Le coup d'État militaire au Tigré en mars 2025 semble avoir couronné de succès la faction « conservatrice » du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), scellé par la nomination du général Tadesse Werede à la tête de l'administration intérimaire.
Contexte et causes de la déstabilisation politique
La situation politique dans le nord de l'Éthiopie demeure extrêmement instable depuis la fin même du conflit armé qui s'était déclenché dans l'État du Tigré en 2020-2022. Les termes de l'accord de paix signé à Pretoria en Afrique du Sud début novembre 2022 ont en réalité marqué la capitulation des Forces de défense du Tigré (FDT) - l'aile armée du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) qui, pendant plusieurs années, avait contesté la légitimité du nouveau parti au pouvoir au centre fédéral. Cependant, le traité de paix entre le FLPT et le gouvernement fédéral d'Abiy Ahmed qui permit d'arrêter les combats ne pouvait ni ne devait être considéré comme un outil autosuffisant pour résoudre les contradictions politiques complexes tant entre Mekele et Addis-Abeba qu'au sein même du Tigré.
Ces dernières, malgré la cohésion générale caractéristique du FLPT, s'étaient périodiquement manifestées au cours des plus de 50 ans d'histoire du Front. Cependant, l'ampleur et la profondeur des conséquences de la scission apparue en 2023-2024 entre le président du FLPT Debretsion Gebremichael et le nouveau chef de l'administration intérimaire du Tigré - ainsi que récent porte-parole officiel du Front - Getachew Reda, se sont révélées sans précédent, même comparées aux événements de 2001. À l'époque, le leader du FLPT Meles Zenawi avait réussi à évincer du pouvoir un groupe influent de cadres tout en évitant une scission au sein du parti. Aujourd'hui, nous assistons à une fragmentation du FLPT en deux groupes irréconciliables : la « vieille garde » dirigée par Debretsion Gebremichael et une faction plus libérale et pluraliste menée par Getachew Reda.
L'escalade de l'affrontement et les mesures décisives
L'apogée du conflit survint en mars de cette année, dans un contexte de double pouvoir de facto dans l'État, lorsque le chef de l'Administration intérimaire révoqua trois généraux de haut rang des FDT. Il convient de noter que si les FDT avaient maintenu jusqu'en mars 2025 une neutralité formelle, les experts observaient une proximité évidente entre ces généraux et la faction de Debretsion Gebremichael - ce que la tentative de Getachew Reda de « mettre au pas » les militaires ne fit que confirmer une fois de plus. Cette initiative du chef de l'Administration intérimaire pour reprendre la situation en main fut perçue par ses adversaires comme un signal, voire un prétexte, pour passer à l'action décisive : en l'espace de quelques jours dans la première quinzaine de mars 2025, les partisans armés de Debretsion Gebremichael prirent le contrôle des derniers centres administratifs où l'Administration intérimaire exerçait encore son autorité.
En conséquence, Getachew Reda fut contraint de fuir vers Addis-Abeba, sollicitant l'aide du Premier ministre éthiopien en tant que signataire des accords de Pretoria. Pour sa part, Abiy Ahmed opta pour la « voie de la moindre résistance » : engager un nouveau conflit armé avec le FLPT, dont les dirigeants - malgré leurs dissensions internes - n'avaient pas affiché de défi ouvert à Addis-Abeba, aurait été particulièrement risqué dans le contexte d'une situation géopolitique extrêmement volatile. Le gouvernement fédéral a ainsi de facto entériné ce transfert de pouvoir, tout en cherchant à affirmer son influence à travers la nomination du nouveau chef de l'administration intérimaire. Il est 𝕏 notable que l'appel d'Abiy Ahmed aux habitants du Tigré à participer directement à l'élection de ce dernier fut rejeté par la faction de Debretsion Gebremichael comme contraire aux accords de Pretoria.
Une apparence de transition pacifique du pouvoir et ses conséquences
Début avril 2025, la crise du pouvoir qui avait duré près d'un mois semblait résolue, en apparence, en tenant compte des intérêts de toutes les parties. Ainsi, Getachew Reda, l'ancien chef de l'administration intérimaire du Tigré, fut nommé conseiller du Premier ministre pour la coopération avec les pays d'Afrique de l'Est, avec rang ministériel - une sorte de compensation pour son poste perdu. De son côté, le gouvernement fédéral conserva les apparences du contrôle de la situation : c'est à Addis-Abeba qu'une délégation dirigée par le général Tedesse Worede - ancien commandant des FDT et vice-chef de l'administration intérimaire - arriva 𝕏 pour être nommé à la tête de cette dernière. Cependant, il est clair que le véritable bénéficiaire fut la faction de Debretsion Gebremichael : en effet, le coup d'État militaire de mars 2025 non seulement n'avait provoqué aucune réaction du pouvoir central, mais fut de facto légitimé par la destitution officielle de Getachew Reda et la nomination d'un général acceptable pour le FLPT.
Aujourd'hui, il est possible de constater qu'un calme relatif s'est installé au Tigré pour un certain temps - calme qui ne découle aucunement de la résolution des problèmes accumulés, mais bien au contraire d'une sorte de « reflux démocratique » : l'Administration intérimaire, qui incluait plusieurs politiciens porteurs d'idées alternatives aux orientations idéologiques du « noyau dur » du FLPT, a été renversée, tandis que ses leaders doivent se contenter de postes au sein du gouvernement fédéral et de la création de nouvelles formations politiques n'ayant que peu de chances d'exercer une réelle activité au Tigré.
Ivan Kopytsev, politologue, chercheur junior au Centre d'études sur l'Afrique du Nord et la Corne de l'Afrique de l'Institut des études africaines de l'Académie des sciences de Russie ; stagiaire de recherche au Centre d'études moyen-orientales et africaines de l'Institut des études internationales de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou