03/05/2025 les-crises.fr  7min #276753

L'Église catholique risque de prendre un virage très conservateur après la mort du pape François

Le pape François a insufflé à l'Église catholique un vent de progrès certes limité, mais dont elle avait désespérément besoin. Avec son successeur, cet esprit risque de s'étioler.

Source :  Jacobin, Pablo Castaño
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le pape François lors de son audience générale du mercredi, salle Paul VI, le 17 janvier 2024, Cité du Vatican. (Vatican Media via Vatican Pool / Getty Images)

Il se peut qu'un jour nous considérions la dernière décennie comme une anomalie dans l'histoire moderne de l'Église catholique. Le pape François - la figure de proue de ces années, considéré comme radical selon les normes de la hiérarchie catholique - nous a quittés, et nous sommes maintenant susceptibles d'assister à un changement majeur dans l'orientation politique du Saint-Siège. En fin de compte, et de manière inquiétante, la mort de François pourrait bien signifier que la papauté va finir par s'aligner sur l'extrême droite mondiale.

Il n'était pas obligatoire qu'il en soit ainsi. Élu en 2013, Jorge Mario Bergoglio, premier pape latino-américain de l'histoire, a apporté avec lui au Vatican ses inquiétudes pour la justice sociale enracinée dans la théologie radicale de libération de sa région d'origine, mais aussi une attention sans précédent aux questions environnementales et aux droits des migrants. Il s'agissait là d'un changement radical de priorités après les pontificats conservateurs de Jean-Paul II et de Benoît XVI, tous deux plus soucieux de défendre la morale traditionnelle que de revitaliser les valeurs chrétiennes fondamentales d'égalité et de fraternité.

En revanche, François a consacré deux de ses encycliques - les déclarations papales les plus importantes - à des questions résolument politiques. Laudato si (2015) aborde la crise environnementale, tandis que Fratelli tutti (2020) se consacre à la justice sociale. Ce dernier texte resté célèbre pour l'affirmation : « Le droit de chaque individu est de trouver un endroit qui réponde à ses besoins fondamentaux », le signe du soutien indéfectible de François aux migrants dans un contexte de montée des sentiments anti-immigrés en Europe et aux États-Unis. François a affiché ouvertement son mépris pour les leaders populistes d'extrême droite comme Donald Trump et son compatriote argentin Javier Milei (Milei a répondu en qualifiant François de « sale gauchiste »).

Le pontificat de Bergoglio a également été l'occasion d'un changement d'attitude de l'Église à l'égard du genre et de la sexualité, quoique dans une moindre mesure que ce qui était initialement escompté. Sa position sur la sexualité était considérablement plus libérale que celle de ses prédécesseurs, comme il l'a démontré en répondant « Qui suis-je pour juger ? » lorsqu'on l'a interrogé sur l'homosexualité dans l'Église. François a également irrité les ultraconservateurs en permettant aux prêtres de bénir les « couples en situation irrégulière » (y compris les couples de même sexe) et a surpris nombre de gens en nommant des femmes à des postes clés au sein du gouvernement du Vatican. Par contre, il a maintenu l'orthodoxie catholique en s'opposant au droit à l'avortement, même en cas de viol. Bergoglio est même allé jusqu'à qualifier les médecins qui pratiquent des avortements de « tueurs à gages », ce qui est scandaleux.

Sur le plan institutionnel, le bilan de François est tout aussi mitigé. Dès le départ, il s'est efforcé de mettre de l'ordre dans une bureaucratie vaticane ternie par les scandales de corruption révélés par l'affaire « Vatileaks ». Il a mis en œuvre une réforme en profondeur des finances du Vatican, laquelle s'est traduite par la fermeture de 5 000 comptes bancaires suspects, la création d'organes de contrôle et l'adoption de réglementations contre le blanchiment d'argent. Cependant, une autre fuite de documents compromettants (Vatileaks 2) a eu lieu en 2015, pendant son mandat, et la publication des Panama Papers en 2016 a révélé des investissements généralisés de l'Église dans des paradis fiscaux. Le Vatican n'allait pas mettre fin à des décennies de vénalité du jour au lendemain.

Les milliers de cas d'abus sexuels sur des enfants commis par des prêtres dans le monde entier, dont beaucoup avaient été délibérément dissimulés par Jean-Paul II et Benoît XVI, constituaient toutefois un problème bien plus grave. François a cherché à mettre fin à l'impunité des coupables en prenant des mesures énergiques, comme par exemple la destitution du cardinal américain Theodore McCarrick, reconnu coupable en 2019 d'avoir commis et couvert des agressions sexuelles. En 2019 également, le Vatican a organisé un sommet sur la pédophilie, qui a établi de nouveaux protocoles pour le signalement des abus. Cependant, à peine cinq ans plus tard, le premier rapport de la Commission pour la protection des mineurs a révélé de graves lacunes dans le traitement des plaintes. Un avenir incertain attend désormais ces réformes avec le successeur de François.

Loin des drames obscurs des coulisses du Vatican, l'ascension de François à la papauté a également marqué une rupture avec l'orientation géopolitique de ses prédécesseurs, puisqu'il a aligné le Saint-Siège beaucoup plus étroitement sur le Sud mondial. Alors que Jean-Paul II avait été un allié fidèle de Washington dans la soi-disant lutte contre le communisme, François s'est assuré de prendre ses distances avec les gouvernements occidentaux sur des questions telles que les relations avec la Chine, l'Ukraine et la Palestine.

En 2018, le Saint-Siège a signé un accord controversé avec le gouvernement chinois, ce qui lui a valu une réprobation virulente de la part de la première administration Trump. Plus tard, lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, le pape a appelé le président ukrainien tout en se rendant à l'ambassade russe pour faire part de ses préoccupations concernant le conflit - un geste interprété en Occident comme étant trop favorable à Vladimir Poutine. Enfin, le souverain pontife a qualifié de « terrorisme » les massacres de civils perpétrés par Israël à Gaza, ce qui contraste fortement avec le silence (ou la complicité) de la plupart des gouvernements occidentaux sur ce sujet.

Ce qui va se passer après la mort de François reste incertain. Le conclave qui élit le prochain pape combine l'apparat religieux et les intrigues politiques (une caractéristique de l'histoire du Vatican). Lorsqu'un pape meurt, une sede vacante (siège vacant) est déclarée, ce qui déclenche le processus du conclave - une réunion de tous les cardinaux du monde entier de moins de quatre-vingts ans ayant droit de vote, laquelle se tient de quinze à vingt jours après le décès du pape.

Il s'agit d'une réunion très confidentielle au cours de laquelle les cardinaux sont isolés du monde extérieur : ils n'ont pas accès à l'internet et ne quittent la Chapelle Sixtine que pour manger et dormir à la Casa Santa Marta. Le conclave dure jusqu'à ce qu'un cardinal obtienne les deux tiers des voix - ce qui nécessite généralement plusieurs tours - et c'est alors que la célèbre fumata blanca (fumée blanche) signale qu'un nouveau pontife est élu. Les récentes successions papales se sont réglées en deux ou trois jours (deux votes se tenant chaque jour).

Entre la mort du pape et le début du conclave se tiennent les « congrégations générales » [la première s'est tenue le 22 avril, NdT], au cours desquelles tous les cardinaux discutent des affaires de l'Église. C'est alors que se déroulent la plupart des manœuvres politiques visant à prédéterminer le résultat du vote. Ces réunions ont joué un rôle clé dans l'élection de Bergoglio. Comme le raconte Gerard O'Connell dans son livre sur le conclave de 2013, The Election of Pope Francis, celui qui était alors archevêque de Buenos Aires a gagné en popularité parmi les prélats pour sa position ferme sur la transparence financière - un sujet sensible après les révélations de Vatileaks.

Il est difficile de prédire l'issue du prochain conclave. Cependant, il y a toutes les raisons de croire que le successeur de François sera un pape plus conservateur. Tout d'abord, son pontificat a été très transformateur, tant sur le plan institutionnel que sur le plan du message public, et il est donc peu probable que les cardinaux choisissent un autre candidat tout aussi enclin à la réforme. L'Église a tendance à résister aux changements radicaux et durables.

Peut-être plus important encore, même si les murs de la chapelle Sixtine sont épais, le Vatican subit immanquablement l'influence des évolutions politiques mondiales. Avec Trump à la Maison Blanche et la montée de l'extrême droite dans le monde entier, élire un autre pape aussi progressiste que François reviendrait à nager à contre-courant - et il est de tradition au Vatican de s'adapter aux réalités changeantes plutôt que de les affronter. C'est pourquoi la prochaine fumata blanca annoncera probablement une personnalité plus conservatrice que Jorge Bergoglio. Le climat actuel suggère d'ailleurs qu'il pourrait bien être l'antithèse du pape « gauchiste. »

*

Pablo Castaño est journaliste indépendant et politologue. Il est titulaire d'un doctorat en politique de l'université autonome de Barcelone et a écrit pour Ctxt, Público, Regards et l'Independent.

Source :  Jacobin, Pablo Castaño, 21-04-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 les-crises.fr