17/10/2025 ssofidelis.substack.com  14min #293713

Blanchiment de l'exploration gazière à Gaza après le génocide

Le 5 décembre 2024, le secrétaire d'État Antony J. Blinken rencontre le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa'ar à Attard, à Malte. (Photo officielle du département d'État © Chuck Kennedy). Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Par  Dan Steinbock, le 17 octobre 2025

Au beau milieu de sa campagne de bombardements meurtriers, Israël a accordé des licences d'exploration gazière au large de la bande de Gaza, territoire ne relevant pas de sa souveraineté. Le cessez-le-feu sert donc de paravent pour faire oublier la lutte pour les réserves de gaz.

En décembre 2022, le ministère israélien de l'Énergie a lancé le quatrième cycle d'appels d'offres offshore proposant de nouvelles licences d'exploration.

Un an plus tard, il a accordé des concessions à plusieurs entreprises israéliennes et internationales : Eni (Italie), Dana Petroleum (Royaume-Uni, filiale d'une entreprise sud-coréenne) et Ratio Petroleum (Israël).

Or, ces appels d'offres ont violé le droit international.

Des appels d'offres offshore illégaux en pleine opération de dévastation massive de Gaza

Quelques mois plus tard, en juin 2023, après des années de négociations au point mort, Israël a approuvé l'exploitation du champ de Gaza Marine, dont la direction des activités d'extraction a été confiée à la société publique égyptienne EGAS (Egyptian Natural Gas Holding Company), en coopération avec l'Autorité palestinienne. Néanmoins, Israël a stipulé que le Hamas ne doit surtout pas en tirer de quelconques revenus financiers

Le 5 décembre 2024, le secrétaire d'État Antony J. Blinken rencontre le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa'ar à Attard, à Malte. (Photo officielle du département d'État © Chuck Kennedy). Domaine public. Source :  commons.wikimedia.org.

Ironiquement, pendant des années, c'est le Premier ministre Netanyahu qui a veillé, dans sa stratégie de gestion de la bande de Gaza, à ce que le Hamas bénéficie de plusieurs millions de dollars versés par des intermédiaires. Cette stratégie hypocrite se servait du Hamas pour affaiblir l'Autorité palestinienne, maintenir Gaza sous contrôle et, en fin de compte, permettre à Israël de récolter les bénéfices de l'exploitation du gaz.

Toutefois, l'exploration ou la production active de gaz n'a pas pu commencer en raison des tensions persistantes dans et autour de la bande de Gaza, qui ont compromis les investissements et le développement des infrastructures. Cette impasse a nui à la médiation de l'Égypte et à sa quête de stabilité énergétique régionale.

Une semaine après le 7 octobre 2023, alors qu'Israël lançait son offensive terrestre à Gaza,  le ministre de l'Énergie, Israel Katz, a déclaré sur X :

"L'ensemble de la population civile de Gaza a reçu l'ordre de partir immédiatement. Nous vaincrons. Ils ne recevront pas une goutte d'eau ni d'électricité tant qu'ils n'auront pas quitté les lieux".

Mais l'allié de longue date de Netanyahu au Likoud a joué un autre rôle tout aussi destructeur. Le 29 octobre 2023, son ministère a accordé des licences d'exploration à des entreprises, en violation du droit international.

Deux jours seulement après le début de l'invasion à grande échelle de Gaza par l'armée israélienne.

Les groupes de défense des droits des Palestiniens protestent contre ces accords

Katz est accusé d'avoir délibérément et directement contribué au génocide des Palestiniens à Gaza, crime pour lequel il  pourrait être inculpé dans l'affaire de génocide devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), avec le Premier ministre Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. Katz est directement responsable de la famine utilisée comme arme de guerre, facilitant ainsi le génocide.

Début 2024, alors que la procédure judiciaire engagée par l'Afrique du Sud contre Israël pour génocide était en cours, plusieurs groupes palestiniens de défense des droits humains ont contesté la décision du ministère israélien de l'Énergie.

Basée à Haïfa et à Beersheba, l'ONG Adalah a exigé qu'Israël annule les appels d'offres qui violent le droit international. À leur tour, Al Mezan, Al-Haq et le Centre palestinien pour les droits de l'homme (PCHR) ont appelé les entreprises agréées à s'abstenir de participer au pillage des ressources naturelles souveraines du peuple palestinien.

Un cabinet d'avocats représentant ces groupes a envoyé un avertissement à la société publique italienne ENI, l'enjoignant d'éviter d'exploiter les gisements de gaz dans une zone appelée « Zone G ». Selon eux, environ  62 % de cette zone se situent dans les eaux territoriales revendiquées par la Palestine. Par conséquent,

"Israël ne peut légalement vous accorder de titre d'exploration, et vous ne pourrez légalement en obtenir aucun".

Pendant six mois, ces appels sont restés sans réponse de la part d'Israël et des États-Unis, son principal pourvoyeur de matériel militaire et de fonds. La situation a toutefois évolué en août 2025, lorsque le PCHR a publié un rapport concluant qu'Israël commet un génocide à Gaza.

La ruée vers l'exploration gazière à Gaza

Alors que les pourparlers de cessez-le-feu s'intensifiaient et que des magnats de l'immobilier, tels que Jared Kushner et Steve Witkoff, prenaient progressivement le contrôle des négociations en se servant de Tony Blair et de son image publique, le département d'État américain a sanctionné trois ONG palestiniennes de défense des droits humains pour avoir

" directement participé aux enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI) visant à arrêter, détenir ou poursuivre des ressortissants israéliens, sans l'accord d'Israël".

Le secrétaire d'État, Marco Rubio, a ajouté que

"les États-Unis poursuivront leur engagement en faveur de mesures significatives et tangibles pour protéger nos forces armées, notre souveraineté et nos alliés contre ces abus de la CPI qui méprisent la souveraineté, et punir les entités complices de ces agissements".

L'administration Trump a déjà sanctionné la CPI en réponse à son enquête et à ses mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, pour des crimes de guerre commis à Gaza.

Marco Rubio s'est rendu en Israël début 2025, soit six mois avant les sanctions contre les ONG palestiniennes.

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La répression des droits humains des Palestiniens est le dénominateur commun entre l'administration Trump, qui a lancé en janvier sa campagne de  répression interne contre les Palestiniens, et le cabinet Netanyahu, qui a initié, quelques semaines plus tard, une offensive contre  les principales organisations israéliennes de défense des droits humains.

Cependant, le moment choisi par Rubio a coïncidé avec les opérations de neutralisation des contestations juridiques potentielles à la suite du cessez-le-feu, alors que les explorations offshore allaient débuter. De plus, les trois ONG palestiniennes (Al Haq, Al Mezan et le PCHR) sont justement celles qui, en février 2024, se sont opposées aux licences d'exploration gazière israéliennes au large de Gaza.

Il ne s'agissait pas seulement des organisations de défense des droits humains appréciées pour leur expertise qui ont contribué à la lutte pour les droits humains au Moyen-Orient aux côtés de la CPI et d'autres organisations internationales. Elles étaient également susceptibles de protester haut et fort au niveau international si les droits énergétiques des Palestiniens venaient à être bafoués.

Tout comme Israël a expulsé Al Jazeera et d'autres grands organes de presse de Gaza pour contrôler la couverture médiatique des événements, en soumettant les principaux réseaux d'information occidentaux à sa censure militaire, il vise ces organisations de défense des droits humains pour minimiser la publicité négative autour de l'exploration gazière.

Les administrations américaines et le (ou les) rôle(s) de Blair à Gaza

Alors que le cessez-le-feu négocié par les États-Unis s'installe à Gaza, l'administration Trump poursuit la mise en œuvre de son plan de paix, qui repose sur les opportunités de développement des infrastructures et de l'immobilier post-génocide. Tony  Blair est le visage public de ce projet, Jared Kushner le coordinateur et la Maison Blanche de Trump le concepteur.

Mais l'autre aspect de ce plan concerne le gaz et les stratégies déployées depuis deux décennies par l'ancien Premier ministre britannique pour tirer profit d'accords prometteurs par l'intermédiaire de son Tony Blair Institute for Global Change (TBI), qui emploie plus de 900 personnes pour promouvoir ses idées dans pas moins de 45 pays.

En tant que Premier ministre, Blair s'est fortement impliqué au Moyen-Orient, notamment dans la guerre qu'a menée l'administration Bush Jr contre l'Irak en 2003. Invoquant de fausses allégations sur les armes de destruction massive irakiennes, il a entraîné le Royaume-Uni dans une guerre qui a tué des centaines de milliers d'Irakiens, lui valant une réputation de criminel de guerre. Ironiquement, à Gaza, il devrait superviser le « Conseil de la paix ».

Serrant la main de Bush après leur conférence de presse dans la salle Est de la Maison Blanche, en novembre 2004, plus d'un an après la guerre en Irak, malavisée et mal présentée.

Marco Rubio en Israël du 15 au 17 février 2025. Ambassade des États-Unis à Jérusalem. Publié sous une licence Creative Commons Attribution 2.0 Générique. Source :  commons.wikimedia.org.

Blair aimait vanter son succès de 2009 au Moyen-Orient lorsqu'il a obtenu d'Israël des fréquences pour permettre la création d'un deuxième opérateur de téléphonie mobile palestinien (tout en permettant à JP Morgan de réaliser d'énormes profits). Ce qu'il a omis de mentionner, c'est qu'Israël a libéré ces fréquences en échange d'un accord avec les dirigeants palestiniens pour qu'ils abandonnent toute poursuite devant l'ONU des  crimes de guerre commis par Israël pendant l'opération Cast Lead à Gaza.

Cet épisode, survenu en 2008-2009, a servi de prélude et de  test grandeur nature à la doctrine d'extermination menant au génocide de Gaza, survenu à peine deux décennies plus tard.

Faire de Gaza la terre promise du capitalisme américain

Lorsque Blair a quitté Downing Street, il s'est d'abord engagé dans des activités commerciales lucratives et philanthropiques prestigieuses, conseillant notamment le géant financier américain JP Morgan pour  1 million de dollars par an,  Zurich Insurance pour un salaire à six chiffres, ainsi que PetroSaudi sur sa stratégie d'implantation en Chine (pour une  commission de 2 %), tout en occupant le poste d'envoyé spécial pour la paix au Moyen-Orient pour le Quartet composé des États-Unis, de l'ONU, de l'UE et de la Russie.

Alors que se brouillaient les lignes entre conseil, salaires et politique, Blair a regroupé en 2017 ses activités, notamment sa Faith Foundation, sa Sports Foundation, sa Governance Initiative et Tony Blair Associates, au sein de son Institute for Global Change.

Selon Blair, le degré d'incertitude sans précédent de notre époque ne peut être géré que par deux types de politiciens : les " créateurs de réalité et les gestionnaires de réalité". Il se classe lui-même parmi les "créateurs de réalité". Gérer ne l'intéresse pas. Dominer, en revanche, oui. La clé du succès et du profit.

Son institut est une copie conforme de la Fondation Clinton, une autre structure tout aussi controversée, initialement présentée comme une entreprise quasi philanthropique, mais accusée d'être une usine à profits astucieuse exploitant  les pays les plus pauvres et déchirés par les conflits.

En 2022, l'institut de Blair a réalisé plus de 145 millions de dollars de revenus. Les détracteurs qualifient le TBI de société de lobbying financée par des milliardaires et des États, dont le bilan en matière de droits humains est pour le moins controversé, et dont l'approche globale est dictée par les intérêts néolibéraux des entreprises. Et Gaza ne fait pas exception.

En juillet, les membres de l'institut auraient participé à une réunion controversée au cours de laquelle les plans d'après-guerre pour Gaza ont été dévoilés dans une présentation

"dirigée par des hommes d'affaires israéliens à l'aide de méthodes financières élaborées par le Boston Consulting Group (BCG) pour transformer Gaza en un  pôle commercial florissant".

Le projet "Great Trust" prévoit notamment la construction d'une "Trump Riviera" et d'une "Elon Musk Smart Manufacturing Zone", ainsi qu'une proposition destinée à payer "un demi-million" de Palestiniens pour qu'ils quittent Gaza, afin d'attirer des investisseurs immobiliers dans la région.

La technologie, atout majeur

L'autre facette du TBI est son grand intérêt pour la technologie, vraisemblablement dans le but de réduire les coûts du secteur public et d'en améliorer les performances. Ces projets sont financés par des programmes indirects,  grâce à l'un des plus grands donateurs du TBI, Larry Ellison. Ce dernier est le cofondateur de la société technologique mondiale Oracle, dont la capitalisation boursière s'élève à 825 milliards de dollars. Il a investi dans l'administration Trump et financé le secrétaire d'État, Marco Rubio. Selon certaines informations, Ellison aurait fait don ou aurait promis  300 millions de dollars à l'institut de Blair.

La numérisation des systèmes de santé et d'autres activités du secteur public est l'un des projets phares de Blair, et c'est peut-être celui qu'il pourrait promouvoir à Gaza. Cet intérêt semble remonter au début des années 2020, lorsque Oracle a racheté la société informatique Cerner, spécialisée dans le secteur de la santé, pour 28 milliards de dollars.

D'origine juive laïque, Ellison entretient  des liens de longue date avec Israël. Depuis 2017, avec la première administration Trump et ses champions messianiques d'Israël, il a multiplié les dons à des causes militantes, notamment 16,6 millions de dollars aux Amis des Forces de défense israéliennes et à des fouilles archéologiques controversées dans la partie arabe de Jérusalem-Est. En 2019,  un procès d'un milliard de dollars a été intenté contre plusieurs protagonistes pro-israéliens, dont Ellison, pour avoir conspiré en vue de procéder à un nettoyage ethnique des Palestiniens des territoires occupés par Israël, pour avoir commis des crimes de guerre et financé un génocide. En 2021, Ellison, qui a précédemment accueilli Netanyahu sur son île hawaïenne, a offert  un poste chez Oracle à l'Israélien, tout en cherchant à le protéger contre des accusations de corruption.

Récemment, son fils, David, a étendu son contrôle au studio hollywoodien et à l'ancienne grande chaîne CBS News, tout en nommant Bari Weiss, qui se décrit comme une « fanatique sioniste », au poste de rédactrice en chef. Il aurait également participé à un complot du gouvernement israélien visant à  surveiller et réprimer les militants pro-palestiniens aux États-Unis, notamment les citoyens américains participant au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Voilà les bienfaiteurs qui soutiennent l'Institut Tony Blair et son rôle de promoteur de la paix et du développement à Gaza.

Encore du déjà-vu ?

Les tentatives de développement du gisement de gaz naturel de Gaza Marine ont été freinées pendant près de trois décennies, mais le processus s'accélère avec les perspectives de cessez-le-feu.

Indépendamment de leurs mandats officiels, les "créateurs de réalité" déjà présents dans la région, comme les promoteurs immobiliers Jared Kushner et Steve Witkoff ou l'intermédiaire politique Tony Blair, semblent prêts, grâce à leurs fonctions, à tirer profit des opportunités futures à Gaza.

Jarod Kushner (à gauche), homme d'affaires et gendre de Trump, et Steve Witkoff (à droite), magnat de l'immobiliser et envoyé spécial de Trump. Les mêmes sur la photo de droite, au Mur des Lamentations

Après deux longues années de saccage des infrastructures et d'atrocités génocidaires perpétrées à Gaza, la bande de Gaza fait face à un écocide.

Confronté aux risques éthiques et aux intérêts divergents, Blair sera chargé de superviser une "zone économique spéciale" exemptée de conflits armés et en pleine expansion, où les capitaux étrangers pourront circuler librement, sous la supervision de son "Conseil de paix" international.

Ce protectorat quasi colonial s'engage résolument en faveur d'une "Palestine réformée" où les Palestiniens n'auront, une fois encore, que trop peu ou pas voix au chapitre.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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