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Du pur Orwell : l'Europe condamne l'Iran pour les attaques sur son propre territoire

 Stephane

Du pur Orwell : l'Europe condamne l'Iran pour les attaques sur son propre territoire

Par Eldar Mamedov, le 3 juillet 2025

Dans leur grande hypocrisie vis-à-vis d'Israël, les élites européennes exposent une fois de plus le cadavre en décomposition de ce qu'on appelle "l'ordre fondé sur des règles".

Lorsque des avions de combat israéliens ont  frappé l' Iran, violant la souveraineté iranienne dans un acte d'agression cynique, tuant des dizaines de civils ainsi que des hauts commandants militaires et des scientifiques nucléaires, et provoquant des  représailles tout aussi aveugles de la part de l'Iran, les dirigeants européens n'ont pas condamné cette attaque.

Ils l'ont au contraire approuvée et ont condamné l'Iran pour les attaques sur son propre territoire.

Le président français Emmanuel Macron a donné le ton en  condamnant le "programme nucléaire en cours" de l'Iran, réaffirmant "le droit d'Israël à se défendre et à assurer sa sécurité". La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen,  semble avoir suivi le même script en "rappelant le droit d'Israël à se défendre", agrémenté de quelques platitudes sur la nécessité de la retenue et de la désescalade.

Le ministère allemand des Affaires étrangères est allé plus loin et a " fermement condamné" l'Iran pour "une attaque aveugle contre le territoire israélien" - avant même que Téhéran ne lance ses missiles en réponse à l'attaque d'Israël sur son territoire - tout en approuvant pleinement les actions d'Israël.

Cette rhétorique orwellienne n'est pas seulement le fruit de l'incompétence ou de l'ignorance. Elle est l'aboutissement d'années de déplorable pratique diplomatique européenne qui ont contribué à engendrer cette crise et ont révélé que "l'ordre fondé sur des règles" n'est plus qu'un fantôme. Le deux poids deux mesures de l'Europe a tué sa crédibilité.

À propos de l'Ukraine, l'Europe a cité l'article 2(4) de la Charte des Nations unies avec clarté : "Tout membre s'abstient de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou souveraine d'un État". Pourtant, lorsque  l'Israël a attaqué l'Iran - sans  aucune base légale pour se défendre -  l'Europe a de facto requalifié l'agression en vertu et l'a tolérée.

L'effondrement moral et diplomatique de l'Europe n'est pas passé inaperçu. Deux voix respectées dans le monde entier ont rendu des verdicts particulièrement accablants. Mohamed ElBaradei, lauréat du prix Nobel et ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique, a donné une leçon humiliante de droit international au ministère allemand des Affaires étrangères.

Réagissant à l' approbation par Berlin des "frappes ciblées contre les installations nucléaires iraniennes" (sans se soucier des centaines de civils tués lors de ces frappes), El Baradei  a rappelé que de telles frappes sont interdites par les Conventions de Genève ratifiées par l'Allemagne, et que le recours à la force dans les relations internationales

"est interdit par la Charte des Nations unies, à l'exception du droit de légitime défense en cas d'attaque armée ou sur autorisation du Conseil de sécurité dans le cas d'une action de sécurité collective".

Pour sa part, Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, a réagi à la déclaration de Macron en  déclarant que

"le jour où Israël, de façon non provoquée, a attaqué l'Iran, le président d'une grande puissance européenne a reconnu qu'au  Moyen-Orient, Israël, et Israël seul, a le droit de se défendre".

Les messages d'El Baradei et d'Albanese sont sans équivoque : lorsque l'Europe applaudit l'attaque d'Israël tout en condamnant l'invasion de la Russie, elle ne respecte pas les règles universelles, elle impose son identité tribale : les "règles" ne s'appliquent qu'aux adversaires, pas aux amis. Voilà qui porte un coup fatal à la prétention d'autorité morale de l'Europe, un constat largement souligné dans les pays du Sud, mais aussi par de nombreux citoyens européens.

Les dérives européennes semblent d'autant plus déconnectées de la réalité que la crise au Moyen-Orient a éclaté grâce aux échecs successifs de l'Europe. Tout d'abord, l'E3 (Grande-Bretagne, France, Allemagne) n'a pas réussi à maintenir le JCPOA Ndt - Joint Comprehensive Plan of Action : [accord de Vienne sur le nucléaire iranien] après le retrait des États-Unis sous la présidence de Donald Trump en 2018. Alors que l'UE offrait un soutien rhétorique à l'accord sur le nucléaire, elle a cédé aux sanctions américaines et a refusé de protéger les entreprises européennes désireuses de s'engager avec l'Iran. Elle a laissé disparaître le JCPOA, créant de facto un vide propice à l'escalade.

En outre, alors que des médiateurs comme le Sultanat d'Oman et le Qatar négociaient un nouvel accord nucléaire entre les États-Unis et l'Iran, l'UE  a fait pression pour une résolution de l'AIEA condamnant l'Iran quelques jours avant l'attaque d'Israël, torpillant ainsi la désescalade et contribuant à créer un environnement plus menaçant et plus dangereux que jamais, avec le rétablissement des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies et le  retrait potentiel de l'Iran du Traité de non-prolifération (TNP) en toile de fond.

Chacun de ces échecs a conforté Téhéran dans l'idée qu'il est vain de négocier avec l'Europe. L'E3/UE est désormais perçu non seulement comme un bloc en crise, incapable de respecter ses engagements au titre de l'accord nucléaire, mais aussi comme un acteur activement destructeur qui sape la sécurité de l'Iran et la stabilité régionale.

Le déni abyssal des puissances européennes en pleine insignifiance diplomatique a été clairement illustré par le  rejet catégorique par le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi des appels à la désescalade lancés par son homologue britannique David Lammy. En effet, on se demande pourquoi Téhéran devrait tenir compte de ces appels lorsqu'ils proviennent d'entités qu'il considère comme pleinement complices des agresseurs.

L'autosabotage diplomatique de l'Europe risque fort de réduire à néant le peu de confiance qu'il avait en l'Iran et dans l'ensemble des pays du Sud. Il garantit à coup sûr la prolifération en donnant aux Iraniens - et pas seulement aux partisans de la ligne dure - une forte incitation à se doter de l'arme nucléaire, un résultat qui aurait pu être évité si l'Europe s'était engagée dans des négociations sérieuses et de bonne foi avec l'Iran pour relancer l'accord sur le nucléaire. Le retrait de l'Iran du TNP n'est plus juste une éventualité théorique.

Tous ces développements augmentent considérablement le risque de retombées négatives pour les intérêts européens : une guerre régionale au Moyen-Orient signifie davantage de migrations incontrôlées, des risques accrus de terrorisme sur le sol européen ou contre les intérêts européens dans la région, et des chocs énergétiques si l'Iran met à exécution ses menaces de bloquer le détroit d'Ormuz, principale artère commerciale mondiale du pétrole.

En l'absence d'un  changement de cap urgent mais peu probable, à savoir la condamnation de la responsabilité d'Israël dans son agression régionale, le déclin de l'Europe va s'accélérer. Lorsque Bruxelles exempte ses alliés des normes imposées à ses rivaux, elle ne préserve pas la paix, mais signe son propre suicide géopolitique.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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