05/05/2024 arretsurinfo.ch  7 min #248037

Faits douteux concernant le «droit souple» en politique étrangère suisse

Par  Ueli Meister

Depuis un certain temps déjà, le Conseil fédéral suisse signe seul des accords internationaux de grande portée sans y associer le Parlement et le peuple. Il qualifie ces accords de «droit souple» («soft law»), qui ne sont pas juridiquement contraignants et qui relèvent donc de la compétence du Conseil fédéral.

Erosion de la démocratie et accords internationaux

Ces dernières années, plusieurs interventions parlementaires ont été déposées afin de renforcer à nouveau les droits du Parlement fédéral. Ainsi, le 12 novembre 2018, la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats (CPE-E) a déposé le postulat 18.4104, «Consultation et la participation du Parlement dans le domaine du droit souple (‹soft law›)»:

«Le Conseil fédéral est chargé de présenter dans les six mois un rapport sur le rôle croissant du droit souple (‹soft law›) dans les relations internationales et sur les autres évolutions à l'échelon international liées aux interconnexions globales, ainsi que sur l'affaiblissement insidieux qui en découle pour les parlements et leurs droits démocratiques consistant à participer aux questions considérées avant qu'elles ne mènent à une procédure législative qui n'a au fond pas été décidée. Le rapport indiquera tout particulièrement les conséquences de cette évolution pour la Suisse et les modifications à apporter éventuellement à l'article 152 de la loi sur le Parlement.»

Le 26 juin 2019, le Conseil fédéral a rendu son rapport en réponse au postulat 18.4104 de la CPE-E.

Dans ce document, le Conseil fédéral écrit:

«Ces dernières années, le droit souple est devenu un important instrument d'organisation des relations internationales».

Il s'agit d'accords qui «ne sont pas juridiquement contraignants (‹soft›), mais qui fixent certaines règles de conduite (‹law›)».

«A la différence du droit international public, le droit souple ne crée donc aucune obligation de droit international public; sa violation ne peut donc pas engager la responsabilité juridique des Etats. En cas de non-mise en œuvre, ces derniers s'exposent, dans le pire des cas, à des sanctions politiques.» [...] «Il peut s'agir de sanctions ou de menaces de sanctions, par exemple suite à l'inscription d'un Etat sur une liste (noire).»

Complément

Extrait de l'article «A Strasbourg, c'est le règne de la folie des grandeurs» par Katharina Fontana, paru dans la «Neue Zürcher Zeitung» du 25 avril 2024

[...] «Le droit souple se développe principalement au sein d'organisations internationales, il est négocié par des fonctionnaires et des diplomates dont l'agenda politique est inconnu. Bien qu'elles n'aient aucune légitimité démocratique, ces réglementations ont des effets politiques et de plus en plus aussi juridiques, puisque des juges les déclarent contraignantes et en déduisent des droits. Il en résulte que les parlements et les citoyens se retrouvent tôt ou tard dans un enchevêtrement de règles et d'obligations qui ont été élaborées de manière opaque et décidées par-dessus leurs têtes.

Au Parlement fédéral, il semble que l'on accorde désormais un peu plus d'importance que par le passé à cette évolution défavorable. Ainsi, le Conseil national insiste à juste titre pour avoir son mot à dire au sujet du controversé Traité mondial de l'OMS sur les pandémies et ne veut pas se contenter de laisser l'affaire au Conseil fédéral. Il en va de même pour le Pacte de l'ONU sur les migrations. Le Parlement ne devrait pas accorder trop d'importance à l'assurance donnée par l'administration selon laquelle le Pacte sur les migrations n'est ‹que› du droit souple et qu'il n'y aura pas de nouvelles obligations pour la Suisse.» [...]

Commentaire

Le droit souple n'est donc pas juridiquement contraignant, mais il faut s'attendre à de sérieuses sanctions en cas de non-respect. Il n'existe aucune compétence judiciaire à laquelle les pays concernés pourraient faire appel.

Au cours des 25 dernières années, la Suisse a signé de nombreux pactes, déclarations et traités que l'on qualifie aujourd'hui d'«instruments pertinents de droit souple» et qui ont généralement été conclus en l'absence du Parlement et du peuple. C'est ainsi que sont nés la Déclaration de Bologne de 1999 et le Processus de Bologne, qui ont totalement transformé les Hautes Ecoles et donc l'ensemble du système éducatif en Suisse et dans toute l'Europe - sans aucun débat démocratique!

En automne 2018, on a évité de justesse que le Conseil fédéral n'approuve à lui seul le Pacte de l'ONU sur les migrations. Le Conseil fédéral a justifié sa décision de faire cavalier seul en affirmant que le pacte migratoire était ce qu'on appelle du «droit souple» - un engagement non contraignant sur le plan juridique. Pourtant, le pacte aurait eu des implications importantes pour la Suisse et son non-respect aurait pu être sanctionné par de lourdes conséquences.

Parmi les instruments de droit souple pertinents pour la Suisse, on trouve également le Global Health Security Agenda (GHSA) de 2014 et le «Programme 2030 pour le développement durable». Le GHSA doit soutenir la mise en œuvre du Règlement sanitaire international (RSI) de l'OMS, contraignant en droit international. En font partie des domaines («Action Packages») tels que la résistance aux antibiotiques et les vaccinations.

Ainsi, la distance n'est plus très grande jusqu'au Pacte de l'OMS sur les pandémies et le nouveau Règlement sanitaire qui doivent être adoptés en mai de cette année. Ici aussi, les accords semblent relever du droit souple, car sur cette question également, les informations sont maigres.

Pourtant, le Pacte de l'OMS sur les pandémies contient de nouvelles règles qui seraient supérieures aux lois étatiques. Par exemple, l'OMS pourrait ainsi imposer des mesures sanitaires contraignantes au niveau mondial.

Le droit souple est édicté par les Organisations intergouvernementales (OIG), qui préparent également le droit des traités internationaux. En règle générale, les accords de droit souple sont également adoptés par les représentants des OIG, parfois même lors de conférences intergouvernementales.

Selon la juge fédérale Monique Jametti, les OIG disposent d'une influence maximale dans la mesure où elles initient, édictent et appliquent le droit souple sans aucun contrôle de la part d'un tribunal. En outre, ce «droit» peut être modifié en permanence via le secrétariat et adapté aux nouvelles exigences. Mme Jametti écrit:

«Ainsi, par le biais du droit souple, ce n'est pas seulement le législateur régulier qui est neutralisé, mais aussi le pouvoir judiciaire: ce ne sont plus les tribunaux qui disent ce qui est juste, mais les secrétariats de l'OIG qui décrètent ce qu'il faut considérer comme juste - et ce, de surcroît, sur la base du non-droit.» Et d'ajouter: «Comme il s'agit de droit souple, les opposants dérangeants peuvent être ignorés en invoquant le caractère juridiquement non contraignant.» (Commentaire invité paru dans le «Neue Zürcher Zeitung» du 8 septembre 2021)

Commentaire

Le droit souple peut être utilisée en tant qu'instrument de gestion pour:

  • exercer par voie politique une pression «internationalement légitimée» sur des Etats plus petits et plus faibles;
  • déléguer des décisions nationales à des organisations internationales non élues, en partie privées;
  • supprimer la séparation des pouvoirs et d'affaiblir ainsi les Etats nationaux et les démocraties;
  • imposer des réformes de politique intérieure en déplaçant les questions politiques et sociales au niveau international par le biais de la «politique étrangère».

Conclusion

Dans la situation mondiale actuelle, il est urgent d'établir des relations honnêtes, dignes et pacifiques entre les Etats. La «conception du droit souple» ne fait que créer de nouveaux foyers de conflits et ne contribue pas durablement à des solutions viables. Notre monde a besoin d'un dialogue honnête et de négociations d'égal à égal - notamment pour contribuer à la paix mondiale. La Suisse pourrait y contribuer davantage.

 Ueli Meister

Sources:

-Rapport du Conseil fédéral du 26 juin 2019, en réponse au postulat 18.4104. Newsd.admin.ch

-Monique Jametti, Soft Law - ein politisches Druckmittel gegen kleine Staaten, Gastkommentar, NZZ, 8 septembre 2021

(Traduction « Point de vue Suisse»)

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