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 Le Pakistan contre-attaque après les sanctions de l'Inde liées à l'attaque de Pahalgam

L'Inde devrait marcher prudemment vers le champ de bataille

Par M.K. Bhadrakumar - Le 30 avril 2025 - Source  Indian Punchline

Dans un rappel opportun, alors même que les Indiens exigent de fortes représailles pour l'attaque terroriste de Pahalgam au Cachemire, le président américain Donald Trump a parlé discrètement au Premier ministre Narendra Modi pour signaler que  les conversations avec l'Inde sur un pacte commercial « se déroulaient bien » et a annoncé que les deux pays « auront un accord sur les tarifs douaniers."

S'il pouvait y avoir un doux rappel des priorités nationales de l'Inde à ce stade, c'est bien ça. Trump a une façon de transmettre ce que les mots et les clichés ne peuvent pas énoncer en matière de guerre et de paix. Il est tout aussi bien que Modi ait pu réagir en décidant que, même si la détermination de l'Inde à porter un coup fatal au terrorisme ne devrait jamais être mise en doute, "la liberté opérationnelle totale de décider du mode, des cibles et du calendrier de la réponse" incombera aux forces armées.

Le Premier ministre aura ainsi exprimé sa confiance totale dans les capacités professionnelles des forces armées.  C'est une décision historique de la part de tout gouvernement élu au pouvoir dans une démocratie, à tous égards. Les implications sont profondes, car, finalement, lorsque la dernière heure du jugement arrive, il y a aussi un revers de la médaille en termes de délégation d'autorité - à savoir, la fameuse règle de Barnaby (largement attribuée à feu Donald Rumsfeld) entre en jeu. C'est-à-dire que quiconque brise la porcelaine sera également obligé de la réparer.

Fait intéressant, Modi a révélé sa décision lors d'une réunion exclusive à laquelle ont assisté le ministre de la Défense Rajnath Singh et le conseiller à la sécurité nationale Ajit Doval (qui est également connu en tant que tsar des opérations secrètes de l'Inde à l'étranger) ainsi que les hauts gradés. Le ministre de l'Intérieur Amit Shah n'était pas présent.

Plus tard dans la soirée d'hier, Modi a également reçu  le chef de Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), Mohan Bhagwat, à sa résidence dans un geste "mettant l'accent sur l'intérêt national plutôt que sur le protocole", comme l'a noté un quotidien national. Cependant, il ne devrait y avoir aucune idée fausse sur le fonctionnement de l'esprit de Bhagwat. Il y a cinq jours, il faisait remarquer : "Nous espérons une réponse forte (à l'attaque de Pahalgam.)"

Bhagwat a dit « Il y a de la douleur dans nos cœurs. Nous sommes en colère. Mais pour détruire le mal, il faut faire preuve de force... la haine et l'hostilité ne sont pas dans notre nature. Mais ni l'un ni l'autre ne supportent silencieusement le mal. Une personne vraiment non violente doit aussi être forte. S'il n'y a pas de force, il n'y a pas de choix. Mais quand il y a de la force, elle doit être visible en cas de besoin."

De toutes les indications, il est tout à fait concevable que le gouvernement évalue les options militaires pour cibler le Pakistan après l'attaque terroriste du 22 avril. Le Pakistan semble le sentir aussi.  Les tensions s'intensifient le long de ce qui était la Ligne de contrôle (LOC) jusqu'à cette semaine, qui elle-même se dissout rapidement alors que le Pakistan a décidé de suspendre tous les traités bilatéraux avec l'Inde, y compris l'Accord de Simla en réponse aux initiatives diplomatiques de Delhi.

La réaction internationale jusqu'à présent, comme en témoigne la dernière remarque de Trump, hésite à approuver l'option de la guerre. Autrement dit, aucun pays, y compris notre ami "éprouvé" la Russie ou le Soi-disant Sud global, ne comprend les sentiments exprimés en Inde en faveur d'une action militaire contre le Pakistan. D'autre part, la Chine a adopté  une position exceptionnellement favorable garantissant la souveraineté et la sécurité du Pakistan.

Autrement dit, comme l'a souligné Bhagwat en s'inspirant de nos épopées anciennes, l'Inde s'arroge  la prérogative morale de déployer sa force militaire de manière "visible » dans un environnement extérieur à l'ère thermonucléaire, en pleines manœuvres géopolitiques très compliquées des grandes puissances et de la communauté internationale, qui, encore une fois, passe d'un ordre mondial à un autre qui peine à naître.

Ne vous y trompez pas, cela aura d'énormes conséquences à l'avenir. Le Pakistan, en fait, a  averti la communauté internationale que toute initiative militaire de l'Inde serait « répondue de manière assurée et décisive... le fardeau de toute spirale d'escalade et ses conséquences incomberont carrément à l'Inde. » Implicite dans la déclaration est une menace voilée que même un seuil nucléaire pourrait être atteint si une poussée venait à se manifester.

En effet, la doctrine nucléaire du Pakistan permet la première frappe si la survie de la nation est jugée en danger. Trois seuils ont été définis : le refus de l'écoulement de l'eau vers le Pakistan (en vertu du Traité sur les eaux de l'Indus) ; tout blocus naval ; et l'occupation étrangère du territoire pakistanais.

Compte tenu de de la situation émergente, il est peu probable que le Pakistan plie. Il ne cesse d'insister sur le fait qu'il est également victime du terrorisme originaire d'Inde. Et il a ouvertement laissé entendre qu'il n'hésiterait pas à gravir les échelons en cas d'offensive indienne. Qu'il suffise de dire qu'à moins que l'Inde n'opte pour la méthode russe d'une guerre d'usure étalée sur des années, ce qui est tout simplement hors de question, une escalade rapide pourrait être dans les cartes.

C'est là que réside le problème : Comment désamorcer quand (pas si) les besoins se feront sentir ? On sait que l'Inde a toujours l'esprit fermé à la médiation par des tiers, même dans le contexte international radicalement changé de l'après-guerre froide.

D'autre part, l'Inde n'a qu'un lien de communication ténu avec le Pakistan, qui, vraisemblablement, reste encore ouvert - le canal entre les deux Directeurs généraux des Opérations militaires. Aussi ténu que soit le lien, à un moment où les émotions sont vives des deux côtés, il faut réfléchir à le garder ouvert - et, surtout, à ne pas hésiter à l'utiliser. Après tout, les deux armées ont une longue histoire d'adversaires sensés, réalistes et pragmatiques qui se comprennent.

La guerre est une affaire sérieuse, en particulier pour les hommes dans la fleur de l'âge qui donneront leur vie sans sourciller, pour le bien de la nation - et en effet leurs propres familles et personnes à charge dans notre pays lointain sont également des parties prenantes. Il y a un facteur humain même dans les guerres hybrides - ou les opérations secrètes.

Parfois, les pays qui se comportent comme des mangeurs de lotus menant une vie de facilité rêveuse et indolente ont besoin d'un réveil brutal. Si c'est un de ces moments, alors la mort de 26 Indiens ne serait pas vaine.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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