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Le nouveau « sionisme violent » d'Israël est un signe avant-coureur d'une géopolitique impériale de soumission et d'obéissance

Par Alastair Crooke - Le 28 août 2025 - Source  Conflicts Forum

La stratégie d'Israël des dernières décennies continue de reposer sur l'espoir de parvenir à une chimérique « déradicalisation«, transformatrice à la fois des Palestiniens et de la région, en gros une déradicalisation qui rendra « Israël sûr«. C'est l'objectif du « saint graal » pour les sionistes depuis la fondation d'Israël. Aujourd'hui, le nom de code pour cette chimère est « les Accords d'Abraham«.

Ron Dermer, le ministre des Affaires stratégiques de Netanyahu, ancien ambassadeur d'Israël à Washington et principal « chuchoteur » aux oreilles de Trump,  a écrit Anna Barsky dans Ma'ariv le 24 août, « voit la réalité avec des yeux politiques froids. Il est convaincu qu'un véritable accord [sur Gaza] ne sera jamais conclu avec le Hamas, mais [seulement] avec les États-Unis. Ce qu'il faut, dit Dermer, c'est que les américains adoptent les principes d'Israël ; les mêmes cinq points que le Cabinet a approuvés : désarmement du Hamas, retour de tous les otages, démilitarisation complète de Gaza, contrôle de la sécurité israélienne dans la Bande - et un gouvernement civil alternatif qui n'est ni le Hamas ni l'Autorité palestinienne".

Du point de vue de Dermer, un accord partiel de libération des otages - que le Hamas a accepté - serait un désastre politique. En revanche, si Washington approuvait le plan de Dermer - le faisant passé pour un « plan américain » - Dermer pense que "nous aurions une situation qui bénéficierait à tout le monde". De plus, dans la logique de Dermer, "la simple possibilité d'un accord partiel donnerait au Hamas une fenêtre de deux à trois mois, pendant laquelle il peut se renforcer et même essayer d'obtenir un « scénario final » différent de celui des Américains - celui qui convient mieux [au Hamas]". C'est, selon Dermer, « un scénario vraiment dangereux«, écrit Barsky dans son article.

Dermer insiste depuis des années sur le fait qu'Israël ne peut avoir de paix sans une « déradicalisation transformatrice » préalable de tous les Palestiniens. « Si nous le faisons correctement«, dit Dermer, « cela rendra Israël plus fort - et les États-Unis aussi ! »

Quelques années plus tôt, lorsqu'on demandait à Dermer ce qu'il considérait comme la solution au conflit palestinien, il répondait que la Cisjordanie et Gaza devaient être totalement désarmées. Pourtant, plus important que le désarmement était la nécessité absolue que tous les Palestiniens soient totalement « déradicalisés«.

Lorsqu'on lui demandait d'approfondir,  Dermer soulignait le résultat de la Seconde Guerre mondiale : Les Allemands ont été vaincus, mais plus important encore, les Japonais avaient été complètement « déradicalisés » et rendus dociles à la fin de la guerre :

« Le Japon héberge des forces américaines depuis 75 ans. L'Allemagne aussi depuis 75 ans. Et si quelqu'un pense que c'était par accord au début, ils se moquent d'eux-mêmes. Cela a été imposé, puis ils ont compris que c'était bon pour eux. Et au fil du temps, un intérêt mutuel à le garder s'est développé".

Trump est au courant de la thèse de Dermer, mais apparemment, c'est Netanyahu qui tergiverse instinctivement, comme Barsky l'explique :

« Un accord partiel [avec le Hamas] entraînerait presque certainement la démission de Smotrich et Ben Gvir [du gouvernement]. Le gouvernement s'effondrerait. Un accord partiel signifierait la fin du gouvernement de droite-droite de Netanyahu et il le sait bien, c'est pourquoi son hésitation est si forte. Et pourtant, il y a une limite à la durée pendant laquelle on peut tenir la corde aux deux extrémités".

 Trump accepte apparemment la « thèse de Dermer » : "Je pense qu'ils veulent mourir, et c'est très, très grave", a déclaré Trump au sujet du Hamas avant de partir pour son voyage en Écosse. "Cela va arriver à un point où vous [c'est-à-dire Israël] devrez terminer le travail".

Mais l'idée de Dermer d'avoir la conscience des adversaires soumis par la défaite ne concerne pas uniquement le Hamas. Il s'étend à tous les Palestiniens et à la région dans son ensemble et, bien sûr, à l'Iran en particulier.

 Gideon Levy écrit que nous devrions remercier l'ancien chef du renseignement militaire, Aharon Haliva, pour l'avoir admis sur Channel 12 :

"Nous avons besoin d'un génocide toutes les quelques années ; le meurtre du peuple palestinien est un acte légitime, voire essentiel". C'est ainsi que parle un général "modéré" de Tsahal ; tuer 50 000 personnes est "nécessaire".

Cette « nécessité » n'est plus « rationnelle«. Elle s'est métamorphosée en soif de sang. Benny Barbash, un dramaturge israélien,  parle des nombreux Israéliens qu'il rencontre, y compris lors de manifestations en faveur d'un accord otage-prisonnier, qui admettent franchement :

« Écoutez, je suis vraiment désolé de vous le dire, mais les enfants qui meurent à Gaza ne me dérangent vraiment pas du tout. Ni la faim qui est là, ou pas. Ça ne m'intéresse vraiment pas. Je vais vous le dire tout net : En ce qui me concerne, ils peuvent tous tomber morts là-bas »

« Le génocide comme héritage de Tsahal, pour le bien des générations futures » ; « Pour chaque [Israélien] mort le 7 octobre, 50 Palestiniens doivent mourir. Peu importe maintenant si ce sont des enfants. Et je ne parle pas par vengeance ; c'est par message aux générations futures. Il n'y a rien à faire, ils ont besoin d'une Nakba de temps en temps pour en ressentir le prix",  C'est ainsi que Gideon Levy cite sobrement les paroles du général Haliva.

Cela doit être compris comme représentant un changement profond au cœur de la pensée sioniste, de Ben Gourion à Kahane. Yossi Klein écrit ( en hébreu Haaretz) :

"Nous sommes en effet au stade de la barbarie, mais ce n'est pas la fin du sionisme... [Cette barbarie] n'a pas tué le sionisme. Au contraire, cela l'a rendu pertinent. Le sionisme a eu diverses versions, mais aucune ne ressemblait au sionisme nouveau, mis à jour et violent : le sionisme de Smotrich et Ben-Gvir...

L'ancien sionisme n'est plus d'actualité. Il a établi un État et a relancé sa langue. Il n'a plus d'objectifs... Si vous demandez à un sioniste aujourd'hui quel est son sionisme, il ne saurait pas comment répondre. « Sionisme » est devenu un mot vide de sens ; Jusqu'à ce que Meir Kahane arrive. Il est venu avec un sionisme actualisé dont les objectifs sont clairs : expulser les Arabes et installer les Juifs. C'est un sionisme qui ne se cache pas derrière de jolis mots. « Évacuation volontaire » le fait rire. « Transfert » l'enchante. Il est fier de « l'apartheid«. Être sioniste aujourd'hui, c'est être Ben-Gvir. Être non sioniste, c'est être antisémite. Un antisémite [aujourd'hui] est quelqu'un qui lit Haaretz...".

 Smotrich a déclaré cette semaine que le peuple juif expérimente « physiquement » le processus de rédemption et le retour de la présence divine à Sion, alors qu'il s'engage dans la « conquête de la terre«.

C'est ce train de pensée apocalyptique qui baigne l'administration Trump sous ses différents formats : il métamorphose la posture éthique de l'Administration vers celle de « la guerre est la guerre et elle doit être absolue«. Tout ce qui est inférieur doit être considéré comme une simple posture morale. (C'est la compréhension talmudique découlant de l'histoire de l'anéantissement des Amaleks ( voir Jonathan Muskat dans le Times of Israël).

Ainsi, nous voyons le nouvel asservissement de Washington pour la décapitation des dirigeants intransigeants (Yémen, Syrie et Iran) ; le soutien à la stérilisation politique du Hezbollah et des chiites au Liban ; la normalisation de l'assassinat de chefs d'État récalcitrants (comme cela a été évoqué pour l'Imam Khamenei) ; et pour le renversement des structures étatiques (comme cela était prévu pour l'Iran le 13 juin).

La transformation d'Israël en ce sionisme révisionniste - et son emprise sur les factions clés de la pensée américaine - est précisément la raison pour laquelle la guerre entre l'Iran et Israël est devenue  perçue comme inévitable.

Le Guide suprême en Iran  a exprimé explicitement sa compréhension des implications dans un discours public cette semaine :

"Cette hostilité [américaine] persiste depuis 45 ans, à travers différentes administrations, partis et présidents américains. Toujours la même hostilité, sanctions et menaces contre la République islamique et le peuple iranien. La question est pourquoi ?

"Dans le passé, ils cachaient la vraie raison derrière des étiquettes comme le terrorisme, les droits de l'homme, les droits des femmes ou la démocratie. S'ils le déclaraient, ils le formulaient plus poliment, en disant « Nous voulons que le comportement de l'Iran change«.

« Mais l'homme en fonction aujourd'hui en Amérique le dit clairement. Il a révélé le véritable objectif ». Notre conflit avec l'Iran, avec le peuple iranien, est parce que l'Iran doit obéir à l'Amérique«. C'est ce que nous, la nation iranienne, devons clairement comprendre. En d'autres termes : une puissance dans le monde s'attend à ce que l'Iran-avec toute son histoire, sa dignité et son héritage en tant que grande nation - soit simplement soumis. C'est la vraie raison de toute cette inimitié".

« Ceux qui discutent en disant : « Pourquoi ne pas négocier directement avec l'Amérique pour résoudre vos problèmes ? » ne voient que la surface. Ce n'est pas le vrai problème. Le vrai problème est que les États-Unis veulent que l'Iran obéisse à ses ordres. Le peuple iranien est profondément offensé par une si grande insulte, et il se dressera de toutes ses forces contre quiconque nourrit de telles fausses attentes à son égard... le véritable objectif des États-Unis est la soumission de l'Iran. Les Iraniens n'accepteront jamais cette « grande insulte«.

La « déradicalisation » dans la thèse de Dermer signifie l'installation d'un "despotisme à la Léviathan » qui réduirait la région à une impuissance totale - y compris celle d'une impuissance spirituelle, intellectuelle et morale. « Le Léviathan total est un pouvoir unique, absolu et illimité, spirituel et temporel, sur les autres humains«,  comme l'a observé le Dr Henri Hude, ancien chef du Département d'Éthique et de Droit de la prestigieuse Académie militaire française de Saint-Cyr.

L'ancien Ombudsman de Tsahal Général de Division (Res), Itzhak Brik, a aussi averti que les dirigeants politiques israéliens "jouent avec l'existence même d'Israël" :

« Ils veulent tout accomplir par la pression militaire, mais à la fin, ils n'accompliront rien. Ils ont mis Israël au bord de deux situations impossibles : le déclenchement d'une guerre à part entière au Moyen-Orient, [et, ou, deuxièmement] la poursuite de la guerre d'usure. Dans les deux cas, Israël ne pourra pas survivre longtemps".

Ainsi, alors que le sionisme se transforme en ce que  Yossi Klein a défini comme une « barbarie tardive«, la question se pose de savoir si la « guerre sans limites » pourra fonctionner, malgré le profond scepticisme de Hude et Brik ? Une telle « terreur » israélienne pourrait-elle imposer au Moyen-Orient une reddition inconditionnelle "qui lui permettrait de changer profondément, militairement, politiquement et culturellement, et de se transformer en satellites israéliens au sein d'une Pax Americana globale ?"

La réponse claire que le Dr Hude donne dans son livre «  Philosophie de la Guerre » est que la guerre sans limites ne peut pas être la solution, car elle ne peut pas assurer une « dissuasion » ou une déradicalisation durable :

"Au contraire, c'est la cause la plus certaine de la guerre. Cessant d'être rationnel, méprisant des adversaires plus rationnels qu'il ne l'est, suscitant des adversaires encore moins rationnels qu'il ne l'est, le Léviathan tombera ; et avant sa chute, aucune sécurité n'est assurée".

Hude identifie aussi une telle « volonté de puissance » extrême sans limites comme contenant nécessairement la psyché de l'autodestruction en son sein.

Pour qu'un Léviathan fonctionne, il doit rester rationnel et puissant. Cessant d'être rationnel, méprisant les adversaires qui sont plus rationnels et irritant les adversaires qui sont moins rationnels qu'il ne l'est lui-même, le Léviathan doit alors - et va - tomber.

C'est précisément pourquoi l'Iran, surtout maintenant, sait qu'il doit se préparer à la Grande Guerre alors que le Léviathan « surgit«. Et il en va de même pour la Russie car  il s'agit d'une seule guerre poursuivie contre les récalcitrants au nouvel ordre américain.

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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