par Stéphane Luçon
Vivre loin de la France m'avait épargné de revoir ce visage... jusqu'à récemment.
J'ai la chance de vivre hors du monde, dans la campagne roumaine, loin des médias mainstream français et de leur pénible clergé déguisé en journalistes. Mais même là-bas, en lançant YouTube sur ma télé, j'ai eu la désagréable surprise, il y a quelques semaines, de revoir la tronche de Sergueï Jirnov, occupant tout l'écran, parce qu'un média roumain citait ses déclarations à la télévision française.
Ce fut l'occasion de dire à mes proches : «Hé, regardez ! C'est lui le pédophile qui a tenté sa chance quand j'avais 14 ans !»
Note à mes lecteurs : ce texte diffère de mon travail habituel. Considérez-le comme un récit personnel, sortant de mes sujets de prédilection. Un récit qui restera cependant rigoureux, présentant des faits connus ou directement vécus - aucunement la matière à un procès en diffamation.
Il est peut-être temps de raconter cette histoire, au fond. Après tout, Candace Owens vient de ressortir une histoire concernant les problèmes de Darius Rochebin avec le harcèlement des jeunes hommes - Rochebin étant le type qui a eu le droit d'interviewer Macron au sujet de son procès contre elle... et aussi un type qui semble être fan d'inviter Sergueï Jirnov dans ses émissions.
Fait intéressant, un tribunal français a récemment décidé d'annuler une condamnation pour diffamation contre deux citoyennes-journalistes, Natacha Rey et Amandine Roy, pour avoir affirmé que Mme Macron avait commis un détournement de mineur sur l'actuel président. Bien sûr, traiter cela comme de la diffamation en première instance était tiré par les cheveux, puisque l'information a largement circulé dans la presse, parfois même relayée par l'entourage du couple présidentiel via des publications comme Paris Match.
Nous sommes également post Bétharram, l'énorme scandale national d'abus sexuels de 2025 qui a soulevé de sérieuses questions sur le Premier ministre de Macron. Post affaire Gabriel Matzneff, qui a finalement été traîné devant les tribunaux en 2020 (et a même été présenté dans le New York Times) après des décennies passées à profiter à la fois de la compagnie de l'élite et de celles d'enfants et d'adolescents dont il abusait. Matzneff a finalement été exposé quand Vanessa Springora a publié «Le Consentement». Et nous sommes aussi post affaire Olivier Duhamel, l'analyste politique ultra influent qui abusait de son beau-fils, comme rapporté dans le livre « La Familia Grande».
L'élite française semble avoir une longue histoire d'amour avec les détournements de mineur, certains se terminant par un mariage réparateur, comme celui de la fille de Françoise Giroud, co-fondatrice de l'hebdomadaire L'Express, s'enfuyant à 14 ans avec le célèbre réalisateur Robert Hossein. Il y avait des paillettes et des flashs, un air de noblesse médiatique française - quelque chose qui aurait pu inspirer l'actuelle «Première dame de France». Et quand elle ne pratique pas le détournement de mineur, cette élite de France fait preuve de complaisance avec une certaine constance, puisque nous avons même vu l'intellectuel français Alain Finkielkraut défendre Roman Polanski, disant qu'à 13 ans, la victime de Polanski n'était plus une enfant.
L'année de ma naissance, 1977, environ 80 intellectuels ont signé une lettre ouverte - que Matzneff s'est plus tard vanté d'avoir écrite - défendant trois pédophiles en procès. La lettre ouverte a été publiée dans Le Monde sous le titre «À propos d'un procès». Le quotidien Libération est revenu sur l'affaire des décennies plus tard via sa propre division de fact-checking, tentant de contextualiser l'impensable. Vous pouvez lire leurs articles intitulés « Libération a-t-il soutenu la pédophilie en 1974 ?» (24/09/2017) et « Les signataires de la pétition pro-pédophilie ont-ils exprimé des regrets ?» (02/01/2022).
En un mot, l'époque semble propice pour faire le bilan en France. La caste dirigeante, et son goût pour cette cerise très spéciale sur le gâteau - abuser de mineurs sous son autorité - semble toucher à sa fin. Une atmosphère de «fin de règne» flotte dans l'air, et c'est probablement pour le mieux.
Pour sûr, le travail de Candace Owens contribue à ce bilan, nous rappelant récemment la trajectoire de l'avocat de Brigitte Macron dans son procès contre Candace, Éric Dupont-Moretti, qui aurait crié sur une victime d'abus sexuels de 8 ans, au tribunal, pendant le procès d'Outreau, et qui a une fois gagné une affaire d'inceste en la présentant comme un «inceste heureux» - une histoire qui s'est pourtant terminée, des années plus tard, par deux meurtres. Pendant ce temps, Éric Dupont-Moretti est devenu un temps ministre de la Justice de Macron.
Le gratin de la France... «La crème de la crème»... Difficile de ne pas trouver ce petit monde pourri jusqu'à la moelle.
Revenons maintenant à Jirnov...
Sergueï Jirnov et la chorale...
Jirnov est un homme dont j'ai croisé le chemin quand il a voyagé en France depuis l'Union soviétique en tant qu'adulte, accompagnant une chorale d'enfants. Une chorale de chanteurs de mon âge - dont deux, Lena et Yulia, deviendront plus tard mes correspondantes. Cela s'est passé à Grenoble. J'avais 11 ans quand j'ai rencontré pour la première fois ces jeunes chanteurs russes.
Rencontrer des Russes «pour de vrai» était une nouveauté pour moi et mes amis - nous apprenions tous le russe. À l'époque, apprendre cette langue était un moyen pour les bons élèves d'atterrir dans de meilleures classes, sans avoir à souffrir avec l'allemand. Le russe était plus exotique, plus stimulant - et c'était l'ère Gorbatchev, ils s'ouvraient à nous. Et bien que mes deux grands-pères - tous deux anciens résistants - aient fait l'effort d'apprendre l'allemand après la guerre, personnellement je me sentais mal à l'aise avec tout ce qui était lié à l'Allemagne. En particulier le son de la langue elle-même, qui à mes oreilles sonnait comme l'aboiement des ordres, criés à des gens entassés dans les trains de la mort.
C'est donc ainsi que j'ai rencontré Jirnov, ainsi que mes parents l'ont rencontré : par la chorale.
Après notre déménagement près de Valence, quelques années plus tard, il a rendu visite à notre famille et a fini par rester avec nous pendant quelques mois en faisant un stage à la Préfecture locale. Cela faisait partie de sa formation à l'École Nationale d'Administration - celle qui a produit tant de présidents, Premiers ministres, hauts fonctionnaires. La même «Grande École» qu'a fréquentée Macron, comme la plupart de l'élite politique.
Pendant ce temps, Jirnov s'est lié d'amitié avec nous. Il m'a même aidé à obtenir un court stage non rémunéré dans le cadre d'un projet scolaire en quatrième. Il est le mentor nommé dans mon rapport de stage.
Pour mes parents, avoir Jirnov à la maison - alors que le totalitarisme s'effondrait en Union soviétique, et que j'essayais de continuer d'apprendre le russe sans professeur, parce que nous avions déménagé dans une zone plus rurale - semblait en phase avec ce monde qui changeait.
Cela faisait sens, à l'époque.
Je me souviens du premier moment où je me suis dit que quelque chose clochait. J'avais 14 ans. Nous chahutions - un jeu de lutte typiquement garçonnier, le genre qu'on a pour s'amuser quand on est un jeune ado - quand j'ai réalisé accidentellement que ce salaud avait une érection. Je revois sa tronche, son rictus, appréciant le contact, à travers son pantalon, alors que je le repoussais. Flippant.
Pendant ce temps, mon père - qui travaillait au ministère de la Justice - a été averti par un ami en lien avec les Renseignements Généraux : notre téléphone était maintenant sur écoute, parce que nous avions un agent du KGB vivant sous notre toit.
Une interview publiée en 2022 dans le quotidien La Croix retrace la trajectoire de Jirnov. Elle décrit comment cet homme - qui revendiquerait plus tard le statut de réfugié politique en France - compilait en fait des dossiers sur ses camarades de classe à l'ENA en 1991. Des dossiers sur la future élite française.
Selon La Croix, il était à la fois le premier citoyen soviétique à fréquenter l'ENA, et un espion devenu soudainement «orphelin» quand l'Union soviétique s'est effondrée et que le KGB a été officiellement dissous en décembre 1991. Des temps extraordinaires. Je me souviens que Jirnov nous montrait sa carte du KGB. Je me souviens aussi qu'il adorait «Black or White», le nouveau hit de Michael Jackson lancé à l'époque, qu'il mettait en boucle. À part ce moment troublant avec l'érection qui m'a fait éviter les jeux de lutte, il se comportait comme un ami de la famille.
Après la fin de son stage, il est revenu avec une offre : un weekend au ski. J'étais un bon skieur - un gamin des Alpes - donc mes parents n'ont pas vu grand-chose à craindre. Nous avons pris un bus vers Chambery pour y être hébergé par une de ses connaissances. Autant que je me souvienne, je crois que c'était une professeure de russe qu'il aurait rencontrée en faisant du bénévolat comme guide et traducteur pour les Jeux olympiques d'Albertville en février 92 - elle n'était pas là.
Là-bas, où nous logions donc seuls, il n'y avait qu'un lit - chose qui m'a dérangé.
Quand il fut temps de se coucher, ça n'a pas duré longtemps avant qu'il se mette à se masturber. J'ai quitté la chambre et suis allé dormir sur un petit divan dans l'autre pièce. Il est venu me dire de revenir. Je me souviens encore du même sentiment de dégoût quand sa main a caressé mes cheveux. Heureusement, ça n'a pas dégénéré. Il est retourné dans l'autre pièce.
Quelques jours plus tard, il s'est pointé devant le portail de notre maison - déclarant son amour, me demandant de m'enfuir avec lui. J'ai dit non. J'étais content que le portail soit verrouillé. Le détournement de mineur n'a pas eu lieu parce que le jeune de l'histoire n'a pas cédé aux demandes de l'adulte pédophile.
J'en ai parlé à mes parents le soir même. À mon père d'abord - il était le premier rentré ce jour-là. Mon père n'est pas quelqu'un que je peux décrire en une phrase, mais pour donner un contexte minimal : il avait ce charisme de mâle alpha, mélangé à une forte tendance contrarienne. Imaginez une sorte d'anarchiste travaillant au ministère de la Justice - laminant les gauchistes incompétents protégés par les syndicats, soutenant les grèves mais ne faisant jamais grève lui-même, et si compétent que même dans ce chaos, il gagnait le respect des meilleurs professionnels. Ce n'est qu'une esquisse grossière - mais j'ai passé une année à vivre avec lui et ses collègues dans un centre de protection judiciaire de la jeunesse à Marseille où il était directeur, et c'est comme ça que j'ai pu me faire une idée de son caractère au boulot. Bref, ceci pour expliquer pourquoi la situation s'est résolue en quelques mots seulement.
- Jirnov m'a demandé de m'enfuir avec lui. Il a dit qu'il m'aimait. - Et qu'est-ce que tu as dit ? - J'ai dit non ! - OK, donc tout va bien ? - Oui.
Pas de drame. Pas de crise. «Affaire classée». Je ne me souviens pas de ce qu'on a fait après cette conversation. Mais je me souviens m'être senti cool d'avoir échappé à ce tordu de Jirnov - sans en faire tout un plat.
Quelques mois plus tard - ou peut-être quelques années -, je me souviens avoir entendu ma mère au téléphone, parlant avec quelqu'un qui disait que Jirnov avait fait des siennes avec une mineure. C'est la seule partie de l'histoire que je ne peux pas complètement confirmer : ma mère ne se souvient pas de la conversation, et mon père dit que Jirnov était physiquement révulsé par les femmes.
Je ne sais pas s'il y a eu d'autres victimes. Mais peut-être que ce premier témoignage aidera d'autres personnes à trouver le courage de parler.
Ce qui est certain, c'est que Jirnov n'est pas une figure anonyme en France. Il a été régulièrement invité sur les grandes chaînes d'information pour raconter son histoire et commenter la géopolitique, notamment chez le présentateur vedette Darius Rochebin.
Récemment, j'ai demandé à mon père s'il avait fait quelque chose de plus - s'il avait signalé l'incident de manière formelle. Selon lui, c'était signalé dans l'administration, probablement pour que les services de Protection judiciaire de la jeunesse soient informés.
Il est également raisonnable de supposer que les renseignements français ont été au courant aussi, dès cette époque.
Peut-être Jirnov a-t-il depuis été tenu en laisse sur ces questions. Peut-être pas. Je n'ai aucun moyen de le savoir.
Je ne peux vraiment pas le supporter, donc je n'ai jamais cherché à savoir ce qu'il faisait, à la télé et dans divers podcasts, où il raconte son histoire de soi-disant «victime du régime de Poutine». La première fois que j'ai fait une recherche - récemment, dans le but d'écrire ce texte - j'ai trouvé une vidéo qu'il a enregistrée en juillet avec un podcasteur ukrainien. Mon niveau de russe est calamiteux, mais les outils IA m'ont aidé à transcrire et traduire. Dans la vidéo, il explique le mystère derrière sa promotion de major à colonel au sein des services secrets russes alors même qu'il affirme être un réfugié politique, «à la retraite», en France. Il prétend aussi que Poutine est gay - une affirmation qu'il avait répétée sur une chaîne d'info française, où il avait appelé Poutine «une fiotte», pour ensuite faire machine arrière et évoquer un problème de maîtrise de la langue.
Alors que je me préparais à publier ce texte, sa tronche est encore apparue sur ma «time-line» - cette fois car il expliquait, en réaction à l'assassinat de Charlie Kirk, que c'est Kirk et les conservateurs américains qui étaient responsables de la violence qu'ils subissaient. La nausée. 1
Il se dépeint comme un homme persécuté. Mais pour autant qu'on sache, il pourrait toujours être un agent - épargné par tout le monde, faisant discrètement des rapports sur tout le monde ou, pire, utilisant sa «technique» pour construire un réseau de gens chantageables.
Le convoi
Ce que je sais, c'est que quelques mois après avoir tenté sa chance sur moi, fin 92, Jirnov a participé à un convoi humanitaire vers la Russie - quelque chose qu'il décrit longuement dans son rapport de l'ENA. Ce n'était pas n'importe quel convoi, celui-ci transportait des adolescents institutionnalisés, dans un but éducatif, de développement psychologique.
L'idée du convoi était de donner aux jeunes - coincés dans des systèmes qui les traitaient comme des problèmes à gérer - une chance de trouver du sens en participant à une action de solidarité internationale.
Selon un retour d'un participant au convoi, collègue de mon père, Jirnov «n'était pas clean avec les ados».
En écrivant ce texte, je me suis demandé s'il restait des traces de ça. Et puis je suis tombé sur ce paragraphe glaçant dans le propre rapport de l'ENA de Jirnov :
«Avec les Associations «Belle étoile» d'Albertville et «CAP-Emploi» de Chambéry la liste des participants actifs à l'opération est devenue complète. Des réunions régulières ont permis de se connaître mutuellement, et de se faire connaître en invitant les représentants de la presse locale à des rencontres les plus importantes.
Bien évidemment, quelques coéquipiers ont quitté l'ensemble du groupe en cours de route, principalement certains jeunes à Valence et chômeurs à Chambéry, qui n'ont pas pu respecter le minimum des règles imposées. La philosophie du projet l'avait prévu : l'opération donnait la chance à toute personne désorientée de se mobiliser pour une action collective et pour une aventure individuelle, mais n'était en aucun cas imposée ou obligatoire. Contenant un certain attrait et intérêt, étant parfaitement ouverte à toute bonne volonté, elle se réservait quand même le droit de priver de la récompense d'y participer des personnes qui faisaient pas d'efforts pour respecter les autres et se respecter soi-même».
Deux choses profondément troublantes m'ont frappé.
Premièrement, l'idée que ces convois étaient une «récompense». C'est une vision sacrément tordue. Mon père avait contribué à lancer ce type de missions en France - elles n'étaient jamais conçues comme un prix à gagner, elles étaient destinées à apporter du sens, à laisser les gamins voir qu'ils comptaient, à les impliquer dans quelque chose de réel - apporter de l'aide à d'autres dans le malheur, découvrir des solidarités. Pour beaucoup de ces gamins, ces voyages étaient transformateurs. Et voilà Jirnov, dans son rapport officiel de l'ENA, déformant cela sous l'angle de la récompense.
Deuxièmement - et c'est le plus inquiétant - un documentaire sorti cette année sur l'association Belle Étoile a déclenché une vague de débats à Albertville, révélant des décennies de violence et d'abus sexuels. Le documentaire se concentre sur une période différente, autour des années 1970, mais le fait que les abus n'aient été révélés qu'en 2025 laisse une terrible question en suspens : qu'est-il vraiment arrivé aux adolescents fournis par Belle Étoile, et aux autres, dans ce convoi - celui à l'issue duquel un participant a dit que Jirnov «n'était pas clean avec les ados» ?
Voici un lien vers la page Facebook du documentaire de Clémence Davigo.
Selon une interview qu'elle a accordée à France Bleu, son film a servi d'une sorte de catharsis pour les habitants de la région. Les gens avaient besoin de ça pour accepter les faits, pour commencer à parler et développer des mécanismes de défense. Certains ont raconté que les abus ont continué au-delà, justement dans les années 90...
Sergueï Jirnov, une Brigitte Macron comme les autres
Comme je l'ai dit, je ne sais pas si Sergueï Jirnov est arrivé à ses fins avec d'autres mineurs. C'est une question qui doit être clarifiée, pour sûr. Mais le débat plus large ici concerne aussi le détournement de mineur et l'élite française.
Car au bout du compte, Sergueï Jirnov n'est qu'une Brigitte Macron comme les autres. Il n'est qu'un Olivier Duhamel comme les autres. Un Gabriel Matzneff. Un Robert Hossein. Un Roman Polanski comme les autres. Il n'est qu'un membre de plus de cette élite française qui, si l'opportunité se présentait, coucherait avec un mineur sous son autorité.
Heureusement pour moi, Jirnov n'a pas obtenu ce qu'il voulait. Il a juste fini par revenir une fois chez nous pour clarifier la situation avec mes parents... et a quand même réussi à pleurnicher d'avoir été éconduit.
source : Stéphane Luçon
Les déclarations mentionnées dans cet article n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
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