France-Soir avec AFP
Aljibe / AFP
Dexter Barsigan a passé ces 13 dernières années à gagner sa vie à la force de ses mains et d'une pince pour extraire le métal de déchets électroniques et le revendre, une activité répandue aux Philippines, mais dangereuse pour la santé, avertissent les experts.
Depuis trois ans, sa vue baisse et ses mains lui font mal. Au point que, parfois, l'homme de 47 ans ne fait que regarder son épouse et son neveu travailler à sa place.
Ce père de trois enfants est un "mambabaklas", un terme aux Philippines qui désigne les démonteurs d'appareils jetés aux ordures qui en revendent les composants en nickel, aluminium et cuivre.
"Le démontage nous aide à mettre de quoi manger sur la table" et "apporte l'argent nécessaire pour scolariser mes enfants", raconte à l'AFP M. Barsigan, exerçant dans la rue Onyx de la capitale, Manille, comme des centaines de ses pairs.
Leur travail implique souvent de brûler les gaines des câbles, ce qui dégage des fumées toxiques de plomb, mercure et cadmium.
Ces déchets "présentent de graves menaces pour la santé humaine et l'environnement", explique Irvin Cadavona, responsable du traitement des déchets dangereux au ministère de l'Environnement. Les experts citent des risques accrus de cancer, maladies neurologiques, affections respiratoires et malformations congénitales.
"Il est très difficile de recycler ces (composants). Quand on démonte (des déchets électroniques), on doit le faire avec soin. Cela peut être très dangereux", dit à l'AFP Gelo Apostol, spécialiste de la santé à l'Université Ateneo de Manille.
Les Philippines sont l'un des principaux producteurs de déchets électroniques en Asie du Sud-Est, selon un rapport de l'ONU, avec quelque 540 000 tonnes en 2022.
Des règles de sécurité strictes encadrent le travail des démonteurs des établissements accrédités. Ce dont sont privés ceux qui, comme Dexter Barsigan, exercent cette activité de manière informelle et manquent aussi de formation et d'équipement de protection.
- Air toxique -
Sans masque, Dexter Barsigan démonte avant tout les circuits imprimés d'ordinateurs: ils contiennent de l'aluminium et du cuivre, vendus jusqu'à 470 pesos philippins (7 euros) le kilogramme.
Ces circuits renferment aussi des concentrations élevées de métaux toxiques responsables de lésions nerveuses en cas d'inhalation, alerte Gelo Apostol.
Et les ferrailleurs de la rue Onyx brûlent souvent des câbles pour en extraire le cuivre - un procédé plus rapide qu'en enlevant leur gaine à la main, mais illégal et dangereux. Le centre de santé Pedro Gil de Manille a diagnostiqué des troubles respiratoires à la moitié des 12 000 habitants de cette rue, essentiellement parmi les enfants, raconte la médecin Rosana Milan.
"C'est très risqué pour les bébés, les tout-petits et mêmes les écoliers (...) ils s'assoient à côté de leur père pendant qu'il (...) brûle" des câbles, explique à l'AFP Rosana Milan, mentionnant de nombreux cas de pneumonie.
C'est ce dont souffre un des petits-enfants de Sammy Oligar. Le lien avec la pollution de l'air a été établi par un médecin, raconte le démonteur. "La fumée rentrait par notre fenêtre et l'enfant l'inhalait", dit-il à l'AFP.
- "Qu'attendons-nous?" -
L'ONG Médecins du monde fournit gants, masques et conseils en matière de sécurité aux travailleurs de la rue Onyx. Elle appelle les autorités à reconnaître ceux qui exercent cette activité de façon informelle.
"La santé n'est pas du tout leur priorité. Leur priorité, c'est d'avoir à manger à table", explique à l'AFP Eva Lecat, coordinatrice générale de l'ONG aux Philippines. "Si (leur travail) était légal, reconnu et réglementé, il y aurait des moyens de protéger" les personnes concernées, ajoute-t-elle.
Gelo Apostol souligne que "beaucoup des produits chimiques que l'on retrouve dans les déchets électroniques ont déjà fait l'objet d'études approfondies quant à leurs effets sur la santé". "Qu'attendons-nous? D'avoir des données nationales sur des personnes mortes (...) avant de prendre des mesures?", s'interroge l'universitaire.
Dexter Barsigan dit à l'AFP être inquiet de ne pas être en mesure de se soigner. Il explique éviter les médecins et, à la place, appliquer de la pommade sur ses mains et prendre un analgésique sans ordonnance. En ayant toujours pour objectif de continuer à travailler.
"Si j'arrête de démonter, c'est comme si j'abandonnais aussi l'espoir (d'offrir) une meilleure vie à mes enfants."