Mounir KILANI
Ironie du destin : le Nobel de la Paix échappe à Donald Trump pour couronner María Corina Machado, figure d'une opposition façonnée par Washington. Une récompense qui en dit plus sur la diplomatie du spectacle que sur la paix. Le Venezuela devient la scène d'une farce géopolitique où les héros sont choisis à l'avance.
Un Nobel détourné : Trump éclipsé par son propre jeu
Le Prix Nobel de la Paix, ce trophée moral que Donald Trump convoitait avec l'ardeur d'un empereur en quête d'adoubement, a glissé entre ses mains pour échouer dans celles de María Corina Machado, figure de proue de l'opposition vénézuélienne. Une ironie cruelle, digne d'une tragédie shakespearienne, se dessine dans cette attribution. Trump, l'homme des primes de 50 millions de dollars sur la tête de Nicolás Maduro et des bateaux de pêche réduits en cendres sous le prétexte fallacieux d'une croisade antidrogue, se voit éclipsé par une femme que beaucoup décrivent comme l'instrument de ses propres ambitions impérialistes. Le Nobel, censé incarner la paix, se mue ici en étendard d'un théâtre macabre où s'entrelacent ingérence, désinformation et désespoir. Mais derrière ce revers infligé à Trump se tapit une vérité plus sinistre, un enchevêtrement d'intérêts où les masques de la vertu cachent des appétits voraces. En couronnant Machado, le Nobel ne fait qu'éclairer un jeu d'ombres orchestré par Washington, une danse funeste où la lutte pour la liberté se transforme en un nouvel acte de domination néocoloniale.
María Corina Machado : un pion dans l'échiquier étasunien
Ce qui se joue au Venezuela n'est pas un simple duel entre une héroïne autoproclamée et un régime autoritaire, mais une machination sophistiquée où Machado, loin d'être une libératrice, incarne le fer de lance d'une stratégie étasunienne visant à plier un pays souverain. Soutenue par des financements douteux de la National Endowment for Democracy (NED) et de l'USAID, deux agences notoirement impliquées dans des opérations de changement de régime, Machado n'est pas une voix indépendante, mais une actrice d'un scénario écrit à Washington. Dès 2004, son ONG Sumate, abreuvée de fonds étasuniens, orchestrait un référendum révocatoire contre Hugo Chavez, prémices d'une campagne de déstabilisation qui se poursuit aujourd'hui. En 2023-2024, l'USAID a injecté 50 millions de dollars dans des organisations liées à l'opposition vénézuélienne, dont celles connectées à Machado, pour « augmenter les coûts de la fraude électorale ». Le site "resultadosconvzla.com", géré par Sumate, a diffusé des procès-verbaux falsifiés pour contester la victoire de Maduro en juillet 2024, une opération de désinformation savamment orchestrée. Ses 270 000 militants, organisés en « comanditos », ont semé le chaos post-électoral, suivant à la lettre les manuels de la NED pour les révolutions colorées.
Alliances et trahisons : le Venezuela sacrifié
Les alliances de Machado avec les cercles du pouvoir étasunien achèvent de lever le voile sur son rôle. Reçue par George W. Bush en 2005, puis par Barack Obama en 2015, elle a scellé son statut de partenaire privilégiée de Washington. Sous Trump, elle a soutenu Juan Guaido, cet éphémère « président intérimaire » autoproclamé, tout en plaidant pour des sanctions économiques qui ont saigné le Venezuela, une perte estimée à 228 milliards de dollars pour l'économie nationale, selon la Banque centrale du Venezuela. Son programme « Tierra de Gracia », qui prône la privatisation de PDVSA, la compagnie pétrolière d'État, trahit son alignement sur les intérêts des multinationales étasuniennes, prêtes à s'emparer des richesses vénézuéliennes. Ses appels répétés à une intervention militaire étrangère, via la doctrine R2P ou le TIAR, et son soutien implicite à des opérations mercenaires comme l'Opération Gédéon en 2020, confirment qu'elle est moins une héroïne de la démocratie qu'un cheval de Troie au service d'un agenda impérial.
Le Nobel, arme à double tranchant
Le Nobel, dans ce contexte, devient une arme à double tranchant, un « cadeau empoisonné » qui légitime Machado tout en exposant la duplicité de l'Occident. Imaginez la scène : Trump, dans son bureau doré, apprend que le prix lui échappe au profit de celle qu'il pourrait manipuler pour renverser Maduro. Une grimace ironique se dessine. Lui, l'homme des coups d'éclat, se retrouve relégué au second plan par une femme qui, paradoxalement, exécute ses propres desseins géopolitiques. Mais la tragédie s'épaissit. Machado, drapée dans son aura de « championne de la démocratie », n'est qu'un pion dans un échiquier plus vaste. Ses procès-verbaux truqués, ses campagnes médiatiques relayées par la BBC, l'AFP ou El Païs, ses alliances avec des figures pro-américaines comme Ivan Duque ou Jair Bolsonaro, et ses liens avec des exilés comme Leopoldo Lopez, basé à Washington, trahissent un peuple vénézuélien déjà exsangue, asphyxié par les sanctions qu'elle a elle-même applaudies.
Une farce morale dans un monde en déroute
L'ironie atteint son paroxysme dans la décrépitude du Nobel lui-même. Jadis symbole d'espoir, il n'est plus qu'un hochet moraliste, manipulé par des forces occultes, ce deep state que Trump dénonce sans voir qu'il en est lui-même un rouage. Le Venezuela, champ de bataille de ces ambitions croisées, se réduit à un théâtre de marionnettes où chaque acteur joue un rôle écrit par d'autres. Trump pourra toujours rêver d'un Nobel pour le 250e anniversaire des États-Unis, mais ce rêve sera une farce : l'ONU est moribonde, le Nobel est souillé, et Machado, en recevant ce prix, n'incarne pas la paix, mais la tragédie d'un peuple trahi par ceux qui prétendent le sauver.
Un miroir tendu à l'hypocrisie occidentale
Ce tableau, d'une cruauté presque poétique, révèle une vérité amère : la paix n'est qu'un mot, brandi pour masquer des appétits de pouvoir. Machado, Trump, le Nobel, tous sont liés par une danse macabre où l'espoir vénézuélien s'éteint sous les applaudissements d'un monde qui préfère le spectacle à la justice. Dans ce cirque géopolitique, le Venezuela n'est pas seulement une victime ; il est un miroir tendu à l'hypocrisie de l'Occident, où les médailles d'honneur récompensent les artisans du chaos.
Et si, dans un ultime éclat de rire amer, le Nobel de Machado révélait la vérité la plus cruelle : au Venezuela, le peuple, héros véritable, applaudit sous la contrainte un spectacle où ses bourreaux sont couronnés. Dans ce cirque géopolitique, les victimes dansent, et les médailles d'honneur brillent sur les costumes des imposteurs.
Mounir KILANI
Sources :
Lemoine, Maurice : Les influenceurs politico-médiatiques du Grand Venezuela Circus. medelu.org
Douhan, Alena : Rapport de la Rapporteure spéciale sur l'impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur les droits humains. ohchr.org/sites/Venezuela_Report_2021.pdf.
Banque centrale du Venezuela : Rapport économique : Impact des sanctions sur l'économie vénézuélienne », 2023.
Weisbrot, Mark, et Sachs, Jeffrey : Economic Sanctions as Collective Punishment : The Case of Venezuela. cepr.net
Golinger, Eva : The Chavez Code : Cracking US Intervention in Venezuela, Olive Branch Press, 2006.