne lui a pas laissé ses clés. On lui a donné quelques minutes pour prendre des objets comme son chargeur de téléphone. Ils ont fermé la porte de son appartement à clé. Lui aussi a ensuite trouvé refuge au café Small World.

Mme Sivalingam retourne souvent au Tamil Nadu, dans le sud de l'Inde, où elle est née, pour ses vacances d'été. La pauvreté et la lutte quotidienne des personnes qui l'entourent pour survivre lui donnent à réfléchir.

"La disparité entre ma vie et la leur, la difficulté de concilier ces choses dans le même monde", dit-elle, la voix tremblante d'émotion. "J'ai toujours trouvé cela très bizarre. Je pense que c'est de là que vient une grande partie de mon intérêt pour la lutte contre les inégalités, pour la capacité à considérer les personnes vivant en dehors des États-Unis comme des humains, comme des personnes qui méritent de vivre dans la dignité."

Elle doit maintenant se faire à l'idée d'être exilée du campus.

"Je dois trouver quelque part où dormir", dit-elle, "et en parler à mes parents, mais ce sera une conversation délicate, ainsi que trouver des moyens de soutenir nos camarades emprisonnés et communiquer avec eux parce que je ne peux pas être sur place, mais que je peux continuer à me mobiliser".

L'histoire américaine comporte de nombreuses périodes honteuses. Le génocide que nous avons perpétré contre les peuples indigènes. L'esclavage. La répression violente du mouvement ouvrier, qui a entraîné la mort de centaines de travailleurs. Le lynchage. Jim et Jane Crow. Le Viêt Nam. L'Irak. L'Afghanistan. La Libye.

Le génocide de Gaza, que nous finançons et soutenons, est d'une ampleur si monstrueuse qu'il occupera une place de choix dans ce panthéon de crimes.

L'histoire ne pardonnera pas à la plupart d'entre nous. Mais elle consacrera et célébrera ces étudiants.

Chris Hedges

Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a travaillé pendant quinze ans comme correspondant à l'étranger pour le New York Times, où il a été chef du bureau du Moyen-Orient et chef du bureau des Balkans. Auparavant, il a travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'émission The Chris Hedges Report. Il a fait partie de l'équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif pour la couverture des événements liés à la lutte contre le terrorisme par le New York Times.

* Droits Miranda (1966) : "Vous avez le droit de garder le silence. Si vous y renoncez, tout ce que vous dites pourra être et sera utilisé contre vous devant une cour de justice. Vous avez le droit à un avocat et d'avoir un avocat présent lors de l'interrogatoire. Si vous n'en avez pas les moyens, un avocat vous sera fourni gratuitement. Durant chaque interrogatoire, vous pourrez décider à n'importe quel moment d'exercer ces droits, de ne répondre à aucune question ou de ne faire aucune déposition."

Article original paru le 25 avril 2024 sur  Scheerpost.com

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