
Par Seymour Hersh, le 6 mai 2025
À la table du Bureau ovale, les membres de l'équipe du président ne rivalisent que pour s'attirer les faveurs présidentielles.
En juillet dernier, j' ai écrit un article sur l'une des dernières réunions télédiffusées du cabinet de Joe Biden, une réunion ennuyeuse que le président a ouverte en lisant une introduction de trois ou quatre pages rédigée en gros caractères par ses adjoints, des pages plastifiées, sans doute pour en faciliter la lecture, du moins c'est ce que j'ai pensé - sans l'avoir écrit.
Lors de la réunion du Cabinet de mercredi dernier à la Maison Blanche, les caméras de télévision étaient présentes, et les débats ont été retransmis en direct par C-SPAN. J'étais plus que curieux de suivre cet événement. Je n'ai jamais eu de contact direct ou indirect avec Trump, mais je connaissais très bien le vice-président Dick Cheney lorsqu'il travaillait pour le président George W. Bush. Cheney ne supportait pas les imbéciles. C'est ainsi. En regardant C-SPAN, je me suis rappelé qu'on m'avait raconté comment, après une réunion houleuse dans son bureau avec un amiral quatre étoiles suffisant, le vice-président avait fait rire son équipe, disant qu'il aurait aimé qu'il y ait une trappe sous les pieds de l'amiral et un bouton à portée de main.
C'était peut-être l'occasion de voir le président à l'œuvre. Il y aurait sûrement des temps d'échange avec ses collaborateurs et ses conseillers. Il y a eu quelques questions sur des sujets pertinents - il a demandé au secrétaire aux Anciens combattants Doug Collins, ancien membre républicain du Congrès de Géorgie, d'évoquer le taux élevé de suicide chez les anciens combattants. Mais ce genre de questions de fond a été rare. Il n'y a pas grand-chose à en retenir, si ce n'est que le président était parfaitement disposé à laisser les membres de son cabinet s'exprimer sans trop les interrompre, tant que le sujet portait sur son propre leadership exceptionnel. Inévitablement, les éloges dithyrambiques et les déclarations absurdement erronées ont émaillé l'événement. Mais qu'il ait agi légalement ou constitutionnellement, Trump a concrétisé certaines des mesures annoncées : réduire le gouvernement fédéral à sa plus simple expression, fermer la frontière sud des États-Unis et endiguer le flux de migrants vers le pays. C'est en partie grâce à ces promesses répétées qu'il a remporté la présidence à l'automne dernier, ainsi que la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Les États-Unis risquent de basculer dans la récession à cause des droits de douane, comme le prédisent la plupart des économistes sérieux, mais il reste peut-être encore suffisamment de temps pour rectifier le tir. La politique étrangère de Trump est un désastre. Cette semaine, le règlement de la guerre en Ukraine qu'il avait promis semble loin d'être atteint, mais les généraux continuent de discuter, même si les dirigeants politiques ne le font pas. La Première ministre italienne Giorgia Meloni est peut-être aujourd'hui la seule alliée de Trump parmi les dirigeants politiques d'Europe occidentale, et il n'a plus aucun soutien en Chine, mais la politique internationale a toujours été fluctuante.
Les sondages actuels montrent que le public américain désapprouve les droits de douane de Trump, ses nouvelles propositions budgétaires drastiques et son recours à Elon Musk et à son équipe de casseurs pour démanteler le gouvernement fédéral, mais les chiffres de Trump sont bien plus réjouissants pour le président lorsque les Américains sont interrogés sur sa position face au Parti démocrate. Le président reste en tête face à tous les dirigeants démocrates actuels. (Le taux d'approbation national du Parti démocrate est de 27 %).
Que faut-il de plus pour comprendre que les Démocrates ont besoin d'une refonte radicale avant les élections de mi-mandat ? Ce serait un cadeau à leur faire si quelques-uns des Républicains intimidés et terrifiés du Sénat trouvaient l'intégrité nécessaire pour voter contre les propositions présidentielles indignes d'être adoptées. L'embarras a atteint son paroxysme lorsqu'aucun Républicain n'a trouvé le courage de voter contre la nomination de Russell Vought au poste de directeur du bureau de la planification et du budget de la Maison Blanche. Bon nombre des premiers décrets de Trump appelant à des réductions drastiques dans toute la bureaucratie ont été rédigés par ce bureau. Vought et Stephen Miller, adjoint à la Maison Blanche pour la politique et la Sécurité intérieure, ont été les artisans du Projet 2025, le plan directeur de la droite pour le démantèlement actuel du gouvernement fédéral, et la campagne fanatique visant à débarrasser l'Amérique des immigrants. Durant une conférence de presse télévisée à la Maison Blanche la semaine dernière, Miller, sans vergogne, a qualifié de "communistes" les nombreux juges fédéraux qui ont contesté la vision juridique de l'administration, au regard des procédures légales.
La réunion télévisée du Cabinet de la semaine dernière a été marquée par de nombreux mensonges et inepties de la part des membres du Cabinet tout au long de leurs rapports à leur patron. Trump s'est d'abord tourné vers Pete Hegseth, son secrétaire à la Défense en difficulté, qu'il a décrit, au milieu des rires, comme "la personne la moins controversée à cette table". Hegseth, qui a démontré à quel point les secrétaires à la Défense ont peu à voir avec la gestion du Pentagone, a déclaré au président avoir hérité
"d'une armée démoralisée, incapable de recruter [et] perçue comme affaiblie après ce qui s'est passé en Afghanistan et ailleurs à cause de Joe Biden". Depuis l'élection de Trump, a déclaré Hegseth, on assiste à "une véritable renaissance du recrutement. [...] Les hommes et les femmes d'Amérique veulent rejoindre l'armée américaine dirigée par le président Donald Trump".
Associated Press a qualifié l'affirmation de Hegseth concernant le recrutement d'"exagérée [...] et hors contexte". Selon les données du ministère de la Défense, le nombre de recrues dans toutes les branches de l'armée est en hausse depuis quelques années. Les experts citent des facteurs tels que l'amélioration des stratégies de recrutement, l'augmentation des primes et les nouveaux cours préparatoires antérieurs à l'élection présidentielle de 2024 comme facteurs de changement, tout en reconnaissant que l'élection de Trump pourrait également avoir joué un rôle. Cependant, aucune donnée ne vient étayer cette évaluation. Dans l'ensemble, le nombre d'enrôlements dans l'armée a augmenté de 12,5 % au cours de l'exercice 2024 par rapport à l'exercice 2023.
Hegseth a néanmoins fait plaisir à son patron.
"Nous allons obtenir le contrôle opérationnel total de la frontière", a-t-il déclaré. "Nos alliés de l'OTAN savent qu'ils doivent se mobiliser. Les Houthis au Moyen-Orient ressentent le poids de la puissance américaine et nous dissuadons la Chine communiste. Ce qui, grâce à votre leadership, monsieur, nous permet, je crois, de rendre à l'armée sa grandeur. Je vous en remercie".
Un autre échange a eu lieu avec Howard Lutnick, le milliardaire plein d'assurance qui occupe le poste de secrétaire au Commerce. Lutnick est un fervent soutien de Trump qui a fait don d'au moins 9 millions de dollars à sa campagne pour 2024. Il partage l'enthousiasme du président de permettre aux riches étrangers d'obtenir la citoyenneté américaine en échange de 5 millions de dollars, ce que le président a appelé une "carte gold" qui remplacerait le programme actuel de visa "carte verte" pour les investisseurs, qui offre aux étrangers la possibilité de devenir résidents permanents en investissant entre 500 000 et 1 million de dollars pour créer ou préserver des emplois américains. Les experts en immigration ont qualifié le projet du président d'illégal, car seul le Congrès peut élargir les catégories d'immigration.
Néanmoins, le programme semble aller de l'avant, comme l'a déclaré Lutnick avec enthousiasme à Trump, après s'être décrit comme le "catalyseur de l'investissement". Selon lui, de grandes entreprises du monde entier s'engagent à investir en Amérique.
"Elles veulent toutes investir en Amérique", a-t-il déclaré. L'industrie pharmaceutique mondiale sait "qu'elle doit rentrer au pays, car c'est l'Amérique qui paie tous les produits pharmaceutiques du monde.... L'industrie automobile va rentrer au pays. L'industrie aussi".
M. Lutnick a gardé le meilleur pour la fin. Au cours de ses voyages à travers le monde, a-t-il déclaré, il a constaté un intérêt pour ce qu'il appelle la
"carte gold de Trump" : "Cela m'a rendu très populaire". Il avait clairement toute l'attention du président. "Hier soir, j'étais au restaurant et quelqu'un m'a abordé et m'a demandé : 'Puis-je en acheter dix ? Et comment puis-je en acheter dix ?' Et j'ai répondu : 'C'est une bonne idée. Cela représente cinquante millions pour un dîner'".
Il a poursuivi, sous les rires du président et de ses collègues du Cabinet : "Ça me paie mon dîner".
On a également pu percevoir une touche de pathos lorsque Mike Waltz, conseiller à la Sécurité nationale sur le point d'être limogé, a déclaré simplement :
"C'est un honneur de servir dans cette administration, et je pense que le monde est bien meilleur et bien plus sûr grâce à elle".
Aurait-il dû être plus élogieux ?
La plupart des autres membres du Cabinet ont rapporté des propos beaucoup plus optimistes, se concentrant sur les objectifs du président, qu'il s'agisse de réduire le nombre d'employés fédéraux ou d'éliminer les programmes jugés excessivement progressistes par les nouveaux shérifs en ville. On a pu entendre les inévitables flatteries excessives sur ce qui a été décrit à maintes reprises comme une victoire électorale écrasante. Mais bien sûr, aucun des membres du Cabinet n'a pu rivaliser avec les éloges enthousiastes de Pam Bondi, la procureure générale :
"Monsieur le Président", a-t-elle déclaré sans la moindre gêne, "vos cent premiers jours ont largement dépassé ceux de toutes les autres présidences de ce pays, sans exception. Je n'ai jamais rien vu de tel. Merci. Votre directive était très simple : sécuriser l'Amérique. Et malgré cela, vous devez toujours faire face à plus de 200 poursuites civiles intentées contre vous, en plus de tout le reste... Et maintenant, plusieurs affaires sont devant la Cour suprême, mais nous allons gagner et tout se passera très bien.... Nous avons abrogé 200 mesures... et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer la sécurité de l'Amérique, conformément à vos instructions".
Et, pleine d'emphase, elle a affirmé que Trump a sauvé 258 millions de vies américaines grâce aux saisies de Fentanyl, mais l'essentiel de son discours a consisté à dire que sa mission est de faire tout son possible pour empêcher le système juridique américain d'œuvrer. Ce n'est pas exactement ce qu'on enseigne à la fac de droit.
Il faut que le Parti démocrate comprenne que le succès politique de Trump repose principalement sur sa promesse de sévir contre les immigrants, une question qui, depuis des décennies, déconcerte de nombreux démocrates et républicains au Congrès, animés de bonnes intentions mais incapables d'apporter des réponses politiquement acceptables. C'est devenu un cauchemar législatif qui a rendu perplexes certains des meilleurs esprits du Congrès.
La solution de Trump a été de diaboliser la communauté immigrée et de brouiller les pistes entre les millions de personnes qui ont contribué à améliorer l'Amérique, et les quelques-uns qui ne l'ont pas fait. Il s'est adressé à la part sombre de notre société et c'est ce qui lui a permis de remporter les élections.
Son cabinet reflète dans l'ensemble sa vanité et son ignorance politique. Des surprises pourraient bien ponctuer le mandat de son administration. Mais les premiers signes fournis par son cabinet ne peuvent être interprétés que comme une mise en garde selon laquelle la situation actuelle ne va pas aller en s'améliorant.
A CABINET OF SYCOPHANTS
Last July, I wrote about one of Joe Biden's last televised Cabinet meetings-a dreary affair at which the president opened by reading from a three- or four-page introduction in large type that had been prepared by aides who covered each page with plastic, perhaps to make it easier, so I thought but did not write, to turn the pages...