La fracture de l'ordre judéo-chrétien
Le faible soutien de l'opinion publique américaine à Israël marque la rupture entre l'Occident et l'Etat sioniste
Constantin von Hoffmeister
Constantin von Hoffmeister affirme que la consolidation des positions d'Israël à Gaza et en Syrie, combiné à l'effondrement du soutien de l'opinion publique américaine, annonce une rupture de l'alliance judéo-chrétienne et l'avènement d'une multipolarité de nature darwinienne.
Israël se trouve à l'aube d'une nouvelle réalité. Ses dirigeants parlent ouvertement de l'occupation permanente de Gaza et même de certaines parties du sud de la Syrie. Netanyahu a averti que le pays devait se préparer à l'isolement, à une économie de siège, à des industries qui produisent tout à l'intérieur même de la forteresse. Il ne s'agit pas de rhétorique, mais d'une préparation à un monde où les sanctions pourraient venir non pas des États arabes, longtemps écartés, mais de l'Occident même qui a autrefois assuré la survie d'Israël.
Les manœuvres sur le mont Hermon (photo), le plus haut sommet du Levant à la frontière entre la Syrie et le Liban, l'annexion du plateau du Golan, une plaine fertile conquise sur la Syrie en 1967, annexion reconnue par Washington en 2019, les alliances avec les conseils locaux de Soueida, une province à majorité druze du sud de la Syrie, et la perspective d'un corridor traversant Deraa, la province voisine connue pour être le berceau du soulèvement syrien de 2011, montrent une tendance claire: prendre, tenir, normaliser. Israël ne cache plus ses intentions. Le territoire devient théologie, les montagnes deviennent des alliances, et la géographie fusionne avec l'idéologie. Ce qui était autrefois considéré comme une défense temporaire se transforme désormais en permanence.
Ce changement coïncide avec une profonde fracture au sein même de l'Occident. L'ordre établi après 1945 s'effondre sous nos yeux. Dans le même temps, le cadre moral de la solidarité « judéo-chrétienne » qui liait Israël à l'Occident commence à se fissurer. Les sondages aux États-Unis montrent que le soutien à Israël s'effondre: selon Gallup, seuls 32% des Américains approuvent les actions d'Israël à Gaza, tandis que 60% les désapprouvent. Un sondage Quinnipiac révèle que 60% des Américains s'opposent à l'envoi d'une aide militaire supplémentaire, contre seulement 32% qui y sont favorables. Cette érosion est la plus forte chez les jeunes et les indépendants, des groupes qui façonneront l'électorat futur.
C'est là que réside le sens profond de la mutation à l'oeuvre sous nos yeux. L'alliance était fondée non seulement sur une stratégie, mais aussi sur une identité commune. Israël était présenté comme l'avant-poste vivant d'une civilisation « judéo-chrétienne ». Les églises, les synagogues et les tribunes politiques soutenaient toutes cette vision. Aujourd'hui, cette vision s'estompe. Les images des bombardements l'emportent sur la teneur des sermons. L'alliance se dissout dans la conscience publique. Pour la première fois, l'opinion publique occidentale se demande si les actions d'Israël sont conformes aux valeurs que ses dirigeants ont autrefois proclamées.
C'est là la marque d'une multipolarité darwinienne en advenance. Le pouvoir appartient désormais à ceux qui s'adaptent, qui allient force et crédibilité. Les frontières changent à nouveau, les alliances se transforment et les symboles perdent leur force automatique. Israël peut encore agir, occuper et se retrancher, mais il ne peut plus compter sur le même bouclier moral de la part de l'Occident. Une fracture s'ouvre au cœur de l'alliance, et à travers elle, l'ancien ordre mondial s'effrite.
L'avenir ne s'écrira pas dans des traités ou des sermons, mais dans la force, dans la perception publique, dans les changements d'allégeances. L'étiquette « judéo-chrétienne » qui a uni l'Occident et Israël pendant des générations s'affaiblit. Ce qui viendra après sera plus dur, façonné uniquement par la puissance.