Jo Westphal
AFP
Alors que les classes reprennent dans le monde entier, les enfants et étudiant-es de Gaza abordent une troisième année consécutive de privation d'éducation.
Sur Al-Jazeera, le journaliste Ibrahim Al Khalili rapporte depuis une salle de classe érigée dans une tente, dans la ville de Gaza : « Des milliers d'enfants ont manqué des mois, des années de cours. 90 % de leurs écoles ont été détruites ou endommagées. Les salles de classe sont désormais des tentes, et les cours se tiennent en plein cœur de la guerre et de la peur. »
« Ici, apprendre n'est pas seulement une question d'écrire ou de lire. C'est une question de survie », poursuit-il. « Il s'agit de s'accrocher à un sentiment de normalité, quand les armes et les bombes ont remplacé les cours de récréation. Pour beaucoup, l'éducation est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre, alors que les familles luttent pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. Malgré tout, les enfants continuent de venir, déterminé-es à apprendre, à rêver et à se réapproprier ce que la guerre a tenté de leur prendre »
Scholasticide
Selon les données du ministère, les attaques israéliennes depuis octobre 2023 ont tué au moins 17 000 élèves et plus de 1 200 étudiant-es universitaires à Gaza, et en ont blessé des dizaines de milliers d'autres.
« Chaque jour depuis le début de la guerre à Gaza, une classe entière d'enfants a été tuée en moyenne », déclarait en juillet dernier Sam Rose, directeur des affaires de l'UNRWA à Gaza, après la publication d'un rapport indiquant que le nombre moyen d'enfants tué-es par jour se situe entre 35 et 45, soit l'équivalent d'une classe.
Le bilan s'étend aux enseignant-es et au personnel universitaire, avec près de 1 000 travailleur-euses de l'éducation assassiné-es à Gaza, et des milliers d'autres blessé-es ou détenu-es dans les territoires palestiniens. En Cisjordanie occupée, des dizaines d'étudiants ont également été tués, blessés ou arrêtés par les forces israéliennes au cours de la même période.
« #Gaza est en ruines. Son système éducatif aussi », martelait hier Philippe Lazzarini, commissaire général de l'agence de l'ONU pour les réfugié-es palestinien-nes (UNRWA), rappelant que pour la troisième année consécutive, les enfants de Gaza seront privé-es de cours cette rentrée.
« Plus ils resteront longtemps hors de l'école avec leur traumatisme, plus le risque sera grand qu'ils et elles deviennent une génération perdue, semant les graines d'une haine et d'une violence accrues », poursuit Lazzarini. « Le cessez-le-feu est la seule voie possible pour mettre fin à la famine et au 'scolasticide' qui frappent les enfants de Gaza. »
L'analyse des images satellites réalisée en avril par le Centre des Nations unies pour les satellites a révélé que 97 % des écoles « ont subi des dommages plus ou moins importants », 432 bâtiments scolaires, soit 76,6 % du total des bâtiments scolaires à Gaza, ayant été « directement touchés » depuis le 7 octobre 2023.
Malgré les efforts des enseignant-es et de la société civile qui improvisent dans les campements des salles de classes rudimentaires, le ministère palestinien de l'Éducation estime que la scolarité d'environ 700 000 enfants a été suspendue et plus de 70 000 d'entre eux n'ont pas pu passer leurs examens secondaires au cours des deux dernières années.
« Cacher ses cris et ses larmes, essayer de sourire et faire sourire les élèves »
Les jeunes qui tentent de poursuivre leurs études malgré la destruction doivent lutter contre les traumatismes psychologiques et se battre quotidiennement pour survivre et faire survivre leur famille.
« Une génération entière a été détruite. La guerre contre l'éducation est plus profonde, plus vaste et plus impactante que toute destruction de bâtiments ou d'infrastructures. La guerre contre l'éducation est une guerre contre l'existence même du peuple palestinien », explique Yara Khaled, mère de famille à Gaza.
« À Gaza, j'ai vu un enfant avec un cartable qui courait », raconte le professeur d'anglais Ahmad Abu Rizik, « J'ai pensé qu'il était en retard en classe, mais quand je l'ai suivi, j'ai compris qu'il courait après une distribution d'aide humanitaire. Il ramassait du riz dans le sable et essayait de le mettre dans son sac. Je me suis dit que c'en était trop, que je devais faire quelque chose. »
Ahmad Abu Aziz a créé Gaza Great Minds, une organisation qui gère un réseau d'écoles sous tente à travers le territoire, en mai 2024.
L'organisation caritative gère 6 des 50 écoles qui subsistent à Gaza et est la seule à offrir une éducation gratuite à quelque 3 000 enfants. « Les élèves viennent à l'école le ventre vide. La plupart d'entre eux songent à fuir », raconte Rizik. « Ils sont fatigués des tâches quotidiennes, comme faire la queue pour obtenir de l'eau ou un sac de farine. On ne trouve ni nourriture, ni eau, ni même de sécurité, et il faut cacher ses cris et ses larmes, essayer de sourire et faire sourire les élèves. »
Le professeur a expliqué à Middle East Eye que les conditions sont de plus en plus difficiles et que seules trois écoles sont actuellement fonctionnelles. La violence des bombardements israéliens faire craindre aux parents d'envoyer leurs enfants à l'école.
Dimanche encore, l'école a perdu deux de ses élèves, Mohammed et Dalia, qui ont été tués alors qu'ils jouaient dans la rue. « Lors de leurs funérailles, les familles ont décrit à quel point ils étaient heureux à l'école et que celle-ci était une source d'espoir pour eux », a déclaré Rizik, qui ajoute que neuf de ses élèves ont été assassiné-es depuis l'ouverture de son organisation.
Source : Agence Media Palestine