par Al-Manar
Le 17 septembre 2024 a eu lieu ce que les médias libanais ont qualifié de «crime du siècle».
Des explosions, des milliers, qui ont retenti dans la capitale, la banlieue sud, au sud du Liban et dans la Békaa...
Du sang qui coulait dans les rues, dans les maisons, dans les commerces...
Des cris qui résonnaient partout...
Des yeux arrachés, des doigts déchirés, des ventres éventrés...
Et une grande incompréhension de tous, parmi ceux qui étaient visés et ceux qui ne l'étaient pas.
Une stupeur générale s'était emparée de tous les Libanais dans toutes les régions, même celles qui n'ont pas été le théâtre de ce crime.
Quelques minutes et la vérité va se dévoiler : toutes les victimes appartenaient au Hezbollah ou à son environnement. De jeunes hommes, des femmes, des enfants. Des milliers de bipeurs, ces petits appareils de communication sans fil, communément appelés au Liban Pagers, ont explosé entre leurs mains. Il y a eu 20 martyrs et plus de 3000 blessés dont des femmes et 113 enfants.
Et les médias de révéler que l'auteur de ces crimes, celui que tous avaient deviné ou suspecté : Israël
Netanyahou ne tardera pas à s'en féliciter. Plus tard, lors de son premier voyage aux États-Unis après l'investiture de Trump, il a tenu à lui offrir un bipeur en or. Et celui-ci de le féliciter à son tour.
C'est comme si Netanyahou lui disait : on a été le premiers à exécuter cette méthode. Vous pouvez y recourir.
Gâcher la vie définitivement
Les hôpitaux ont été mis sur le pied de guerre. Le secteur médical libanais, public et privé, s'est entièrement mobilisé, sous la coupe du ministère de la Santé et quelque peu de l'UNICEF.
Le chirurgien plasticien et reconstructeur palestino-britannique de guerre Salah Abou Sitta explique les objectifs d'une telle attaque, son message : «elle ne veut pas mettre fin à la vie mais la gâcher définitivement, causer un choc d'absorption généralisé. Vu que cet évènement est le premier du genre et le plus énorme».
Ayant pris connaissance de ces crimes au Royaume-Uni, il est venu au Liban le lendemain. Il a soigné des centaines de cas.
500 opérations ont été effectuées pendant les premiers jours qui ont suivi le crime, selon le ministère libanais de la Santé.
Parmi les médecins et tout le personnel médical, un mouvement de solidarité inédit a été observé. Même les médecins qui n'étaient pas experts en la matière ou pas de service se sont mobilisés, de leur plein gré. Mais cette mobilisation ne durera que quelques semaines, pour des raisons financières mais aussi parce que les évènements ultérieurs seront aussi tragiques.
De la responsabilité du Hezbollah
«Dès le début, l'État n'a pas fourni de services complets dans ce domaine», ou, plus précisément, «il ne considérait pas cela comme relevant de ses responsabilités directes, d'autant plus que ses lacunes en matière de services à la population existaient depuis un certain temps», assurent des sources informées de ce dossier à al-Akhbar. De plus, dans le cas des Pager blessés, l'État considérait que ces individus relevaient la «responsabilité» du Hezbollah pas de la sienne.
Cet évènement tragique aura des répercussions sur le long terme : soigner des personnes qui risquent de ne jamais guérir, des blessés mutilés à vie. Sans oublier les retombées psychologiques qui en découlent. Le cout financier en est exorbitant. Le secteur privé ne tardera pas à laisser tomber. Le secteur public ne fera plus que le strict minimum. Il consacrera seulement deux cliniques pour les traitements de longue durée aussi bien pour les soins physiques que psychologiques.
Les blessures graves s'accompagnaient de complications, nécessitant l'intervention de plusieurs chirurgiens, voire plusieurs opérations chirurgicales. Abou Sitta estime le nombre d'interventions chirurgicales nécessaires pour la plupart de ces patients entre 5 et 12 par personne.
Les blessures oculaires constituaient l'aspect le plus grave des blessures subies par les blessés, selon un autre spécialiste, l'ophtalmologiste et député libanais Elias Jaradé. Même ceux qui avaient conservé un ou les deux yeux nécessitaient une surveillance étroite et un suivi par plusieurs ophtalmologistes, compte tenu de la sensibilité de cet organe et du risque d'atrophie cornéenne ou de décollement de la rétine. Pour ceux qui avaient complètement perdu les deux yeux, la réadaptation et la réinsertion sociale devenaient encore plus difficiles.
Ils sont 300 cas, pour la plupart des jeunes, dont 11 femmes et 7 enfants.
C'est surtout l'organisme sanitaire du Hezbollah al-Hay'at al-Sohiyya qui s'en chargera entièrement, ainsi que le Croissant Rouge en Iran qui accueillera des centaines de blessés dans ses hôpitaux. 445 avec un seul accompagnateur. 30 cas iront en Irak, et 47 en Syrie. Avant la chute du pouvoir de Bachar al-Assad.
Le sang des martyrs fait oublier le sang des blessures
La Fondation des mutilés de guerre du Hezbollah prendra le relai pour la rééducation.
Son défi le plus difficile était de déterminer les niveaux de traitement de cette phase, «professionnel et physique, dans le but de réinsérer ces personnes dans la société, en travaillant à les former à être indépendantes dans leur vie après avoir perdu un sens important», selon un responsable Ibrahim Naïm.
Ayant prêté au service psychologique une attention particulière, il constate toutefois que «seuls quelques-uns ont poursuivi leur suivi psychologique».
Ce qui pourrait s'expliquer selon lui par «les événements qui sont survenus, plus tard qui ont été stressants pour tous, tous les Libanais sans exception». Par conséquent, «la plupart des blessés se sont adaptés à leur situation et ont réintégré la société d'une manière ou d'une autre».
Après les crimes des Pagers, seront tués la plupart de leurs commandants, les chefs de la résistance, leur secrétaire général tant chéri, sayed Hassan Nasrallah, puis son successeur sayed Hachem Safieddine. Avant que n'éclate la guerre de 66 jours au cours de laquelle plus de 4000 martyrs sont tombés, la plupart des civils.
Les martyrs de la résistance qui ont poursuivi la bataille, sans leur commandement, pendant ces 66 jours, sur les premières lignes frontalières, ne seront identifiées et recensés qu'après l'arrêt des combats. Ils seraient plus que 1000. Puis des dizaines seront tués après le cessez-le-feu et continuent de l'être.
Les rescapés de la guerre et le message
Cette effusion de sang des martyrs fera oublier aux mutilés de pagers leurs souffrance et endurance. En fin de compte, ils sont bien les rescapés de cette guerre. La poursuite de cette voie leur incombe entre autres.
«À tous nos martyrs, nous promettons que notre voix restera la plus haute, que nous poursuivrons le chemin du Hezbollah et nous prouverons au monde entier que le Hezbollah vaincra. Le monde verra», a lancé avec assurance l'un de ces mutilés à la fin d'une émission d'Al-Manar qui leur a été consacrée mardi soir sous le titre «Nous sommes guéris», du slogan lancé par le Hezbollah pour commémorer cette occasion.
La rapidité de laquelle ils ont été rétablis tout en restant mutilés à vie et leur insertion dans une vie sociale presque normale est sidérante.
De retour à l'hôpital
Hassan Nasreddine qui est ingénieur pour les équipements médicaux fait partie de ces blessés. Il était au travail à l'hôpital al-Rassoul al-A'zam lorsque son bipeur a explosé. Il est entré dans le coma pendant deux semaines. Ayant perdu un œil et des doigts, il a repris son travail deux semaines avant la fin de la guerre de 66 jours, a-t-il confié pour Al-Manar.
Le djihad de la clarification
Abbas Ajami qui a quant a lui perdu totalement sa vue et le bout de sa main droite a affirmé :
«Ce que nous avons consenti est l'exemple parfait du verset coranique qui dit que (Dieu a acheté des croyants leur âme). Nous avons été guéris dès le premier jour de notre blessure car ceci ne nous a pas brisé la volonté... Parce ce que nous sommes dans le droit et la vérité. J'ai cru au début que la vie serait difficile et la société ne va pas m'accepter. Au contraire, j'ai vu une solidarité de la part des gens. Dans les rues, ils venaient m'embrasser, ou m'embrasser la main, pour se bénir. Je n'étais pas habitué à ce genre de choses et jusqu'à présent... Notre rôle dans la société s'est accru et maintenant nous travaillons dans le jihad de la clarification». Une mission lancée par l'ayatollah Ali Khamenei et reprise par sayed Nasrallah et qui consiste à mettre au clair les objectifs de l'Islam, de la résistance...
Rien ne nous arrêtera
Un autre blessé, Moustafa Zeineddine dont la blessure à l'œil n'est pas apparente, l'éclat ayant transpercé son œil qui a été remplacé par un œil en verre.
Étant lui-même le fils d'un mutilé de guerre, dont la blessure en 1987 a causé une cessation totale de sa vue, il s'est rappelé qu'il lui a dit en plaisantant, après sa blessure : «mon père m'a dit que c'est héréditaire... Les premiers jours après la blessure, je ne pouvais pas voir des deux yeux. Plus tard, la situation s'est améliorée. Avant, je me suis mémorisé les 38 années de la vie de mon père sans vue, et je me suis souvenu des souffrances qui en découlent. Mais elles se sont dissipées». Moustafa qui attend la naissance d'un nouveau-né a conclu : «Rien ne nous arrêtera».
Un seul choix de deux
Chadi al-Ghoul, poursuivait ses études en sciences de l'informatique et préparait sa maitrise lorsqu'il a été blessé, perdant ses deux yeux et un doigt de la main droite.
Il dit : «Face à une épreuve pareille, nous avons deux choix, soit on capitule et on reste dans notre coin, soit on poursuit notre vie... je n'ai aucune hésitation à emprunter la seconde voie et à poursuivre mes études mais j'appréhendais que l'université n'accepte pas, mais celle-ci a directement accepté et m'a offert toutes les facilités». Il indique avoir achevé la première année et vouloir continuer la seconde.
«Une seule chose que l'ennemi israélien m'a impacté c'est en reportant la date de mon mariage Il était prévu le 23 septembre 2024, il a eu lieu en février 2025».
La bonté de notre environnement
L'entraineur de boxe, Hussein Halawe qui a été blessé au visage, a perdu un œil totalement et ne peut voir avec le second qu'à 20%.
«J'ai été blessé à la maison, mon petit fils était à côté de moi, j'ai eu un saignement dans le cerveau et dans les poumons et pendant 70 jours je ne pouvais pas voir avec les deux yeux, et j'ai aussi souffert d'insuffisance rénale, j'ai fait plusieurs rechutes. Mais Dieu merci, je m'en suis sorti... Les gens sont restés à nos côtés, nos proches et les étrangers qui accouraient pour nous aider dans les rues. L'un des objectifs de l'ennemi a été de semer la peur et l'angoisse parmi les gens pour fragiliser le psychisme de cet environnement mais c'est le contraire qui a eu lieu. Les gens se sont entraidés et nous ont aidés. C'est la bonté de notre environnement».
Halawe assure continuer dans sa profession d'entraineur de boxe et préparé un master qu'il avait suspendu pendant des années.
«Nous travaillons aussi dans le jihad de clarification avec les gens et nous tentons de donner une image positive. C'est notre devoir».
«Je demande aux gens de ne pas se soucier pour nous... Nos blessures sont certes difficiles et nécessitent un important niveau de conscience. Mais tous ceux qui ont perdu la vue partiellement ou totalement n'ont jamais baissé les bras et continuent à servir cette voie», a-t-il aussi dit.
Tes blessures te façonnent
Le jeune Ali Tohmaz qui a fait des études en IT et network et étudie en autodidacte les preuves pénales ne voit que d'un seul œil, à 5% en plus de l'amputation de plusieurs de ses doigts. Il a dit :
«Une parole me vient en tête «la flute sans trous n'est qu'un bâtonnet. Dresse-toi sur tes jambes et combat ce sont tes blessures qui te façonnent». La philosophie des blessures réside dans son message. D'où la question la plus importante : elle ne consiste pas à se demander ce que les blessures t'ont privé mais ce qu'elles t'ont donné... Mon périple avec les blessures était certes douloureux, mais une certaine sérénité m'a envahie... L'idéologie de la résistance ne se limite pas au dynamisme physique via les yeux et les mains mais elle est apte à être léguée aux générations futures... C'est ce que nous nous efforçons de faire avec elles pour qu'elles portent la bannière... les gens nous voient comme des héros ce qui nous a vraiment encouragés».
«La résistance est une société et son arme est l'assurance de sécurité... Nous avons vu ce qui s'est passé à Doha puis la rencontre arabo-islamique... tout ce qui se passe à Gaza n'a pas ébranlé un cheveu des dirigeants arabes, hélas. Car Gaza et l'oppression ne sont pas présents dans la conscience de la oumma, comme l'imam Hussein nous a inculqués».
Selon lui «comme Dieu choisit les martyrs Il choisit les blessés parce qu'il les consacre à une mission que seuls eux peuvent réaliser».
Et Ali Tohmaz, de conclure, «l'ennemi doit savoir, nous les blessés des bipeurs nous sommes de retour».
Nous n'avons vu que beauté
Ali Borji, un étudiant scolaire qui a perdu la vue et 4 doigts de sa main gauche. Il vient d'obtenu cette année son baccalauréat avec mention très bien et une moyenne de 18,25 en Sciences de la vie, signe d'une volonté et d'une persévérance inébranlables. Il envisage de continuer ses études universitaires en médecine.
«Nous sommes certes bel et bien guéris, pas physiquement mais spirituellement. Dès les premières heures, c'était nous qui consolions les autres, baignés dans notre sang. Cette épreuve nous renforce pour faire passer un message au monde. Alors qu'on m'emmenait à l'hôpital j'ai eu une vision : quelqu'un est venu me dire tu resteras vivant parce que tu as un message à adresser au monde... c'est ce que j'essaie de faire...Nous sommes une oumma qui sommes habitués aux épreuves, cela fait partie de la vie... nous n'acceptons pas de vivre dans l'humiliation. C'est ce que nous appris notre sayed Hassan Nasrallah et l'imam Hussein».
«Nous n'avons vu que beauté», a-t-il aussi dit, répétant une expression immémoriale de sayeda Zeinab, la sœur de l'imam Hussein après le massacre qui a causé son martyre.
Et Ali Borji de conclure : «Nous ne renoncerons jamais à la voie de sayed Hassan».
«Cette frappe ne nous fera jamais tomber. Ces hommes auront une volonté de fer pour poursuivre la bataille contre vous», avait alors promis l'ex-secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah lors de son discours directement après le crime.
De retour au front
Selon le journaliste libanais Hassan Olleik, 50 mille bipeurs étaient piégés et auraient dû, si leur majorité avaient explosé d'achever la résistance une fois pour toute, et de neutraliser entre autres les combattants de la force balistique.
«Mais l'ennemi n'est pas parvenu à réaliser son objectif d'éliminer la résistance et de la contraindre à capituler. Bien au contraire, les blessés des bipeurs, leurs familles, leurs amis ont pris les armes», a-t-il affirmé.
L'exemple qui illustre parfaitement cet état d'âme est sans doute celui d'un jeune combattant de la résistance qui avait été blessé par son bipeur, lui faisant perdre un œil, une main, et un doigt de la seconde main.
À peine rétabli après des soins en Iran, il est revenu au Liban en passant par la Syrie, avant la chute de Bachar al-Assad. Sans tarder, il a rejoint le front au sud du fleuve Litani et a entamé les tirs de missiles sur Israël. Lors des combats contre l'ennemi sioniste, il a été blessé à la main. Mais il est de nouveau revenu au front. Il a survécu à la guerre. Son identité est restée anonyme.
Nous avons accepté le pacte du sang
Dans un message diffusé dans la soirée de ce mercredi à l'actuel secrétaire général cheikh Naïm Qassem, les blessés et mutilés du crime du siècle ont déclaré solennellement :
«Il faut que le monde entende notre voix et nos paroles trempées dans notre sang. Quant à nos blessures, nous les avons maitrisées et avons placé la revanche devant nos yeux blessés. Nous tiendrons notre parole pour être à la hauteur des espoirs de nos gens et notre peuple généreux auquel nous adressons nos salutations. Nous sommes prêts au sacrifice, aspirons au martyre et sommes déterminés à vaincre. Quelque soient les coûts... Nous avons pleinement confiance en la promesse divine et Sa victoire, nous avons accepté le pacte du sang, la promesse du jihad car quiconque est lié à Dieu ne peut jamais être vaincu».
source : Al-Manar