10 bonnes raisons de ne pas attribuer le Nobel de la paix à Trump, jamais au grand jamais !
Par Clarence Lusane, le 10 octobre 2025
Chacun sait que le président Donald Trump souhaite désespérément obtenir le prix Nobel de la paix, déclarant avec amertume :
"Ils ne me donneront jamais le prix Nobel de la paix. C'est vraiment dommage. Je le mérite, mais ils ne me le donneront jamais".
Et pour une fois, il a raison. Il ne l'obtiendra pas, mais il a tort, bien sûr, de penser qu'il le mérite. En réalité, il y a bien plus de 10 raisons pour lesquelles il ne mérite pas un tel prix, mais comme 10 est un chiffre rond, je vais m'en contenter.
En tant que politologue spécialisé dans les droits de l'homme, la justice raciale mondiale et les mouvements sociaux, j'ai longuement réfléchi et mené des recherches sur le prix Nobel de la paix. J'ai autrefois dispensé un cours sur l'histoire et la politique de ce prix lorsque j'étais membre du corps enseignant de l'École des affaires internationales de l'American University. L'année dernière, j'ai même séjourné à Oslo, au musée du Centre Nobel de la paix et à l'Institut Nobel norvégien, qui abrite de nombreux documents du Comité du prix Nobel de la paix, notamment les lettres de nomination originales, qui peuvent être consultées et étudiées.
J'étais là-bas pour faire des recherches sur le prix décerné en 1964 à Martin Luther King Jr. et j'ai lu plusieurs des lettres originales envoyées au Comité pour le nommer. La principale nomination venait de l'American Friends Service Committee (AFSC), qui a envoyé une lettre datée du 31 janvier 1963, arrivée après la date limite de janvier de cette année-là. Sa nomination a été reportée à 1964, année où il a remporté le prix.
Il s'avère que je fais partie de l'une des catégories de personnes pouvant officiellement proposer une telle nomination. Il s'agit notamment des membres des "assemblées parlementaires" (ou du Congrès américain), des anciens lauréats du prix Nobel de la paix comme Malala Yousafzai, âgée de 17 ans, ou l'ancien vice-président Al Gore, des directeurs d'instituts de recherche sur la paix et d'instituts de politique étrangère, des membres des tribunaux internationaux, des membres du Comité norvégien du prix Nobel de la paix et (ce qui me concerne) des professeurs d'université.
Bien que le comité n'ait jamais explicitement déclaré qu'une telle chose soit possible, je vais partir du principe que je peux également faire une "non-nomination". En fait, croyez-le ou non, si de nombreuses lettres ont été envoyées pour soutenir la nomination du Dr King, d'autres ont été envoyées pour inviter le comité à lui refuser le prix, même si la plupart d'entre elles provenaient de personnes non habilitées à faire (ou à annuler) une nomination.
Et j'ajouterai simplement ceci : je ne vois personne qui mérite davantage d'être désigné comme non-candidat au prix Nobel de la paix que le président Donald Trump. Son bilan en matière de gouvernance autoritaire et antidémocratique est plus dangereux et néfaste de jour en jour, non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour l'ensemble de la communauté internationale. Et pourtant, il a bel et bien été nominé par des Républicains flagorneurs au Congrès qui cherchent à s'attirer ses faveurs, ainsi que par des hommes forts à l'échelle mondiale, notamment le président gabonais Brice Oligui Nguema, au pouvoir grâce à un coup d'État militaire, et Ilham Aliyev, président de l'Azerbaïdjan depuis 22 ans. Ils savent que de telles recommandations flattent sa soif de reconnaissance et atténuent les critiques dont il pourrait faire l'objet.
En réalité, le Comité Nobel ne divulgue les informations relatives à la décision de chaque année, y compris le nom de tous les candidats, que 50 ans plus tard. Trump et le reste du monde ne peuvent donc savoir que le président israélien Benjamin Netanyahu, le Premier ministre cambodgien Hun Manet et d'autres l'ont effectivement nominé que s'ils le déclarent publiquement ou s'ils lui en font part.
Autocratie, racisme et anarchie ne sont pas des qualités requises
Le prix récompense généralement le travail accompli par le candidat au cours de l'année précédente, de sorte que les efforts de "paix" de Trump pendant son premier mandat et sa période hors du pouvoir ne seront pas pris en compte pour l'édition de l'année prochaine. Examinons donc ses huit premiers mois au pouvoir en 2025 et posons-nous une question fondamentale : qu'a donc fait Trump jusqu'à présent cette année pour ne pas mériter ce prix ?
Tout d'abord, quelques heures après son retour au pouvoir, le président "pacifiste" a gracié et commué les peines de prison de 1 500 insurgés révoltés en son nom le 6 janvier 2021. (En réalité, ce sont là 1 500 raisons de ne pas lui décerner le prix Nobel de la paix !) Des centaines de ces individus ont violemment attaqué des policiers dans le but d'empêcher le transfert pacifique du pouvoir à Joe Biden, légitimement élu. Plutôt que de condamner leurs actes, Trump a récompensé leur (et son) mépris de la loi.
Deuxièmement, dans le cadre de sa campagne immorale et raciste contre les immigrants sans papiers qui, selon lui, "empoisonnent le sang du pays", son administration a illégalement kidnappé des personnes dans les rues américaines et les a transférées vers de terribles goulags au Salvador et ailleurs. Certaines n'avaient commis aucun crime et se trouvaient légalement aux États-Unis, voire étaient citoyennes américaines.
Troisièmement, il a fermé l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Cette agence, fondée en 1961, a fourni pendant des décennies une aide humanitaire à des millions de personnes à travers le monde. Comme l'a souligné Oxfam, avec la suppression de l'USAID,
"au moins 23 millions d'enfants risquent de perdre leur accès à l'éducation, et jusqu'à 95 millions de personnes se verront privées d'accès aux soins de santé de base, entraînant potentiellement plus de 3 millions de décès évitables par an".
Quatrièmement, il a déployé du personnel de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), ainsi que la Garde nationale et d'autres troupes à Los Angeles, Washington, D.C., Chicago et, bientôt, semble-t-il, à Memphis, Tennessee, et Portland, Oregon ( soi-disant pour protéger les installations de l'Immigration and Customs Enforcement qui y seraient "assiégées par les attaques d'Antifa et d'autres terroristes nationaux"). À Los Angeles, il a affirmé que la ville est également " assiégée" par des citoyens protestant contre ses rafles d'immigrants. En réalité, ce sont les actions inhumaines et violentes de l'ICE sous les ordres de Trump qui ont déclenché la résistance à Los Angeles. À Washington, il a faussement et à plusieurs reprises déclaré envoyer des troupes pour contrôler la criminalité généralisée. Ce canular lui a permis de propager sa campagne anti-immigrés dans une autre " ville sanctuaire" et d'y cibler les personnes les plus vulnérables, comme les sans-abri et les livreurs à scooter. (Un juge de Washington l'a au moins récemment empêché de procéder à des expulsions rapides d'immigrés sans papiers.)
Cinquièmement, pour marquer son désir d'une nouvelle ère impérialiste, il a menacé de s'emparer du Canada, du Groenland et du canal de Panama. Selon CNN, il aurait proféré au moins neuf mensonges quant aux raisons pour lesquelles le Canada devrait devenir le 51è État de ce pays, notamment en affirmant que ses citoyens y sont favorables (ce qui n'est pas le cas), qu'il n'autorise pas les banques américaines sur son territoire (ce qui est faux) et que le pays n'"achète" pas de produits agroalimentaires américains (il est le deuxième acheteur de ces produits après le Mexique). Trump a non seulement déclaré vouloir s'emparer du Groenland pour des raisons de "sécurité", mais il n'a pas non plus exclu d'y recourir par la force. Il faut savoir que le Groenland est un territoire autonome du Danemark dont la population et le gouvernement n'ont aucun intérêt à rejoindre les États-Unis. Bien que construit par les États-Unis, le canal de Panama a été cédé au Panama dans un traité signé en 1977 par le président Jimmy Carter et ratifié par le Sénat. Trump affirme que les États-Unis ne bénéficient pas d'un traitement équitable pour le droit d'utilisation du canal. Cependant, comme l'a fait remarquer un expert du canal, Trump insiste pour obtenir un traitement préférentiel et menace de reconquérir le canal s'il n'obtient pas gain de cause.
Sixièmement, dans un abus de pouvoir flagrant, il a exigé que le Brésil mette fin aux poursuites judiciaires contre son allié dans ce pays, l'ancien président Jair Bolsonaro. Comme Trump en 2021, Bolsonaro et ses partisans ont échoué dans leur tentative d'empêcher la transition du pouvoir vers le président alors élu Luiz Inácio Lula da Silva par la force, après que Bolsonaro a légitimement perdu les élections de 2022. Trump a qualifié le procès de "chasse aux sorcières" et a déclaré qu'il imposera des droits de douane de 50 % sur les importations brésiliennes à moins que le procès cesse et que Bolsonaro soit libéré.
Septièmement, dans un autre de ses décrets anticonstitutionnels, il a menacé deux professeurs américains de sanctions juridiques pour avoir collaboré avec la Cour pénale internationale (CPI) ou écrit en sa faveur. La CPI (dont les États-Unis ne sont pas membres) poursuit les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides, qui ne sont pas soumis à prescription. Trump a été contredit par deux juges fédéraux concluant qu'il viole le droit à la liberté d'expression garanti par le Premier Amendement en déclarant qu'il " imposera des représailles tangibles et significatives" à toute personne soutenant la CPI. Que la CPI ait émis un mandat d'arrêt contre son complice dans la guerre contre Gaza, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l'a en effet particulièrement contrarié. Une douzaine de pays ont déclaré qu'ils honoreraient ce mandat.
Huitièmement, le bombardement par Trump en juin de trois sites nucléaires en Iran s'est déroulé sous une autorité juridique manifestement douteuse. Que les législateurs et les universitaires ne parviennent même pas à s'accorder sur la question de savoir si le président a enfreint la loi ou non suggère le caractère irresponsable de ses actions en matière de procédures juridiques liées à la guerre. Et malgré les fanfaronnades de Trump affirmant avoir "complètement et totalement anéanti" le programme nucléaire iranien, les rapports de ses propres agences du renseignement suggèrent que ce programme n'a été retardé que de quelques mois. Apparemment agacé par cette réalité, le secrétaire à la Guerre Pete Hegseth a licencié le lieutenant-général Jeffrey Kruse, chef de l'Agence du renseignement de la défense américaine qui a rendu compte des frappes aériennes infructueuses.
Neuvièmement, il a retiré les États-Unis d'organismes internationaux essentiels, notamment l' Organisation mondiale de la santé et l' UNESCO, ainsi que d'organisations moins connues comme la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance ( ECRI) du Conseil de l'Europe, qui travaille avec 46 gouvernements européens et organisations de la société civile de toute la région pour lutter contre la discrimination. Ce dernier point me touche personnellement. De 2022 à 2025, j'ai été nommé "expert indépendant" par les États-Unis auprès de cette commission et j'ai assisté à ses réunions à Strasbourg, en France. Ma nomination a été approuvée par le secrétaire d'État de l'époque, Antony Blinken, et par le Conseil de l'Europe. En janvier, j'ai appris que les États-Unis allaient se retirer de la Commission en tant qu'"observateur", car l'ECRI ne correspond pas aux valeurs de la nouvelle administration. Malheureusement, cette information s'est avérée exacte.
Dixièmement, il est complice du génocide et de la famine en cours à Gaza. Si ses affirmations selon lesquelles il mettrait fin à sept guerres sont pour le moins douteuses, il n'a rien fait de tel dans l'unique conflit où il aurait pu intervenir de manière décisive. Son alliance incongrue avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s'est traduite par une myriade de déclarations exprimant sa préoccupation concernant la famine et les dizaines de milliers de morts à Gaza, ainsi que par un approvisionnement sans fin en armes pour Israël. Son indifférence à la souffrance du peuple de Gaza n'a fait qu'empirer avec son inquiétant désir de nettoyer la région des Palestiniens pour y développer ce qu'il qualifie de " Riviera du Moyen-Orient".
Et je ne mentionnerai même pas la "pathétique" campagne du président Trump en vue d'obtenir le prix Nobel de la paix parmi les raisons pour lesquelles il ne devrait pas l'obtenir. C'est presque évident. Cela me rappelle la blague du comédien Steven Wright : "Je tuerais pour obtenir le prix Nobel de la paix". Impossible d'imaginer Nelson Mandela, Jimmy Carter ou Martin Luther King Jr. appeler des responsables norvégiens pour les supplier de leur décerner le prix, comme l'a fait Trump récemment, ou utiliser sa tribune à l'ONU pour affirmer à tort que "tout le monde dit que je devrais recevoir le prix Nobel de la paix". Cette affirmation absurde survient d'ailleurs quelques semaines seulement après des frappes militaires illégales dans les eaux internationales des Caraïbes ayant causé la mort de plusieurs personnes, sans procédure régulière ni recours juridique, sans parler du changement de nom du ministère de la Défense en ministère de la Guerre. "Tout le monde", bien sûr, signifie presque personne. Un sondage Washington Post-Ipsos a révélé que 76 % des Américains estiment qu'il ne mérite pas ce prix, dont 49 % des Républicains.
Je ne comprends pas pourquoi l'ancienne secrétaire d'État Hilary Clinton déclare avec désinvolture qu'elle nommera Trump pour ce prix, deux fois destitué, condamné pour 34 chefs d'accusation et reconnu coupable d'abus sexuels, s'il parvient à instaurer un cessez-le-feu dans la guerre en Ukraine. À présent, il est clair que Trump ne s'intéresse pas à la souveraineté de l'Ukraine qu'il a dénigrée à plusieurs reprises, tout en se montrant trop disposé à faire des concessions à l'agresseur universellement reconnu dans ce conflit, le président russe Vladimir Poutine. Mais même s'il devait contribuer à négocier un accord de paix équitable, que le monde entier souhaite voir aboutir le plus rapidement possible, cela n'excuse en rien son comportement et son programme autocratiques globaux.
Note à Trump : le prix se mérite
Ses velléités autoritaires de remodeler les États-Unis et de dénigrer toutes leurs institutions gouvernementales, sociales, financières et culturelles constituent en soi une menace pour la paix. Il continue d'attaquer la liberté de la presse, de menacer les universités, de faire fi des décisions judiciaires, d'abuser du principe même de la séparation des pouvoirs et de chercher ouvertement à truquer les élections en sa faveur. Oublions pour l'instant le fascisme, l' autoritarisme, le patrimonialisme, la représaille, le fanatisme, la corruption, la cupidité, la malhonnêteté et l' incompétence. Le trait de caractère le plus disqualifiant est sans doute sa cruauté. Sa soif de vengeance et de pouvoir a engendré une malveillance et une souffrance indescriptibles pour les immigrants sans papiers, les familles LGBTQ+, les fonctionnaires fédéraux, les étudiants étrangers et tous ceux qui lui ont tenu tête.
Trump est probablement le président le plus immoral, mesquin et vindicatif de l'histoire des États-Unis. La compassion et l'empathie ne font tout simplement pas partie de son caractère ni de sa personnalité. Après tout, lors de la cérémonie commémorative en l'honneur de Charlie Kirk, assassiné, alors que sa veuve, Erika Kirk, appelait au pardon et déclarait que "la réponse à la haine n'est pas la haine", Trump a déclaré :
"Je déteste mes adversaires et je ne leur souhaite pas le meilleur".
Le prix Nobel de la paix est décerné à toute personne ayant
"le plus ou le mieux contribué à promouvoir la fraternité entre les nations, à abolir ou à réduire les armées régulières et à créer ou à promouvoir des congrès pour la paix".
Or, il ne répond à aucun de ces critères.
Laissons Trump continuer à se plaindre et à jouer les victimes, tout en affichant sa doctrine d'intimidation, de corruption et de collusion avec les régimes autoritaires. Dans un avenir proche, l'histoire documentera et condamnera largement les outrages et l'inhumanité de l'ère Trump, avec le même mépris et la même consternation aujourd'hui réservés aux temps de l'esclavage et de la ségrégation, ou aux années McCarthy. Espérons que le prix Nobel de la paix ne devienne jamais une autre de ces institutions que Trump n'a de cesse de déshonorer et de dévaloriser.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Clarence Lusane est professeur de sciences politiques et directeur du programme et des majeures en affaires internationales à l'université Howard, ainsi qu'expert indépendant auprès de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance. Son dernier ouvrage s'intitule Twenty Dollars and Change: Harriet Tubman and the Ongoing Fight for Racial Justice and Democracy (City Lights).