Une chronique de la révolution (ACOR4)
Par Peter Turchin − Le 27 avril 2025 − Source Cliodynamica
Dans mon livre End Times, j'ai consacré plusieurs chapitres à Steve Bannon, car je considérais qu'il était une figure importante du mouvement MAGA, qui méritait toute notre attention. Bannon a rencontré Donald Trump pour la première fois en 2010. En 2016, il est devenu directeur de campagne de Trump. En 2017, il a été nommé stratège en chef et conseiller principal de Trump, mais il a démissionné de ce poste en août de la même année. Les relations entre les deux hommes ont atteint leur point le plus bas lorsque les propos désobligeants de Bannon à l'égard du président et de sa famille ont été rendus publics dans le livre de Michael Wolff, Fire and Fury.
Pendant un certain temps, le soleil semblait s'être couché sur Bannon. Pour couronner le tout, il a fait l'objet de plusieurs poursuites pénales pour complot en vue de commettre une fraude électronique et blanchiment d'argent (il a finalement plaidé coupable d'un chef d'accusation et a été condamné à trois ans de liberté conditionnelle) et pour outrage au Congrès (pour lequel il a été condamné à quatre mois de prison dans l'établissement pénitentiaire fédéral de Danbury, dans le Connecticut).
Malgré ces déboires judiciaires, l'influence politique de Bannon s'est considérablement accrue au cours des trois ou quatre dernières années. Ou peut-être est-ce l'inverse : être emprisonné par le régime ne fait que renforcer la réputation d'un révolutionnaire, comme cela s'est produit, par exemple, pour Vladimir Lénine. Et Bannon se décrit lui-même comme un « léniniste », qui aurait déclaré : « Je veux tout faire s'écrouler et détruire tout l'establishment actuel ».
Au cours de son premier mandat présidentiel, Trump ne se considérait pas comme un radical. Selon Benjamin Teitelbaum (dans War for Eternity: Inside Bannon's Far-Right Circle of Global Power Brokers, publié en 2020) :
Comme il [Bannon] me l'a dit, « pour rendre à l'Amérique sa grandeur, il faut... il faut tout bouleverser avant de reconstruire ». Aux yeux de Bannon, Donald Trump est « le perturbateur ». Je l'ai également entendu parler de « destructeur ». C'est du moins ce que comprend Steve. Steve se souvient avoir eu une brève conversation avec Trump à ce sujet à la Maison Blanche en avril 2017, à la suite de la couverture médiatique de sa lecture de The Fourth Turning. Le président n'avait pas trouvé cela drôle. Il se voyait plutôt comme un bâtisseur que comme un destructeur, et il était rebuté par tous ces discours étranges sur le destin funeste, la destruction et l'effondrement. Steve n'a pas insisté. Ce n'était qu'un bref échange. Et puis, il n'était pas nécessaire de faire voir à Trump le monde tel qu'il le voyait.
Peut-être que Trump se considérait alors comme un bâtisseur, mais les 100 premiers jours de son deuxième mandat ont montré que la description faite par Bannon en 2017 de Trump comme « le perturbateur » était juste, voire en deçà de la réalité.
Devenir un membre loyal du réseau de pouvoir de Trump, tout en évitant d'occuper un poste officiel dans sa campagne de 2024 ou dans son administration, a bien servi Bannon. Aujourd'hui, il est probablement la personnalité la plus influente des réseaux sociaux et le stratège politique le plus influent de la droite, et son influence dépasse désormais largement le mouvement MAGA. En voici trois exemples :
Gavin Newsom trouve un terrain d'entente surprenant avec Steve Bannon. Le gouverneur de Californie a reçu l'un des architectes du mouvement politique du président Trump dans son nouveau podcast, et leur échange amical a révélé quelques points d'accord.
Le sénateur Démocrate s'inspire du trumpisme. Douthat : Y a-t-il un parallèle - vous pensez évidemment que le fond est différent - mais y a-t-il un parallèle entre le programme de Chris Murphy et, disons, celui de Steve Bannon, en particulier sur l'idée que la structure de l'économie est injuste pour la classe ouvrière ?
Interview de Bannon sur NPR : Comment les 100 premiers jours de Trump ont changé le monde
Il est intéressant de noter, mais pas surprenant, qu'il y a eu une forte opposition à ce que Bannon puisse exprimer ses opinions dans ce bastion de la gauche, à tel point que le rédacteur en chef de NPR a jugé nécessaire de défendre ce choix : Pourquoi Steve Bannon est-il sur NPR ? La diversité des points de vue permet d'avoir une vision plus complète.
Comme le savent mes lecteurs qui ont lu ma déclaration sur la position non partisane et non idéologique de ce blog, je suis tout à fait d'accord avec l'idée que « la diversité des points de vue permet d'avoir une vision plus complète ». Examinons donc cette interview pour voir dans quelle mesure ma vision de la situation actuelle, telle que je l'ai exposée dans la série d'articles Une Chronique de la Révolution (ACOR), correspond ou non à celle de Bannon (à noter que tous les articles ACOR ont été écrits avant que je ne regarde l'interview de Bannon sur NPR). Les citations suivantes ont été vérifiées par rapport à la transcription de l'interview.
- Sur la situation actuelle des États-Unis : Il s'agit d'une révolution concernant le rôle des États-Unis dans le monde, notre position géopolitique, les relations commerciales mondiales, ainsi que l'État administratif et la façon dont le pays est gouverné.
- Sur le DOGE : Je pense qu'il fallait une force traumatisante comme le DOGE pour ébranler l'État administratif.
- À propos des échecs en 5D : Je pense qu'il (Donald Trump) semble être un homme très intelligent qui essaie de déplacer les pièces d'échecs.
- À propos de la direction que nous prenons : Il va y avoir une confrontation. Je pense que la convergence, en particulier des réductions des dépenses, et la crise constitutionnelle vers laquelle nous nous dirigeons vont faire de cet été un été sans précédent. Au cours de l'interview, je l'ai entendu dire d'autres choses qui n'ont apparemment pas été retranscrites (si vous écoutez le podcast, dites-moi si j'ai mal compris quelque chose) :
- À propos de Voice of America : « Démolissez tout jusqu'aux fondations, puis reconstruisez. »
- À propos de l'ordre mondial libéral de l'après-guerre : il a enrichi les élites (ceux qui le dirigent), tandis que la classe ouvrière et la classe moyenne se sont appauvries, et que les Américains ordinaires se sont fait avoir.
- À propos de l'équilibre budgétaire : si vous ne réduisez pas le budget du Pentagone, vous n'êtes pas sérieux.
- À propos de la « défense hémisphérique » : s'allier avec la Russie (contre le PCC), réduire le budget militaire de 300 à 400 millions de dollars.
Alors, quelle est mon opinion sur tout cela ? À mon avis, Bannon mérite d'être qualifié de stratège en chef du mouvement MAGA. Il présente une doctrine assez cohérente pour le mouvement, qui nous aide à comprendre les actions spécifiques de l'administration Trump (plus que les déclarations de Trump lui-même, qui ont tendance à être beaucoup plus situationnelles et peuvent changer d'un moment à l'autre). Cette doctrine est révolutionnaire, c'est pourquoi l'accent est actuellement mis sur la destruction. Mais elle comporte également un aspect positif (quel type de monde nouveau doit être construit à l'avenir), et au moins certains opposants politiques au mouvement MAGA semblent en prendre note.
Une alternative à cette focalisation sur un seul individu consiste à se plonger dans des documents programmatiques volumineux tels que l'Agenda 47 ou le Projet 2025. Qu'en pensez-vous ?
Peter Turchin
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone