Brigitte Challande, 30 avril 2025. Écrire, écrire écrire encore et toujours, c'est ce que fait Abu Amir pour alerter : le 28 avril, Gaza entre l'illusion d'une trêve et l'enfer de la guerre, faim, mort et résilience sur les cendres.
« À Gaza, où le sang a pris la couleur du quotidien et où la tristesse a un goût permanent, l'enclave entre aujourd'hui dans son quarante-deuxième jour sous un feu acharné qui ne distingue ni maison ni mosquée, ni vieillard ni nourrisson. Quarante jours, puis trois de plus, où le ciel a oublié la clarté et la terre a perdu la paix, tandis que la douleur s'est fondue dans l'air que respirent les habitants de Gaza. À chaque minute, de nouvelles victimes tombent, et Gaza s'enfonce davantage dans le gouffre d'une catastrophe façonnée par le silence du monde et bénie par la mort, par le sang et le feu.
Les massacres dans la bande de Gaza se poursuivent sans relâche, comme si la nuit et le jour étaient prisonniers des bombardements incessants. Depuis qu'Israël a violé le cessez-le-feu le 18 mars, Gaza n'a connu ni calme ni sécurité, comme si le temps s'était figé dans une explosion sans fin. Aujourd'hui, au quarante-deuxième jour de cette offensive renouvelée, l'assaut s'est intensifié et les frappes aériennes se sont multipliées, au point que ceux qui survivent sur terre ont cru que les portes de l'enfer s'étaient ouvertes et que même les murs tremblaient sous l'ampleur de la destruction.
À Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, cette ville qui fut autrefois un refuge pour les déplacés, il ne reste presque plus âme qui vive après des vagues successives de déplacements forcés. Seuls demeurent les bâtiments détruits et les gravats, racontant l'histoire de ceux qui sont partis. Bien que vidée de ses habitants, Rafah continue d'être la cible des frappes israéliennes, s'acharnant à anéantir ce qui reste d'infrastructures, comme si l'objectif était d'effacer à la fois la mémoire et la pierre. Rafah, qui jadis vibrait de vie, est désormais une ville fantôme où les pierres brisées pleurent les absents.
Dans le reste de la bande de Gaza, où des habitants survivent toujours sous le feu et le siège, les scènes de mort et de destruction ne cessent de se multiplier : des dizaines de morts et de blessés à chaque instant, des enfants extraits des décombres, des femmes dont les cris s'étouffent sous la poussière, et des vieillards rendant leur dernier souffle au milieu des ruines. Le feu de la mort s'étend, dévorant tout sur son passage sans espoir d'être éteint.
Lorsque le cessez-le-feu a été annoncé, la population de Gaza a cru pouvoir enfin respirer, croyant que le cauchemar avait pris fin, que la délivrance était proche, et que le sang cesserait enfin de couler dans les ruelles et les camps surpeuplés. Ils ont cru que cette fragile trêve protégerait ce qui restait de leurs vies éreintées et leur permettrait d'enterrer dignement leurs morts. Mais avec le temps, il est devenu clair que les portes ouvertes n'étaient pas celles du salut, mais bien celles d'un enfer décuplé. Au lieu de la paix, les bombardements ont redoublé d'intensité, la destruction s'est aggravée, et le sang a de nouveau souillé une terre déjà saturée de larmes.
Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza dépasse toute description : c'est un enfer absolu, un cataclysme qui écrase pierres et êtres humains, mettant en péril jusqu'à l'essence même de l'humanité. Ce n'est plus seulement une agression militaire ou un blocus impitoyable, c'est une épreuve monstrueuse pour la dignité humaine, un rappel criant que le silence mondial est une complicité dans le crime.
Sous ce chaos, deux millions d'êtres humains suffoquent. Les entrepôts alimentaires sont vides, et les appels à l'aide des organisations humanitaires se multiplient, mettant en garde contre une catastrophe humanitaire qui s'aggrave de jour en jour. Aujourd'hui, la mort ne vient plus seulement des bombes, mais aussi du manque de nourriture et d'eau. Les boulangeries ont fermé faute de farine, les affamés se pressent devant des centres de distribution inexistants, et la soif assèche chaque recoin de Gaza.
Chaque enfant ici connaît la faim avant même de savoir parler. Chaque mère compte les respirations de ses enfants au lieu de compter leurs rêves. La politique de famine méthodique imposée par Israël est devenue une arme de destruction lente, tuant avec une cruauté insidieuse.
Avec l'élargissement de la zone de destruction, les centres d'aide humanitaire ferment un à un. Le spectre de la famine plane sur chaque tente, chaque maison, chaque campement de fortune. Les jours à venir promettent le pire, tant que ce siège cruel perdure dans une indifférence mondiale glaçante.
Parmi les ruines et les odeurs de mort omniprésentes, les habitants de Gaza n'ont plus qu'un mince espoir : une trêve. Dans chaque tente, chaque recoin dévasté, résonnent les prières discrètes des mères et des pères qui ne demandent plus qu'une seule chose : que cessent les bombardements sur leurs enfants. Ils aspirent à retrouver une vie, même austère et accablée par le blocus, mais une vie tout de même. Aujourd'hui, demander une trêve n'est plus une chimère politique ni une exigence diplomatique ; c'est une lutte vitale contre la faim, la peur, la mort.
Les habitants de Gaza ne rêvent plus d'un grand espoir : ils espèrent seulement un court répit, une pause dans le carnage. Chaque père rêve de se réveiller sans avoir à courir pieds nus sur les ruines à la recherche de ses enfants. Chaque mère supplie pour ne pas avoir à rassembler les morceaux de ses petits dans les décombres.
Ici, la trêve n'est pas seulement la suspension des bombardements : elle signifie la survie des cœurs brisés, la sauvegarde des dernières étincelles de vie, l'ouverture d'une infime fenêtre vers un souffle d'espoir étouffé.
Aujourd'hui, en ce quarante-deuxième jour de guerre, Gaza ne compte plus seulement ses morts : elle dénombre ses enfances volées, ses rêves assassinés, ses années de vie dérobées. Gaza ne demande plus le luxe, ni la paix parfaite, ni même l'espoir. Gaza demande seulement que la mort s'arrête un instant, que la vie reprenne son souffle, que le monde se souvienne qu'ici, un peuple est exterminé chaque jour sous les yeux de tous.
À Gaza, la guerre n'est plus un simple reportage au journal télévisé : c'est une vie entière qui saigne, un peuple entier qui s'accroche désespérément à un mince fil de survie parmi des ruines sans fin. »
Retrouvez l'ensemble des témoignages d'Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l'Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l'enfance.
Tous les deux sont soutenus par l'UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.