par Thierry Meyssan
Le gouvernement de coalition de Benyamin Netanyahou a pris le contrôle de TikTok et prévoit de contrôler aussi le réseau social X. Cependant la propagande de l'État d'Israël échappe depuis longtemps à ses citoyens. Son but n'a jamais été discuté publiquement. Un petit groupe décide seul de ses messages sans tenir compte de ce qui serait utile aux Israéliens - comme par exemple lutter contre l'antisémitisme. Les moyens de l'État ont été captés par les seuls « sionistes révisionnistes », alors même qu'ils sont ultra-minoritaires.
Natan Sharansky
La propagande israélienne (הַסְבָּרָה - hasbara) a rarement été une fonction des gouvernements israéliens, mais une opération d'associations partiellement financées par eux. Ces associations, qui ont leurs propres idéologies, ne rendent aucun compte de leurs actes devant le peuple israélien, mais exclusivement à leurs sponsors, dont les gouvernements de Tel-Aviv. L'autoproclamée « plus grande démocratie du Moyen-Orient » finance ainsi des opérations profondément anti-démocratiques à l'insu de ses citoyens.
L'instabilité chronique d'Israël, depuis sa fondation, et l'habitude de désigner les directeurs centraux des ministères selon des critères politiques et non de compétence ont brouillé le message d'Israël. Plusieurs pouvoirs concurrents délivrent des messages différents [1]. En définitive, une autorité a été créée pour la « diplomatie publique » (la propagande). Elle est devenue particulièrement secrète.
Avant la fondation d'Israël, le terme hasbara désignait, pour la diaspora, le fait d'expliquer une position. Mais avec le temps, il est devenu synonyme de « propagande ».
En 1974, à l'issue de la guerre du Yom Kippour, le Premier ministre Yitzhak Rabin créa un ministère de l'Information qu'il confia au général Aharon Yariv [2]. Mais celui-ci démissionna sept mois plus tard et se consacra à la création d'un prestigieux think tank, le Centre Jaffee d'études stratégiques. Il fallu attendre 2006 pour que soit à nouveau créé un « ministère des Affaires stratégiques et de la hasbara » (aujourd'hui ministère des affaires stratégiques et de la diplomatie publique ; un ministère qui ne dispose pas de site Internet et ne communique pas, mais qui est devenu célèbre, en 2015 avec sa campagne contre « les phénomènes de délégitimation et les boycotts contre Israël », c'est-à-dire le mouvement de « Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions » (BDS). Ce ministère discret a créé sa propre ארגון לא ממשלתי המאורגן על ידי הממשלה (organisation non-gouvernementale organisée par le gouvernement) (sic), le Kela Shlomo (La fronde de Salomon) (devenu Concert, puis Voices of Israel) dirigée par le colonel Yossi Kuperwasser, les ambassadeurs Dore Gold et Ron Prosor et la brigadière Sima Vaknin Gill, ancienne directrice de la censure militaire. Diverses sociétés (Black Cube, Psy-Group et Cyber Shield [3]) ont espionné les militants du BDS pour le compte de Kela Shlomo [4].
Dans les dernières années, environ 200 millions de dollars annuels, soit les quatre cinquièmes du budget du ministère des Affaires stratégiques et de la Diplomatie publique, ont été versés à l'Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP). Ron Dermer, l'actuel ministre depuis 2022, fut le conseiller de Natan Sharansky et le rédacteur de son livre, The Case For Democracy : The Power of Freedom to Overcome Tyranny and Terror (Plaidoyer en faveur de la démocratie : le pouvoir de la liberté pour vaincre la tyrannie et la terreur). C'est à lui que fut confié, fin 2023, par Benyamin Netanyahou, un plan visant à réduire au minimum la population palestinienne de Gaza [5].
Précisément, Sharansky est le président de l'ISGAP. C'est un sioniste révisionniste ukrainien ; un disciple de l'autre Ukrainien, Vladimir Jabotinsky. Il a joué un rôle central dans la lutte contre la Russie à l'époque de l'URSS. Il fut la principale référence des straussiens du sénateur Henry M. Jackson, émigra aux États-Unis, fut décoré de la médaille du Congrès par Ronald Reagan, devint ministre du général Ariel Sharon. Il a créé, en 2001, One Jerusalem, l'association qui milite pour faire reconnaitre Jérusalem comme la capitale du seul « l'État juif » (et pas celle de l'État palestinien). Il dirige aujourd'hui l'ISGAP et, à ce titre, supervise la quasi-totalité de la hasbara.
La hasbara a gagné quantité de combats. Le dernier en date pour l'ISGAP étant la campagne d'auditions de recteurs d'universités par le Congrès états-unien, aboutissant à plusieurs démissions et à des sanctions contre les association pro-palestiniennes.
Cependant, on ne peut qu'être surpris par l'inefficacité de leurs campagnes internationales contre l'antisémitisme. Quatre-vingts ans après la fondation de l'État d'Israël, non seulement le problème n'a pas été résolu, mais il a empiré [6]. Pendant ce temps, le machisme, l'homophobie et le racisme ont considérablement reculés. Force est d'envisager que l'antisémitisme est un moyen de pression des autorités israéliennes sur leur propre population. Souvenons-nous que les sionistes révisionnistes ont utilisé l'antisémitisme pour faire avancer leur cause dans la diaspora.
Lors de sa conférence au consulat général d'Israël à New York, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a révélé que son pays ambitionnait de contrôler les moins de trente cinq ans via les réseaux sociaux [7].
Selon YNetGlobal, il a lancé une campagne pour prendre le contrôle des réseaux sociaux et influencer les moins de 25 ans, « Project 545 » [8]. Elle a été confiée à Havas Media Network, la société de Yannick Bolloré (fils de Vincent Bolloré et époux de Chloé Bouygues. Celle-ci a confié à Clock Tower X LLC un contrat de $6 millions de dollars pour « fournir des services de communication stratégique, de planification et de médias à l'appui de l'engagement de Havas par l'État d'Israël à développer et à exécuter une campagne nationale aux États-Unis pour lutter contre l'antisémitisme ». Clock Tower est la société créée par Brad Parscale après qu'il a quitté l'équipe de campagne de Donald Trump.
Selon un sondage réalisé pour Israël aux États-Unis, 47 % de la population pense que les FDI sont en train de commettre un génocide.
L'idée principale du gouvernement israélien est d'influer sur les réponses des intelligences artificielles en créant quantité de comptes sur les réseaux sociaux qui fourniront le narratif dont ChatGPT et ses rivaux se nourriront.
« Project 545 » est le nom de code de cette opération, financée, pour 2025, à hauteur de 545 millions de shekels, soit 145 millions de dollars. Elle a mis fin au contrat d'Israël avec SKDKnickerbocker, la firme de communication liée au parti démocrate des États-Unis.
Selon Responsible Statecraft, le réseau d'influenceurs auquel Benyamin Netanyahou a fait allusion, lors de son intervention au consulat général d'Israël à New York, aurait été formé par Bridges Partners, la société de Yair Levi et d'Uri Steinberg. La campagne, intitulée Esther Project, a déjà coûté 900 000 dollars. 14 à 18 influenceurs sont censés avoir publié 75 à 90 posts sur cette période. Les frais sont payés par le ministère des Affaires étrangères israélien.
Trois des influenceurs ont été identifiés. Il s'agit
- de Lizzy Savetsky, une éminente défenseure en ligne d'Israël depuis le début de la guerre ;
- de l'homme d'affaires Ari Ackerman, petit-fils du magnat israélo-états-unien Meshulam Riklis ;
- et du créateur numérique Zach Sage Fox.
Uri Steinberg, quant à lui, est un ancien haut fonctionnaire du ministère israélien du Tourisme. Il travaille au sein de l'Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP) de Natan Sharansky.
Un document fiscal permet d'évaluer les frais généraux de Bridge Partners [9].
La journaliste Candace Owens - qui a relayé les révélation de Xavier Poussard sur l'identité réelle de Brigitte Macron - a publié des captures d'écran de Charlie Kirk attestant que ses financements avaient été coupés et qu'il avait été menacé deux jours avant d'être assassiné [10]. Or Charlie Kirk venait de prendre position contre les massacres à Gaza.
Lors de son intervention à New York, Benyamin Netanyahou avait déclaré : « L'achat le plus important en cours est (...) TikTok. Numéro un. Et j'espère que ça passera parce qu'il peut être conséquent. Et l'autre ? X. Nous devons parler à Elon [Musk]. Ce n'est pas un ennemi, c'est un ami. Nous devrions lui parler. Maintenant, si nous pouvons obtenir ces deux choses, nous obtiendrons beaucoup. Nous devons nous battre dans la lutte, donner des directives au peuple juif et donner des directives à nos amis non juifs. »
La milliardaire Safra Catz est devenue la vice-présidente exécutive d'Oracle, la société de Larry Ellison, lorsqu'elle a racheté 45 % du réseau social TikTok, le 25 septembre. À cette occasion, elle a déclaré : « Nous devons intégrer l'amour et le respect d'Israël dans la culture américaine ». Oracle stockera les données des utilisateurs états-uniens de TikTok sur ses ordinateurs cloud.
Simultanément, le ministère des Affaires étrangères israélien vient de créer la société Show Faith by Work qu'il a fait enregistrer comme agent d'influence étranger aux États-Unis [11]. Il s'agit cette fois de diffuser la version officielle de l'attaque du 7 octobre et des messages contre l'existence d'un État palestinien à l'ensemble des chrétiens sionistes états-uniens. Un budget de 3,2 millions de dollars a été prévu, incluant la location d'une caravane qui permettra de projeter des films de propagande durant les rassemblements chrétiens.
[1] « Public diplomacy in army boots : the chronic failure of Israel's Hasbara », Gal Hadari & Asaf Turgeman, Hasbara, Israel Affairs, 24:3, 482-499 (2018), DOI : 10.1080/13537121.2018.1455374.[2] Israel's Public Diplomacy. The Problems of Hasbara, 1966-1975, Jonathan Cumming, Rowman & Littelfield (2016).
[3] « Spying on Linda Sarsour : Israeli Firm Compiled BDS Dossier for Adelson-funded U.S. Group Battling Her Campus Appearances », Uri Blau, Haaretz, May 28, 2018.
[4] « BDS is a dirty business. Those who battle it on Israel's behalf must stay clean », David Horovitz, The Times of Israel, June 17, 2018.
[5] « Netanyahu's Goal for Gaza : "Thin" Population "to a Minimum" », Ryan Grim, The Intercept, December 3, 2023.
[6] Acting Propaganda : Viewpoints from Israel, Ron Schleifer & Jessica Snapper, Sussex Aacademic Press (2015).
[7] « @MiddleEastEye », X, September 27, 2025.
[8] « Report : Israel to spend over half a billion shekels turning ChatGPT into public diplomacy tool », Daniel Edelson & Raphael Kahan, YNetGlobal, October 6, 2025.
[9] « NSD/FARA Registration Unit », September 26, 2025.
[10] « Turning Point USA responds : Yes, The Text Messages Are Real » Candace Owens Ep 249, YouTube, October 7, 2025.
[11] « Israel wants to hire Chris Pratt and Steph Curr », Nick Cleveland-Stout, Responsible Statecraft, October 07, 2025.