04/09/2025 reseauinternational.net  9min #289408

Europe : proie américaine depuis 1945 - De la libération à la vassalisation

par Serge Van Cutsem

Libérée du nazisme par Moscou en 1945, l'Europe a été recyclée par Washington en vassale consentante. Derrière l'illusion de la souveraineté, tout démontre une dépendance structurelle : bases américaines intouchables, OTAN sous commandement US, énergie et industrie sous tutelle. Aujourd'hui, le Vieux Continent finance docilement son propre déclin, au nom de la guerre en Ukraine.

Ce texte propose une lecture résumée du fil historique de l'histoire qui relie la fin de la Seconde Guerre mondiale au conflit actuel en Ukraine et à ses conséquences pour l'Europe.

Il montre comment celle-ci, prétendument libérée en 1945, est progressivement devenue une proie stratégique des États-Unis, à travers l'OTAN, l'Union européenne et le complexe militaro-industriel. L'ironie tragique, c'est que les Russes, qui ont payé le prix le plus lourd pour écraser le nazisme, sont désormais présentés comme les nouveaux agresseurs, tandis que l'Europe finance docilement sa propre soumission.

(194) 5, la Seconde Guerre mondiale s'achève dans un bain de sang dont l'URSS sort exsangue : 27 millions de morts (1), des villes en ruine, mais la Wehrmacht brisée à Stalingrad et à Berlin.

L'Europe de l'Ouest, elle, retient essentiellement les images du débarquement en Normandie (merci Hollywood et les barres de chocolat). L'Histoire officielle en Occident efface le rôle décisif des Soviétiques, et cela faisait déjà partie du plan.

En effet, dès 1945 les États-Unis imposent leur présence militaire : bases permanentes, accords bilatéraux, Plan Marshall (2). Ce plan, présenté comme une aide généreuse, est cependant conditionné à l'ouverture des marchés européens aux entreprises américaines. La libération s'accompagne déjà d'une mise sous tutelle.

L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) est créée en 1949, officiellement pour protéger l'Europe, elle fonctionne comme un instrument de contrôle : le commandement militaire suprême est toujours confié à un général américain (3) et les Européens n'ont plus, dans le cadre de l'OTAN, les clés réelles de leur défense. La logique est simple : les États-Unis installent un parapluie, ou plutôt un encapsulage militaire, qui leur garantit à la fois une domination stratégique et un marché captif pour leur industrie d'armement.

C'est le début de la Guerre froide avec l'Europe qui est vassalisée par la peur. Pendant quatre décennies, la peur du «péril rouge» maintient l'Europe dans la dépendance. Mieux vaut l'ombre américaine que la botte soviétique, dit-on alors. Mais cette protection a un prix : alignement diplomatique, soumission stratégique et impossibilité de bâtir une défense autonome. Chaque tentative d'indépendance, Charles de Gaulle en France ou Willy Brandt avec l'Ostpolitik, est marginalisée ou combattue. (4)

En janvier 1961, dans son discours d'adieu, le président Dwight D. Eisenhower, ancien général en chef allié, met en garde son peuple contre l'essor du «complexe militaro-industriel» (5). Il décrit le risque qu'une alliance entre militaires, industriels et politiciens risque de transformer la démocratie américaine en machine à guerre permanente. Ironie tragique : ses successeurs n'ont pas suivi son avertissement mais le transforment plutôt en mode d'emploi. Du Vietnam à l'Irak, de l'Afghanistan à l'Ukraine, les États-Unis ont transformé ce complexe militaro-industriel en socle de leur puissance mondiale.

La chute de l'URSS en 1991 aurait pu libérer l'Europe de la tutelle américaine, mais c'est exactement le contraire qui s'est produit : l'OTAN s'élargit à l'Est (Pologne, pays baltes, Roumanie, Bulgarie, etc.) (6), l'Union européenne suit la même trajectoire et tout rapprochement significatif avec Moscou finit par être torpillé, directement ou indirectement, par Washington et ses relais européens. Le dernier exemple est l'indépendance énergétique avec Nord Stream, détruit dans des conditions où plusieurs enquêtes pointent la responsabilité américaine (7) au profit du gaz liquéfié américain qui est quatre fois plus cher et dont le transport est hyper polluant.

Aujourd'hui, l'Ukraine n'est plus qu'un pays-tampon instrumentalisé. En effet ce pays n'est ni membre de l'UE ni de l'OTAN, mais elle est traitée comme si elle faisait partie des deux. Depuis 2014, Kiev est devenue l'avant-poste idéal contre Moscou. Les populations russophones de l'Est, marginalisées, ont fourni le prétexte parfait à la Russie pour intervenir. (8)

Mais derrière l'argument humanitaire, le conflit est devenu un instrument américain : affaiblir Moscou, contrôler l'Europe, et nourrir l'industrie d'armement. Washington n'a aucune obligation légale envers Kiev, mais l'utilise comme proxy. Et l'Europe, bonne élève, paie la facture : 168,9 milliards d'euros depuis 2022. (9)

Quelques chiffres du coût de la vassalisation, et les données sont parlantes :

  • 6 milliards de dollars d'armes américaines financées par les alliés (10),
  • (1) ,5 milliards d'euros dépensés par l'Italie en 2025, +/- 3 milliards depuis 2022, pendant que ses jeunes peinent à trouver un logement,
  • sous pression américaine, les dépenses militaires de l'OTAN doivent grimper à 3,5% du PIB d'ici 2030 puis 5% d'ici 2035.

L'Europe sacrifie totalement son modèle social pour devenir une garnison US.

On nous répète que l'Europe a son mot à dire, que l'OTAN fonctionne par consensus, que les États européens sont souverains et libres de leurs choix. Tout ça n'est qu'une belle fable. La réalité est tout autre : jamais l'Europe n'a eu le droit réel de contester Washington, le ver était dans le fruit dès 1949. Le commandement militaire suprême de l'OTAN a toujours été confié à un général américain, et il ne viendrait à l'idée de personne de donner cette fonction à un Européen. Les forces nucléaires stratégiques, colonne vertébrale de l'alliance, sont sous contrôle exclusif des États-Unis, sauf pour la France qui a gardé son autonomie. Autant dire que l'illusion d'un partage du pouvoir n'a jamais existé.

Le reste n'est qu'un habillage. Les bases américaines couvrent le continent, de Ramstein en Allemagne à Aviano en Italie, en passant par Sigonella, Rota, Lakenheath ou Chievres. Environ 35 000 soldats américains en Allemagne, 12 000 en Italie, et ainsi de suite. Ces bases sont extraterritoriales, protégées par des accords bilatéraux qui empêchent tout gouvernement de les fermer sans provoquer une crise majeure. De Gaulle, en 1966, a osé renvoyer les Américains hors de France, mais c'était l'exception. En 2009, Sarkozy a ramené la France dans le commandement intégré : tout le monde mis au pas, merci Nicolas.

Là où l'on touche au grotesque, c'est quand Washington impose son droit à toute la planète. Les sanctions américaines s'appliquent en Europe comme si Bruxelles n'existait pas. Nord Stream 2 en est l'exemple parfait : projet voulu et financé par Berlin, saboté par des sanctions américaines, puis détruit mystérieusement dans le silence des médias. Même chose pour Total ou BNP Paribas, rackettées de plusieurs milliards pour avoir violé des sanctions décidées à Washington, pas à Bruxelles. L'Europe ne moufte pas, elle plie l'échine et paie.

Quant au fameux consensus de l'OTAN, il n'existe que sur le papier. En pratique, les pays baltes et la Pologne jouent les porte-voix de Washington, rendant impossible toute contestation. Le droit de veto est une fiction. Quand un pays tente l'indépendance, il est mis à l'isolement, comme la France de Charles de Gaulle. Quand il revient dans le rang, on l'applaudit, la mécanique est bien rodée.

La dépendance énergétique et militaire achève d'enfermer l'Europe dans sa cage dorée. L'explosion de Nord Stream a rendu l'Allemagne captive du gaz liquéfié américain, quatre fois plus cher et mille fois plus polluant. Les programmes d'armement sont alignés sur le made in USA : Patriot, Abrams. l'OTAN a largement imposé le F-35 comme standard, Dassault, MBDA ou Krauss-Maffei font de la figuration. Chaque tentative de projet européen est torpillée au profit de contrats américains.

Et l'Ukraine est la cerise sur le gâteau. Les États-Unis n'ont aucun traité d'alliance avec Kiev, aucune obligation. Pourtant, c'est l'Europe qui paie la plus grosse part de l'aide. Mais c'est la Maison-Blanche qui fixe la ligne : pas de négociation, pas de recul, guerre jusqu'au bout. L'Europe suit, même quand son industrie s'effondre, ses factures énergétiques explosent et les citoyens les plus faibles n'arrivent plus à payer leur chauffage.

Voilà la vérité crue : l'Europe n'a jamais eu le droit de contester les États-Unis ni l'OTAN. Les preuves s'accumulent : commandement verrouillé, bases intouchables, sanctions extraterritoriales, veto fictif, dépendance énergétique et militaire, Ukraine comme champ de bataille. La souveraineté européenne est une vitrine de carton-pâte pour endormir les foules, rien de plus. En réalité, nous ne sommes pas partenaires, nous sommes des vassaux. Et la différence entre les deux, c'est qu'un partenaire peut dire non.

Le renversement narratif est répété sans cesse par les médias propagandistes : les Russes libérateurs sont devenus les agresseurs qui sont presque aux portes de Paris. Pourtant, les faits historiques sont incontestables : en 1945, l'Armée rouge libère Auschwitz et prend Berlin (11), mais l'Histoire officielle occidentale retient Hollywood et le Débarquement, tout en interdisant les Russes lors des commémorations. L'inversion est totale : les véritables libérateurs sont devenus l'ennemi absolu.

Ce renversement narratif permet de justifier l'escalade militaire, de maintenir l'Europe sous peur constante, et d'imposer l'idée que la guerre est inévitable.

La conclusion est que l'Europe applaudit sa propre servitude.

Depuis 1945, l'Europe est devenue une dépendance structurelle qui équivaut de facto à une vassalisation et qui finance une guerre par procuration. La prophétie d'Eisenhower s'est réalisée : le complexe militaro-industriel gouverne, mais ce n'est plus seulement les États-Unis qu'il dévore, c'est aussi l'Europe entière. Le comble de l'ironie noire : les Européens paient docilement leur propre ruine, en applaudissant à chaque nouveau paquet d'armes comme si c'était un signe de liberté.

En somme : libérés par Moscou, recyclés par Washington, l'Europe et ses peuples se retrouvent pris en otages d'une mécanique géopolitique où ils ne sont plus que des financeurs et des spectateurs impuissants. La vérité est dure, mais incontournable : ce n'est pas l'Ukraine qui est en guerre, c'est l'Europe qui est en train de se suicider sous contrôle américain.

 reseauinternational.net