Jeremy Scahill
Basem Naim, Haut responsable du Hamas (AFP)
Les États-Unis ont immédiatement rompu l'accord, explique Basem Naim, haut responsable du Hamas, à Drop Site. « Ils l'ont jeté à la poubelle » et il n'y a eu "aucun" progrès en ce qui concerne le cessez-le-feu à Gaza.
Un haut responsable du Hamas a déclaré à Drop Site que le groupe a reçu un engagement direct de l'envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, selon lequel deux jours après la libération du citoyen américain et soldat israélien Edan Alexander, l'administration Trump obligerait Israël à lever le blocus de Gaza et à autoriser l'entrée de l'aide humanitaire sur le territoire. Selon ce responsable, Witkoff a également promis que Trump appellerait publiquement à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et à des négociations en vue d'un "cessez-le-feu permanent".
"Tel était l'accord", a déclaré Basem Naim, membre du bureau politique du Hamas qui a déjà participé à des pourparlers directs avec des responsables américains. Il a précisé que cet engagement a été pris par "Witkoff lui-même". Dans une interview accordée à Drop Site, Naim a déclaré que l'accord était le suivant :
"Si nous libérons [Alexander], Trump devait remercier publiquement le Hamas pour son geste, obliger Israël à ouvrir les frontières dès le deuxième jour et autoriser l'entrée de l'aide à Gaza, et appeler à un cessez-le-feu immédiat et à des négociations pour mettre fin à la guerre".
"Il n'a rien fait de tout cela", a ajouté Naim. "Ils n'ont pas violé l'accord. Ils l'ont mis à la poubelle".
La Maison Blanche n'a pas répondu à une demande de commentaires.
La libération d'Alexander, enlevé par des combattants palestiniens le 7 octobre 2023 dans la base militaire israélienne où il était stationné, a été un événement marquant : il est le premier soldat libéré par le Hamas depuis le début de la guerre, il y a 19 mois. Le Hamas a déclaré l'avoir libéré en "guise de bonne foi" vis à vis de Trump, et parce qu'il pensait avoir obtenu l'engagement que la libération d'Alexander se traduirait par l'acheminement immédiat de nourriture, de médicaments et de carburant à Gaza.
Vendredi, alors que Trump terminait sa tournée dans les pays du Golfe, il a brièvement évoqué la guerre à Gaza et la catastrophe humanitaire effroyable causée par le blocus total imposé par Israël à Gaza. Depuis 76 jours, Israël bloque tout approvisionnement en nourriture, médicaments, eau et carburant à Gaza. Ce blocus a replongé la population en état de famine forcée. Presque toute la population de Gaza est confrontée à une grave insécurité alimentaire et des milliers d'enfants souffrent déjà de malnutrition aiguë. Ces chiffres devraient augmenter de façon spectaculaire dans les mois à venir si le blocus n'est pas levé.
Nous voyons ce qui se passe à Gaza, et nous devons nous en occuper", a déclaré Trump lors d'un événement public aux Émirats arabes unis. "Beaucoup de gens meurent de faim. Vraiment beaucoup. Il s'y passe de très mauvaises choses".
Naim a pris acte des remarques de Trump sur la famine à Gaza, mais a souligné que, la veille, Trump a encore évoqué la possibilité que les États-Unis se saisissent de Gaza, affirmant qu'il serait "fier" de "reprendre" le territoire palestinien et "d'en faire une zone libre". En février, aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche, Trump avait annoncé vouloir transformer Gaza en une "Riviera du Moyen-Orient" des États-Unis.
"Leur politique est instable et fluctuante", a déclaré Naim. Trump "peut dire ce qu'il veut. Nous attendons des actes. Les paroles et les déclarations ne nous intéressent pas. La catastrophe humanitaire doit cesser immédiatement, c'est un devoir, ce n'est pas une question négociable. Et la guerre doit prendre fin".
"Si quelqu'un espère atteindre quelque autre objectif sans désamorcer la situation en Palestine, en particulier à Gaza, a ajouté M. Naim, je pense qu'il est - sans aller jusqu'à dire qu'il délire - du moins un grand rêveur".
Le plan"humanitaire"de Trump
Les États-Unis et Israël ont tous deux mis en avant des plans, qui ne seraient liés à aucun cessez-le-feu, pour acheminer de l'aide dans la bande de Gaza. La Maison Blanche a déclaré que le gouvernement américain autoriserait une organisation "non gouvernementale" nouvellement créée à gérer officiellement le programme parallèlement à des sociétés de sécurité privées américaines. Cette proposition de distribution de l'aide prévoyait une procédure de contrôle politique et des restrictions caloriques, qui contraindrait les Palestiniens à parcourir de longues distances et à se soumettre à des contrôles de sécurité approfondis pour recevoir de maigres rations alimentaires. Selon ce plan, des représentants préapprouvés des familles de Gaza seraient autorisés à venir chercher des denrées alimentaires deux fois par mois. Si l'armée israélienne n'était pas chargée de distribuer l'aide, elle serait toutefois impliquée dans les missions de sécurité.
"Un plan a été proposé, critiqué par certains, mais il permettrait à la population de recevoir l'aide sans que le Hamas ne la détourne. Nous continuerons d'œuvrer dans ce sens, par les moyens que nous jugeons productifs et efficaces", a déclaré jeudi le secrétaire d'État Marco Rubio. "Nous sommes ouverts à toute meilleure alternative".
L'ONU et des dizaines d'organisations humanitaires internationales œuvrant à Gaza ont dénoncé cette proposition, affirmant qu'elle instrumentaliserait l'accès à l'aide alimentaire et à d'autres produits de première nécessité. Elles ont appelé à un cessez-le-feu immédiat suivi d'un acheminement sans restriction de l'aide vers Gaza.
La Gaza Humanitarian Foundation, une nouvelle organisation soutenue par Trump et enregistrée en Suisse, a déclaré cette semaine avoir conclu un accord avec Israël pour commencer à opérer à Gaza d'ici la fin du mois de mai. Israël a indiqué que la distribution de l'aide serait gérée depuis le sud de Gaza, près de la frontière égyptienne. Des responsables de l'ONU ont averti que ce plan pourrait s'inscrire dans l'objectif déclaré d'Israël de chasser des centaines de milliers de Palestiniens du nord et du centre de Gaza vers le sud.
Le 4 mai, le cabinet israélien a approuvé un plan baptisé "Operation Gideon's Chariot" qu'il a menacé de mettre en œuvre si le Hamas ne se plie pas aux exigences d'Israël avant la fin de la tournée de Trump dans le Golfe. Son objectif explicite serait la "conquête de la bande de Gaza" : une occupation illimitée accompagnée d'attaques "à grande échelle" et de destruction des infrastructures restantes de Gaza. Les Palestiniens seraient parqués dans le désert de ce qui fut autrefois Rafah.
Ces derniers jours, avant le voyage de Trump dans le Golfe, Netanyahu a ordonné une intensification spectaculaire des bombardements terroristes israéliens sur Gaza et a commencé à rassembler des contingents le long de la bande de Gaza.
L'envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, Steve Witkoff, arrive pour une cérémonie de signature au Palais royal de Doha, le 14 mai 2025. (AFP)
Vendredi, plus de 90 Palestiniens ont été tués et plus de 200 blessés dans des attaques israéliennes, selon le ministère de la Santé de Gaza. Près de 3 000 Palestiniens ont été tués depuis qu'Israël a repris ses attaques incessantes le 18 mars, dont au moins 250 ces deux derniers jours. Le directeur général du ministère, Munir al-Barsh, a qualifié les attaques contre la bande de Gaza de "massacres les plus atroces de nettoyage ethnique".
L'armée israélienne a ordonné le déplacement massif des habitants de Beit Lahia, Jabalia et d'autres zones du nord, provoquant la fuite de familles paniquées sans savoir où se réfugier. "Que vous soyez dans les abris, les tentes ou les bâtiments... évacuez immédiatement vers le sud", pouvait-on lire sur les tracts largués par l'armée israélienne au-dessus de ces zones. Des images obtenues par Al Jazeera montrent l'armée israélienne tirant sur des civils qui tentaient de fuir. Les ordres d'évacuation forcée ont été donnés quelques heures après que 66 Palestiniens ont été tués pendant la nuit dans le nord, selon le personnel de l'Hôpital Indonésien, où des images publiées par des témoins montrent des cadavres gisant sur le sol des urgences.
Dans le nord de Gaza, le secouriste Mohammad Abu Louay a rapporté plus de 15 raids aériens frappant des zones résidentielles densément peuplées, notamment Tal al-Zaatar et le camp de Jabalia. Des familles entières sont toujours piégées sous les décombres, ou portées disparues. Mahmoud Basal, porte-parole de la Protection civile de Gaza, a décrit l'assaut comme "une nuit digne des atrocités du Jour du Jugement dernier". Il a déclaré que l'armée israélienne a intensifié ses bombardements aveugles, frappant sans préavis des logements habités et prenant pour cible les équipes d'ambulanciers qui tentaient de secourir les survivants.
Le Hamas déclare"zéro"progrès vers un cessez-le-feu
Alors que Witkoff, selon le Hamas, avait promis que les États-Unis aideraient à lever le blocus israélien sur Gaza deux jours après la libération d'Alexander, Washington semble avoir complètement renoncé à cet accord. Le 13 mai, au lendemain de la libération d'Alexander par le Hamas, Israël a lancé une série de frappes aériennes massives contre l'hôpital européen de Khan Younis, tuant 28 Palestiniens et en blessant des dizaines d'autres. Israël a affirmé que la cible de l'attaque était Mohammed Sinwar, le frère du défunt dirigeant politique du Hamas, Yahya Sinwar. Mohammed Sinwar a pris le commandement des Brigades Al Qassam, la branche armée du Hamas, après l'assassinat par Israël de ses précédents commandants, Mohammed Deif et Marwan Issa.
Les responsables israéliens ont laissé entendre que s'en prendre à Sinwar permettrait d'assouplir la position du Hamas dans les négociations, affirmant que le commandant des Brigades Al-Qassam était partisan d'une ligne dure. Le Hamas n'a pas confirmé la mort de Sinwar, et Naim a rejeté l'idée que son assassinat aurait un quelconque impact.
"Je pense que cela fait partie de la stratégie israélienne, mais elle échoue depuis 17 mois. Ils ont tué Yahya Sinwar, ils ont tué Deif, ils ont tué Marwan Issa. Ils ont tué beaucoup de dirigeants et personne n'a constaté de rupture claire, non seulement dans les négociations, mais aussi dans le conflit dans son ensemble, chez tous les combattants, au niveau des tactiques et des stratégies", a déclaré Naim. "Négocier n'est pas le fait d'un seul homme. Les décisions sont prises par de nombreuses personnes à Gaza et en dehors de Gaza".
La libération des prisonniers [israéliens] n'aura lieu qu'après le retrait total de l'armée israélienne de la bande de Gaza et une déclaration claire de fin de la guerre", a déclaré M. Naim.
Witkoff et Adam Boehler, l'envoyé spécial de la Maison Blanche sur les otages, ont participé à plusieurs réunions à Doha cette semaine avec les négociateurs israéliens, ainsi qu'avec les médiateurs régionaux du Qatar et de l'Égypte. Alors que les deux responsables américains ont publiquement exprimé leur optimisme cette semaine quant à la possibilité d'un accord, Naim a déclaré qu'il n'y a eu aucun progrès. "Zéro", a-t-il déclaré. "Zéro pointé".
"Leurs discussions les ont simplement ramenés aux conditions israéliennes ou à la proposition Witkoff-Israël, comme si rien ne s'était passé durant les deux dernières semaines, pas même la libération d'Alexander, qui n'a été possible que grâce aux négociations directes avec les Américains", a déclaré M. Naim. "Ils s'obstinent à proposer des accords partiels ou progressifs. Ils parlent de libérer une partie des prisonniers en échange d'un cessez-le-feu temporaire, puis d'entamer des négociations ouvertes sans s'engager à mettre fin à la guerre".
Les médias israéliens ont rapporté vendredi qu'aucun progrès n'avait été enregistré à Doha cette semaine. YNet a rapporté qu'après deux jours de réunions, Witkoff "a abandonné et laisse Israël prendre les décisions". Le Times of Israel a rapporté que face au refus de Netanyahou de faire des concessions, "Witkoff a déclaré à d'autres médiateurs que Washington ne compte pas forcer Israël à mettre fin à l'offensive à Gaza".
Lors des pourparlers de cette semaine, Naim a déclaré que les médiateurs n'ont présenté aucun changement substantiel au "projet Witkoff" diffusé par les médiateurs égyptiens en avril et obtenu par Drop Site. La proposition à court terme de Witkoff omet des éléments cruciaux du cadre de l'accord en trois phases signé en janvier par le Hamas et Israël, qui aurait entraîné le retrait complet des forces israéliennes de Gaza et la déclaration d'un "cessez-le-feu permanent". Le projet Witkoff incluait des modifications importantes que le Hamas a déclaré ne pas pouvoir accepter, notamment la démilitarisation totale de la bande de Gaza.
Selon l'accord initial, Israël devait amorcer le retrait complet de son armée à la fin de la première phase. Cependant, selon le plan Witkoff, Israël se serait contenté de repositionner ses forces là où elles se trouvaient le 2 mars, sans se retirer des positions occupées par plusieurs de ses unités à Gaza, et sans calendrier précis pour un retrait total.
Les médiateurs régionaux ont déclaré au Hamas qu'Israël campe sur ses positions et n'acceptera que des accords à court terme prévoyant la libération des prisonniers israéliens détenus à Gaza, sans s'engager clairement à retirer ses effectifs ni à mettre fin à la guerre. Le Hamas a maintenu qu'il ne libérera aucun autre prisonnier tant qu'un accord-cadre ne prévoit pas de calendrier précis pour le retrait israélien et un cessez-le-feu permanent conforme aux termes de l'accord initial signé en janvier.
La libération des prisonniers [israéliens] n'aura lieu qu'après le retrait total de l'armée israélienne de la bande de Gaza et une déclaration claire de fin de la guerre", a déclaré M. Naim.
Naim, l'un des deux hauts responsables du Hamas à avoir rencontré directement M. Boehler en février, est une figure centrale des négociations directes et indirectes en cours avec les responsables américains. Il a déclaré que l'administration Trump envoie souvent des messages contradictoires.
"Tantôt nous obtenons une réponse positive ou un signe indiquant que leur point de vue avance, mais l'instant d'après, ils reviennent à leur discours habituel, aux exigences israéliennes", a déclaré M. Naim. Selon lui, tenter de cerner la position de l'administration Trump revient moins à évaluer une stratégie diplomatique qu'à surveiller un portefeuille financier.
C'est comme les marchés boursiers : il faut surveiller la situation minute par minute pour être sûr d'obtenir quelque chose au final. Comme vous le savez, le marché boursier évolue tout au long de la journée : il affiche une tendance le matin, une autre en milieu de journée, puis une troisième en fin de journée. C'est à mon avis l'un des plus grands défis à relever".
Les médiateurs, a déclaré M. Naim, ont suggéré que si aucun accord à long terme n'était conclu à l'issue de la trêve à court terme, cette dernière pourrait être prolongée pour une nouvelle période durant laquelle davantage de prisonniers seraient libérés.
"Ce qui signifie qu'on peut être sûr à 100 % qu'on ne parviendra pas à un accord définitif. Au bout des 45 jours, [Israël] dira : 'Nous avons échoué', comme Netanyahu l'a déjà fait dans l'accord initial, et 45 jours plus tard, il dira : 'Pour prolonger les négociations, il nous faut davantage de prisonniers libérés, sinon la guerre et la famine reprendront", a affirmé M. Naim. "Nous en serons au même point qu'aujourd'hui, à savoir qu'en une ou deux sessions au maximum, nous aurons remis tous les prisonniers". Il a ajouté : "Je ne pense pas qu'un négociateur rationnel ou avisé accepterait un tel accord".
Netanyahu n'a pas caché son intention de procéder exactement comme le suppose le Hamas.
"Le Hamas dira peut-être : 'Attendez, nous allons libérer 10 [captifs] supplémentaires'. Très bien, faites-les venir. Nous les accueillerons. Et ensuite, nous passerons à l'action. Mais nous ne mettrons pas fin à la guerre", a déclaré Netanyahu lors d'un rassemblement de soldats israéliens blessés lundi.
Naim s'est dit peu optimiste quant à la conclusion d'un accord, à moins que Trump ne force la main à Israël.
"Si [Netanyahu] continue de bénéficier impunément du soutien des États-Unis et des pays occidentaux, et que la communauté internationale estime qu'il peut violer les accords, alors les négociations ne servent à rien", explique Naim. "Tant qu'Israël aura les mains libres et se comportera en enfant gâté, en État voyou, il réitérera ses agressions, comme il l'a toujours fait".
Le chercheur Jawa Ahmad, spécialiste du Moyen-Orient, a contribué à cet article.
Source : Drop Site pour la version originale parue le 16 mai 2025
Arrêt sur Info pour la traduction en français