22/05/2024 chroniquepalestine.com  14 min #249109

Le Procureur de la Cpi demande un mandat d'arrêt contre Netanyahou !

Les mandats d'arrêt de la Cpi : décryptage

25 janvier 2024 - Bombardements sur Gaza - Les secours tentent de dégager les survivants coincés sous les décombre. De plus, au milieu de la guerre de génocide israélienne en cours et des problèmes de déplacement qui en découlent, Gaza est confrontée à une crise sanitaire alarmante : plus de 553 000 cas de maladies infectieuses et épidémiques ont été signalés depuis le mois d'octobre dernier - Photo : via Quds News Network

Par  David Kattenburg

Les mandats d'arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant pourraient être les premiers d'une longue série visant des responsables israéliens.

« Je pense qu'il s'agit d'un énorme pas en avant », déclare l'ancien rapporteur spécial des Nations unies, Michael Lynk, à Mondoweiss. « L'annonce d'aujourd'hui était attendue depuis longtemps. »

Le procureur général de la Cour pénale internationale a déposé des demandes de mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, du ministre de la défense Yoav Gallant et de trois hauts responsables du  Hamas.

Les mandats doivent être approuvés par une chambre préliminaire avant d'être délivrés, et cette approbation peut prendre des mois.

Entouré de ses deux principaux procureurs, Karim Khan, procureur en chef de la  CPI, a déclaré cet après-midi à La Haye qu'il existait des « motifs raisonnables » d'inculper  Yahya Sinwar, responsable du Hamas à Gaza, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (alias  Deif), commandant en chef de son aile militaire, les Brigades Al-Qassam, et  Ismail Haniyeh, responsable du bureau politique du Hamas, pour une série de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis depuis « au moins le 7 octobre ».

Parmi ceux-ci : extermination, meurtre, prise d'otages, viol et autres actes de violence sexuelle, torture, traitement cruel, atteinte à la dignité personnelle et autres actes inhumains.

Les  prétendus crimes du Hamas, a déclaré Khan aujourd'hui, « s'inscrivent dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre la population civile d'Israël », qui se poursuit encore aujourd'hui.

Puis, c'est la bombe...

Sur la base des preuves reçues par son bureau, Khan a également annoncé que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant « portent la responsabilité pénale » d'une multitude de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

Parmi ceux-ci : la privation de nourriture des civils de Gaza comme méthode de guerre, le fait de causer délibérément de grandes souffrances ou des blessures graves dans l'enclave assiégée, l'homicide volontaire ou le meurtre, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile, l'extermination par la privation de nourriture, la persécution et d'autres « actes inhumains » commis à partir du 8 octobre au moins, dans le cadre d'une « attaque généralisée et systématique contre la population civile palestinienne en application de la politique de l'État ».

Et d'autres pourraient suivre...

« Notre enquête se poursuit », a annoncé aujourd'hui M. Khan. « Mon bureau avance sur de multiples lignes d'enquête supplémentaires interconnectées, notamment en ce qui concerne les rapports de  violence sexuelle lors des attaques du 7 octobre, et en relation avec les bombardements à grande échelle qui ont causé et continuent de causer tant de morts, de blessés et de souffrances parmi les civils à Gaza... Mon bureau n'hésitera pas à soumettre d'autres demandes de mandats d'arrêt si et quand nous considérerons que le seuil d'une perspective réaliste de condamnation a été franchi. Je renouvelle mon appel à toutes les parties au conflit actuel pour qu'elles se conforment à la loi dès maintenant ».

Khan a beaucoup de monde à poursuivre, si l'on remonte au début de la portée temporelle de son enquête sur la Palestine en juin 2014. Cela couvrirait l'opération  Bordure protectrice, en 2014, la  Grande Marche du retour de 2018-2019, et le fruit le plus mûre pour Khan, qui n'est pourtant pas du tout mentionné dans la déclaration du mandat d'arrêt d'aujourd'hui : l'entreprise de colonisation d'Israël - une violation flagrante de la Quatrième Convention de Genève, et un crime de guerre en vertu du Statut de Rome de la CPI.

« Un énorme pas en avant »

Mondoweiss s'est entretenu de l'annonce d'aujourd'hui avec  Michael Lynk, professeur de droit à l'université canadienne Western, et ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Palestine occupée.

« Je pense qu'il s'agit d'un énorme pas en avant  », a déclaré Lynk à Mondoweiss.

« Certains d'entre nous n'étaient pas sûrs que cela finirait par arriver, ou que cela arriverait de la manière dont c'est arrivé. Ce que [Khan] a fait, c'est dire qu'il y a des lignes rouges claires en ce qui concerne le droit international, qu'il y a des conséquences, que personne n'est au-dessus de la loi ».

« L'annonce d'aujourd'hui a été longue à venir », a ajouté M. Lynk.

Très longue à venir, effectivement...

La Palestine a adhéré au Statut de Rome de la CPI le 1er janvier 2015 - une décision à laquelle les États-Unis et d'autres puissances occidentales se sont farouchement opposés. Le procureur en chef de l'époque, Fatou Bensouda, a réagi en ouvrant une «  enquête préliminaire » sur la « situation en Palestine ».

La Palestine a suivi en mai 2018, précisant les violations spécifiques du Statut de Rome commises par Israël depuis le 13 juin 2014. Il s'agissait d'une date de départ stratégique. L'opération israélienne «  Bordure protectrice » s'est déroulée en juillet et en août de cette année-là. Plus de deux mille habitants de Gaza ont été tués et près de 11 000 blessés, dont 3 374 enfants, plus d'un millier d'entre eux étant handicapés à vie.

Compte tenu des « questions juridiques et factuelles complexes » en jeu, Mme Bensouda a renvoyé fin 2019 l'affaire palestinienne à la Chambre préliminaire de la Cour, en demandant si la CPI avait une compétence territoriale sur le territoire palestinien occupé.

Les juges ont répondu par l'affirmative au début de l'année 2020, et Mme Bensouda a poursuivi l'affaire. Le 3 mars 2021, elle a annoncé l'ouverture d'une enquête formelle, à mener « sans crainte ni faveur ».

En juin 2021, le mandat de Bensouda a pris fin, celui de Karim Khan a commencé, et la « situation » de la Palestine s'est gelée, tombant au fond du tonneau des poursuites.

Questions sur une partialité anti-palestinienne

Karim Khan est un avocat britannique au caractère bien trempé, qui s'est fait une réputation d'honnêteté et de détermination. Il a également une vision du monde particulière. Contrairement à Fatou Bensouda, une Gambienne, Khan a « un penchant pour » les intérêts de l'OTAN, des États-Unis et du Royaume-Uni, a déclaré une source bien informée à Mondoweiss.

Dans le mois qui a suivi l' invasion russe de février 2022, M. Khan a ouvert une enquête. Avec une rapidité inégalée, presque exactement un an plus tard, il a annoncé des mandats d'arrêt contre Vladimir Poutine et le Commissaire aux droits de l'enfant de la Fédération de Russie.

Les puissances occidentales étaient ravies. Personne ne s'est autant exprimé que les États-Unis, qui ne sont pas signataires du Statut de Rome mais qui étaient plus qu'heureux d'aider Khan à poursuivre Vladimir Poutine.

En revanche, Khan semblait se désintéresser de la « situation » palestinienne. Son budget pour 2023 en disait long, la Palestine représentant moins d'un million d'euros cette année-là (contre 4,5 millions pour l'Ukraine) et disposant d'un personnel de six personnes (23 pour l'Ouganda et 12 pour l'Ukraine).

« Pour Khan, au moins jusqu'à la fin du mois d'octobre [2023], lorsqu'il s'est rendu à la frontière de Rafah [...] l'enquête sur la Palestine n'existait », a déclaré à Mondoweiss un avocat européen engagé auprès des Territoires palestiniens sous occupation. « Il n'a jamais dit un mot [à ce propos]. »

Khan s'est rendu deux fois dans les territoires occupés depuis le 7 octobre, mais n'a pas encore envoyé un seul enquêteur à Gaza ou en Cisjordanie (ce qui est certes difficile, étant donné le refus d'Israël de coopérer).

Dans le sillage du  carnage croissant à Gaza, et des accusations de génocide, Khan aurait pu publier une "déclaration préventive", a déclaré l'avocat européen à Mondoweiss. Bensouda a  publié l'une de ces déclarations en octobre 2018, concernant l'expulsion imminente de la communauté bédouine de Khan al-Ahmar, a souligné l'avocat. Les autorités israéliennes n'ont pas procédé au transfert forcé.

Au lieu de cela, le silence sur la Palestine a prévalu à la CPI. Pourquoi ?

Parce que l'affaire Russie-Ukraine était sa principale affaire et qu'il ne voulait pas la compromettre, ont expliqué plusieurs sources à Mondoweiss.

« Il est très dépendant des Américains pour les renseignements [sur l'Ukraine]  », a déclaré à Mondoweiss l'une de ces sources, un universitaire spécialisé dans les droits de l'homme. « Je pense que la contrepartie est qu'il avance lentement sur Israël. »

Cette contrepartie - si elle existe - vient d'être jetée aux orties.

Au début de l'année, Karim Khan a chargé le grand avocat britannique Andrew Cayley de diriger l'affaire palestinienne, aux côtés de l'avocate américaine Brenda Hollis. « Tous deux très compétents, tous deux d'excellents professionnels », a déclaré la source très bien informée à Mondoweiss.

Cayley et Hollis - raides et au visage de pierre - étaient aux côtés de Khan lors de l'annonce vidéo faite aujourd'hui par le tribunal.

« Si nous ne démontrons pas notre volonté d'appliquer la loi de manière égale, si elle est perçue comme étant appliquée de manière sélective, nous créerons les conditions de son effondrement », a déclaré M. Khan.

« Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons collectivement démontrer que le droit international humanitaire, base fondamentale de la conduite humaine en période de conflit, s'applique à tous les individus et s'applique de la même manière à toutes les situations traitées par mon Bureau et la Cour. C'est ainsi que nous prouverons, de manière tangible, que la vie de tous les êtres humains a une valeur égale ».

À en juger par la formulation de l'annonce d'aujourd'hui, il se peut que certaines vies soient plus égales que d'autres à ses yeux...

« Lors de ma visite au kibboutz Be'eri et au kibboutz Kfar Aza, ainsi que sur le site du festival de musique Supernova à Re'im », a écrit Khan, « j'ai vu les scènes dévastatrices de ces attaques et l'impact profond des  crimes inadmissibles incriminés dans les requêtes déposées aujourd'hui. En parlant avec des survivants, j'ai appris que l'amour au sein d'une famille, les liens les plus profonds entre un parent et un enfant, ont été malmenés pour infliger une douleur insondable par une cruauté calculée et une insensibilité extrême. Ces actes exigent que l'on rende des comptes ».

Passant aux crimes d'Israël à Gaza, M. Khan n'avait rien d'empathique à dire.

« Je n'ai rien vu de semblable [des propos sur la souffrance israélienne] en ce qui concerne les 25 fois plus de morts à Gaza », a déclaré Michael Lynk à Mondoweiss.

« Je pense surtout qu'il comprend qu'il a un rôle à jouer dans le monde international, à commencer par les États-Unis. Mais j'ai trouvé cela très étrange, que sa déclaration comprenne une empathie justifié pour les survivants de ce qui s'est passé le 7 octobre, mais qu'elle ne comprenne pas une déclaration d'un poids et d'une compassion au moins équivalents pour ceux qui sont morts et ceux qui ont survécu à ce qui se passe à Gaza ».

Que se passera-t-il ensuite ?

Quand la Chambre préliminaire donnera-t-elle à Khan le feu vert pour engager des poursuites, si elle le fait ? Il a fallu plus d'un an pour répondre à la demande de compétence de Fatou Bensouda. La demande de Khan aux juges ne prendra pas autant de temps, a déclaré Michael Lynk à Mondoweiss.

Pour accompagner sa demande, Khan a fourni à la Chambre préliminaire les commentaires d'un « groupe indépendant d'experts en droit international [...] des experts d'une immense renommée en matière de droit international humanitaire et de droit pénal international ».

Il s'agit notamment d'un ancien Lord Justice of Appeal et d'un ancien juge de la Cour pénale internationale, du président de l'Institut des droits de l'homme de l'Association internationale du barreau, d'un ancien conseiller juridique adjoint du ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth et des deux conseillers spéciaux de Khan, Amal Clooney et l'éminent juriste israélien Theodor Meron.

« Je pense que [le groupe d'experts indépendants] lui a donné la confiance nécessaire pour tenir sa conférence de presse aujourd'hui et dire qu'il publiait ceci », a déclaré Michael Lynk à Mondoweiss. « Il savait qu'il y aurait d'énormes répercussions politiques. Je pense qu'elles commencent à peine à se manifester ».

C'est en effet le cas.

« Cette décision scandaleuse est une véritable gifle pour le pouvoir judiciaire indépendant d'Israël, qui est réputé pour son indépendance », aurait déclaré aujourd'hui le sénateur de Caroline du Sud Lindsay Graham. « Nous ne devons pas oublier qu'en tant que nation, la Cour pénale internationale a menacé d'intenter une action contre les forces américaines en Afghanistan - alors que nous n'en sommes pas membres... Je travaillerai activement avec mes collègues des deux côtés de l'allée dans les deux chambres pour imposer des sanctions accablantes à la CPI ».

D'autres républicains de premier plan se sont joints à l'invective bilieuse.

Joe Biden et Hakeem Jeffries, chef de file du Parti démocrate à la Chambre des représentants, se sont également exprimés avec beaucoup d'opprobre. Les demandes de mandat d'arrêt émises par Khan sont « scandaleuses », a déclaré M. Biden.

« La demande de mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale contre des membres démocratiquement élus du gouvernement israélien est honteuse et peu sérieuse », a déclaré Jeffries. « L'engagement des États-Unis en faveur de la sécurité d'Israël est inébranlable. Je me joins au président Joe Biden pour condamner fermement toute équivalence entre Israël et le Hamas, une organisation terroriste brutale ».

Outre d'autres crimes qui n'ont pas encore fait l'objet d'une enquête, les menaces politiques de ce type pourraient constituer la base de mandats ultérieurs, en vertu de l'article 70 du Statut de Rome, a suggéré aujourd'hui Khan.

« J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entrave, d'intimidation ou d'influence indue sur les fonctionnaires de cette Cour », a déclaré aujourd'hui Karim Khan.

Le dossier de Khan contre Benjamin Netanyahu, Yoav Gallant et d'autres responsables du gouvernement et de l'armée israéliens, qui doivent encore être inculpés, sera probablement renforcé par les décisions judiciaires rendues de l'autre côté de la ville, à la Cour internationale de justice (CIJ), et vice-versa.

« Je ne peux qu'imaginer que la [CIJ] sera encore plus enhardie à prendre des mesures qui, je l'espère, incluront une ordonnance de mesures provisoires pour un cessez-le-feu immédiat à cet égard », a déclaré Michael Lynk à Mondoweiss.

Et les dirigeants israéliens ont des raisons de s'inquiéter, selon Michael Lynk.

« De tous les forums, politiques et juridiques, où Israël a été accusé ou reconnu coupable d'avoir enfreint le droit international, à la Cour internationale de justice, au Conseil des droits de l'homme, à l'Assemblée générale, au Conseil de sécurité... c'est la Cour pénale internationale qui donne le plus de fil à retordre aux dirigeants israéliens », explique Michael Lynk.

« C'est le forum dans lequel ils souhaitent le moins  être jugés, parce que c'est là qu'il y a vraiment du mordant ».

« Le fait qu'il y ait 124 pays - deux tiers des nations du monde sont membres de la Cour pénale internationale, y compris la plupart des pays européens - signifie que [Netanyahu et Gallant] ne pourront plus mettre un pied en Europe, au Canada et dans de nombreuses autres parties du monde sans faire face à une demande d'exécution d'un  mandat d'arrêt contre [eux] », a déclaré Lynk à Mondoweiss.

« Et la plupart des pays d'Europe sont membres de la CPI. Dès qu'ils se trouvent sur ce sol, cet État membre a l'obligation, en vertu du Statut de Rome, de mettre en œuvre des mandats d'arrêt à l'encontre de personnes nommément désignées. Gallant et Netanyahu ne peuvent donc pas se rendre en toute sécurité dans un pays faisant partie de l'assemblée des États membres... y compris dans pratiquement toute l'Europe ».

Auteur :  David Kattenburg


* David Kattenburg est né à Long Island en 1953. Il est titulaire d'une licence et d'un doctorat en biologie et en sciences de la santé, donne des cours de sciences à l'université et produit des reportages radio et des podcasts sur l'environnement mondial, le développement et les questions de justice sociale. Des documentaires issus de ses voyages ont été diffusés sur CBC Radio, Radio Netherlands, Free Speech Radio et sur son propre site  www.greenplanetmonitor.net.

20 mai 2024 -  Mondoweiss - Traduction :  Chronique de Palestine

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