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En normalisant ses relations avec Israël, la Syrie se rend complice de génocide

Le président syrien Ahmed al-Shara'a. (Photo : capture d'écran)

Par  Robert Inlakesh, le 27 juin 2025

Comme cela a toujours été le cas, la Palestine est le test décisif, et Damas a jusqu'à présent échoué de façon spectaculaire.

Les médias israéliens rapportent désormais que des pourparlers déjà avancés sont en cours entre les dirigeants de Damas et de Tel-Aviv en vue de conclure un accord de normalisation, qui, selon l'administration Trump, pourrait également s'étendre à d'autres nations arabes. Compte tenu de l'issue de la guerre contre l'Iran, ce serait la victoire idéale pour Israël.

Le président syrien, Ahmed al-Shara'a, a ouvertement admis négocier avec les Israéliens sur des questions de "sécurité" et, depuis les premiers jours de sa prise du pouvoir, les membres dirigeants de son gouvernement ont non seulement fait allusion à une normalisation, mais, à l'instar du nouveau maire de Damas, Maher Marwan, l'ont explicitement réclamée.

Au fil des mois, nous avons appris qu'Israël et la Syrie ont engagé une série de négociations, dont au moins une sans intermédiaires, les deux délégations ayant dîné à la même table. En outre, des journalistes israéliens, auparavant interdits de territoire syrien, ont été autorisés à transmettre depuis Damas.

Dans l'un des cas, un journaliste israélien a filmé un documentaire à l'aide des nouvelles forces de sécurité syriennes, qui lui ont fait visiter des sites militaires israéliens, lui ont montré des documents autrefois classifiés et l'ambassade iranienne abandonnée.

SANA, l'agence de presse officielle syrienne, a même ouvert un site web en hébreu. Alors que presque tous les pays de la région ont condamné la récente attaque surprise d'Israël contre l'Iran, la Syrie a gardé le silence et n'a même pas protesté auprès des Nations unies contre le recours à son espace aérien pour lancer des frappes contre les Iraniens.

Lorsque Téhéran a riposté contre la base aérienne américaine d'al-Ubeid au Qatar, Damas l'a même immédiatement condamné. Plus accablants encore sont les rapports publiés dans les médias israéliens, notamment sur la chaîne hébraïque Channel 12, qui relate que des responsables syriens auraient approuvé l'utilisation de leur espace aérien pour attaquer l'Iran.

Jeudi, presque tous les médias israéliens ont rapporté que les pourparlers entre la Syrie et Israël en sont à un stade avancé. Yediot Aharonot a même rapporté, citant ses sources, que l'accord de normalisation sur la table comprendrait la reconnaissance officielle par la Syrie de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan sous occupation illégale.

À titre indicatif, sous le précédent régime syrien de Bachar al-Assad, la communication et la collaboration directes avec Israël constituaient un délit passible de la peine de mort. C'est dire à quel point la politique a changé en Syrie sous Ahmed al-Shara'a.

Il est particulièrement choquant que ce revirement pro-israélien intervienne alors qu'Israël continue de conquérir davantage de terres syriennes, d'occuper des réserves d'eau vitales, de construire des bases militaires et de procéder au nettoyage ethnique de villages dans le sud.

Alors que les Syriens locaux ont affronté les forces d'occupation avec des pierres et, dans certains cas, ont ouvert le feu sur des convois militaires israéliens, un groupe ayant même lancé des roquettes sur le plateau du Golan, les appels à la riposte lancés à Damas ont été ignorés. En fait, les nouvelles forces de sécurité syriennes ont tenté de saisir les armes des Syriens dans des localités comme Deraa et les ont même combattus.

Toutes ces informations clarifient la position de l'actuel gouvernement de Damas, qui a également arrêté des dirigeants palestiniens clés et réprimé les mouvements de résistance à l'intérieur du pays.

Même des membres du parti au pouvoir, comme Shamel al-Ghazi, qui prônait la reconquête de Jérusalem occupée par les armes, ont été réprimés, tout comme ceux qui collectaient des fonds pour Gaza.

Ce qui fait de la Syrie le candidat le plus disposé à signer les soi-disant "accords d'Abraham" de Donald Trump, plus encore que l'Arabie saoudite ou le Liban.

Si les dirigeants libanais actuels sont certes redevables aux États-Unis, le Hezbollah et le mouvement Amal n'accepteront jamais d'envisager la normalisation, préférant entrer en guerre plutôt que de tolérer de mettre en œuvre une telle initiative.

Riyad, en revanche, pourrait signer un accord s'il obtient des "garanties" concernant un État palestinien, conditionnant la normalisation à la création d'un État palestinien. Toute discussion à ce sujet passe toutefois par un cessez-le-feu à Gaza.

Revenons à la Syrie. Celle-ci n'a rien à gagner à normaliser ses relations avec Israël sacrifiant l'âme même de la nation. Une telle initiative représenterait un cadeau à Israël, lui permettant de sauver la face après avoir échoué à atteindre ses objectifs durant sa "guerre de 12 jours" avec la République islamique.

La nouvelle Syrie cesserait donc d'être la Syrie si elle signait un accord de normalisation avec Israël en cédant le plateau du Golan.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a clairement signalé qu'il ne permettra jamais à la Syrie de disposer d'une puissance militaire significative et a œuvré sans relâche pour détruire tout ce qui subsiste de ses capacités après la chute du précédent régime.

Cette potentielle victoire pour les Israéliens rendrait même le gouvernement d'Ahmed al-Shara'a complice du génocide.

Certains soutiens du gouvernement syrien, incapables de présenter la moindre preuve d'avantages tangibles de cette normalisation, ont fait valoir que leur peuple est fatigué et souhaite simplement mettre fin à tous les conflits.

Rien n'indique que la Syrie pourrait connaître un rebond économique soudain en cas de normalisation avec Israël, d'autant que la Jordanie et l'Égypte continuent de s'embourber dans la même voie.

Le Soudan, qui a signalé sa volonté de signer les "accords d'Abraham", a été retiré de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme, les sanctions ont été levées, ses dettes ont été effacées et il a même reçu de l'aide, mais a toutefois rapidement sombré dans une violente guerre civile, où les Israéliens ont tenté de jouer sur tous les tableaux.

Même si la Syrie se relevait économiquement, l'argument va à l'encontre de l'objectif déclaré de la révolution que Hayat Tahrir al-Sham prétend avoir remportée au nom du peuple syrien. Si l'objectif est censé assurer la stabilité, il faut préciser que la Syrie n'avait pas de dette extérieure, disposait de certaines des meilleures universités d'Asie occidentale et était un pays globalement prospère sur le plan économique avant 2011. Sinon qu'à l'époque, elle n'avait pas normalisé ses relations avec Israël et soutenait au contraire la résistance palestinienne.

Par conséquent, la normalisation des relations avec Israël équivaut à la défaite totale de la nation syrienne. La Syrie est divisée, dirigée par une multitude de gangs et de clans dans différents secteurs du pays, a dissous son armée et ses forces de sécurité, les remplaçant par des milices inexpérimentées - dont une grande partie se caractérise par le sectarisme et l'intolérance envers la population multiethnique du pays - alors qu'elle capitule et sacrifie son territoire au principal ennemi de la région.

Pendant ce temps, l'Iran, dont les dirigeants syriens prétendent qu'il est l'ennemi des musulmans sunnites, continue de soutenir la résistance palestinienne. Ahmed al-Shara'a, quant à lui, collabore avec les Israéliens qui commettent un génocide contre une population presque entièrement sunnite à Gaza.

Par conséquent, dans le cadre d'un accord de normalisation, le nouveau gouvernement syrien se rend complice d'un génocide sunnite, même si personne ne le formule ainsi, car les Palestiniens sont tués en raison de leur nationalité et de leur appartenance ethnique, et non de leur religion.

Comme toujours, la Palestine est le test décisif, et Damas a jusqu'à présent échoué de manière spectaculaire. Alors qu'Ahmed al-Shara'a évoque la tyrannie de l'Iran et que ses hommes déplorent une prétendue "conspiration chiite", les deux seuls pays qui ont combattu Israël et continué à soutenir la résistance palestinienne sont le Yémen et l'Iran.

Tout cela est bien entendu controversé, mais c'est la réalité. Pour la même raison que les anti-impérialistes se sont opposés au changement de régime en Irak, malgré les horreurs commises par Saddam Hussein, ils se sont opposés au changement de régime en Syrie.

Une majorité d'entre eux détestaient fortement Bachar al-Assad, mais ont compris la manoeuvre et pourquoi Israël a versé des sommes colossales à au moins une douzaine de groupes d'opposition syriens.

Israël a également armé, fourni un soutien médical et financé Jabhat al-Nusra depuis environ 2013, dirigé par Ahmed al-Shara'a, devenu plus tard Hayat Tahrir al-Sham qui gouverne aujourd'hui Damas. Si la Syrie normalise ses relations avec Israël, les anti-impérialistes auront eu raison.

Qu'il s'agisse des opposants à Mouammar Kadhafi en Libye, de l'opposition à Saddam Hussein ou de l'opposition à Bachar al-Assad, l'histoire se reproduit. Il semble que la région ait la mémoire courte et que les vidéos d'Irakiens défilant dans les rues de Bagdad, s'asseyant sur la statue de Saddam Hussein et brandissant des drapeaux américains aient été gommés de la mémoire collective.

Aujourd'hui, d'innombrables Iraniens soutiennent un changement de régime, approuvent le fils du Shah déchu d'Iran, affirmant que l'instauration d'une monarchie apportera la démocratie, les droits des femmes et la liberté. Mais bon nombre des groupes iraniens œuvrant au changement de régime à Téhéran sont financés par Israël et ses alliés occidentaux.

Ceux qui ont soutenu ou soutiennent encore le changement de régime dans leur propre pays ont tous invoqué des griefs légitimes à l'encontre des gouvernements en place, mais ont été aveuglés par la haine et tombent dans le piège des complots qui détruisent leur pays, encore et encore.

Peu importe ce qu'on pense de ces gouvernements, la dure réalité est qu'Israël, le Royaume-Uni, l'Union européenne et les États-Unis ont cherché à les détruire afin de les priver de leur souveraineté et de leur puissance militaire. Pourquoi ? Parce que ces gouvernements ont apporté leur soutien aux Palestiniens ou aux groupes qui résistent à Israël, et qu'ils menacent l'hégémonie occidentale.

La normalisation entre Damas et Tel-Aviv a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et détruit une nation stable, tandis que les groupes ethniques et religieux se sont retournés les uns contre les autres, tout cela pour qu'Israël puisse s'accaparer davantage de territoire et porter un coup à la résistance palestinienne. Arrive un stade où la réalité ne s'escamote plus.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Robert Inlakesh est journaliste, écrivain et réalisateur de documentaires. Il s'intéresse particulièrement au Moyen-Orient, et plus particulièrement à la Palestine. Il a contribué à cet article pour The Palestine Chronicle.

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