13/08/2025 arretsurinfo.ch  6min #287124

 Assassinat de 4 journalistes dont les correspondants d'Al Jazeera à Gaza, Anas Al-Sharif et Mohammed Qreiqae, par l'armée sioniste

Anas al-Sharif a levé la voix. Mais le monde a refusé d'écouter

Par  Ahmad Ibsais,  Hassan Abo Qamar

Anas al-Sharif d'Al-Jazeera, à gauche, et Mohammed Qreiqeh - Al Jazeera.

L'occupation s'en prend aux meilleurs et aux plus brillants, à ceux qui ont fait entendre leur voix et montré au monde ce dont les Palestiniens dignes et intègres sont capables.

Hassan Abo Qamar, en direct de Gaza - "Anas al-Sharif était la voix de Gaza. Son assassinat ne nous réduira pas au silence". Ces mots sont ceux de Hassan, écrivain, programmeur et entrepreneur basé à Gaza. Hassan aspire à étudier l'ingénierie industrielle après ce génocide, il veut changer le monde. ET IL LE FERA.


"J'ai vécu la souffrance dans ses moindres détails et j'ai connu la détresse et la perte à maintes reprises. Pour autant, je n'ai jamais hésité à transmettre la vérité telle qu'elle est, sans rien déformer ni falsifier. Que Dieu soit juge de ceux qui se sont tus et ont accepté notre massacre, de ceux qui ont éteint notre souffle et dont le cœur n'a pas été ému par les restes éparpillés de nos enfants et de nos femmes, et qui n'ont rien fait pour mettre fin au massacre que notre peuple subit depuis plus d'un an et demi".

[Anas al-Sharif]

C'est ce qu'a écrit Anas al-Sharif dans son "testament", rédigé quatre mois avant sa mort. Ce texte a été publié sur son compte de réseau social quelques heures après qu'une frappe israélienne lui a coûté la vie, ainsi qu'à quatre autres journalistes : Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa. Ils se trouvaient dans la tente réservée aux médias, près de l'hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza.

Anas al-Sharif était l'un des héros de Gaza. Il était sans aucun doute le journaliste le plus proche de nos cœurs.

À Gaza, les gens détestent souvent les médias. Ils estiment que les journalistes enjolivent la réalité et nous dépeignent comme des surhommes capables de résister aux bombardements incessants, à la privation de nourriture et d'eau, ainsi qu'à la mort de nos proches. Ou alors, ils nous diabolisent en nous qualifiant de "terroristes", justifiant ainsi le massacre de nos familles et la destruction de nos foyers.

Anas était différent, il ne déformait pas la vérité. Il était l'un des nôtres : il a grandi dans nos camps de réfugiés, a souffert avec nous sous les bombes et de la famine, a pleuré ses proches et a refusé de quitter sa communauté. Il est resté à Gaza, solide comme un olivier, un exemple vivant du Palestinien authentique.

Anas a commencé à travailler pour Al Jazeera au début du génocide et est très vite devenu très connu. Avec Ismaïl al-Ghoul, il n'a cessé de diffuser depuis le nord de Gaza, malgré les menaces constantes. Leur amitié chaleureuse et les bons et mauvais moments partagés nous ont rapprochés d'eux.

L'année dernière, après la mort d'Ismail - que Dieu lui accorde sa miséricorde -, nous avons eu le sentiment d'avoir perdu un frère bien-aimé, et il ne nous restait plus qu'Anas.

Le mois dernier, alors qu'il rapportait la famine devant la caméra, Anas s'est effondré. Les gens  lui ont dit : "Continue, Anas, n'arrête pas, tu es notre voix".

Et en effet, il était notre voix. Nous imaginions souvent qu'Anas al-Sharif serait le premier à annoncer la fin du génocide. Aucun journaliste au monde n'était plus digne qu'Anas de proclamer cette nouvelle.

Pour moi, Anas était bien plus qu'un simple reporter. Il était une source d'inspiration. C'est lui qui m'a donné la force de reprendre mon stylo chaque fois que je perdais espoir en ma capacité à écrire pour changer les choses. J'ai vu Anas travailler sans relâche, qu'il ait faim ou non, été comme hiver, sous la menace ou face aux caméras.

Sa persévérance m'a prouvé que j'avais tort de croire que la documentation du génocide ne touchait personne au-delà de nos frontières. Anas m'a fait croire que notre histoire pouvait toucher des gens à l'autre bout du monde, par-delà les mers et les océans. Sa résilience et son engagement quotidien m'ont également donné espoir, l'espoir que si nous continuions à parler, quelqu'un finirait par nous écouter.

Anas n'est plus là et je me sens coupable d'avoir espéré, coupable d'avoir cru en la justice de ce monde en le voyant lancer ses appels, les yeux pleins de larmes, à une prétendue conscience mondiale finalement bien timide et sélective.

Ils ne méritaient pas tes larmes, Anas ! Ils ne méritaient pas que tu te sacrifies pour faire connaître notre histoire. Ils n'ont pas entendu parce qu'ils ont refusé d'entendre.

Tu as élevé la voix, Anas, mais elle s'adressait à leurs consciences sourdes.

J'aurais tant voulu que la guerre se termine avant ta mort, pour pouvoir te retrouver à Gaza et te dire que nos voix ont été entendues, qu'elles ont atteint le monde et changé les choses. Je t'aurais dit que tu as été mon inspiration et que ton travail m'a permis de persévérer. Peut-être m'aurais-tu souri et présenté ton collègue, et j'aurais pleuré de joie.

Ton calvaire est terminé, Anas, mais pas ce génocide. Aujourd'hui, nous regardons, impuissants, l'ignoble occupation se vanter de t'avoir pris pour cible à la vue de tous, de ces mêmes personnes que tu as suppliées jusqu'à ton dernier souffle. Les pays du monde entier se taisent. Car pour eux, les accords économiques et les intérêts politiques priment sur la vie humaine.

Pourtant, l'occupation ne nous réduira pas au silence, Anas. Elle veut que nous mourions sans voix, car nos voix, quand nous souffrons et pleurons nos morts, la perturbent, interfèrent avec sa volonté génocidaire.

Aucun autre Anas ne naîtra à Gaza, pas plus qu'un autre Refaat Alareer, écrivain et poète, ou Marwan al-Sultan, directeur d'hôpital.

L'occupation s'en prend aux meilleurs et aux plus brillants, à ceux qui ont fait entendre leur voix et montré au monde ce dont les Palestiniens dignes et intègres sont capables.

Mais nous ne nous tairons pas après cette violence meurtrière. Même si nous savons que le monde restera sourd à nos appels, nous continuerons à nous exprimer, car c'est notre destin, c'est notre devoir. Nous, Palestiniens survivants de ce génocide, nous devons de perpétuer l'héritage de nos morts.

Pour moi, cela veut dire parler, écrire et dénoncer les crimes de cette occupation meurtrière et barbare, jusqu'au jour dont tu rêvais, Anas, le jour où ce génocide, le plus monstrueux de l'histoire moderne, prendra fin. Et tu retourneras dans ta maison des temps anciens à Al-Majdal, et moi dans mon village, à Yibna.

Par  Ahmad Ibsais,  Hassan Abo Qamar, le 12 août 2025

 Source: Anas Raised His Voice, But The World Refused to Listen

Traduit par  Spirit of Free Speech

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