Gabrielle Lefèvre
Manifestation contre le gouvernement de l'Arizona en Belgique à Bruxelles le 14 octobre 2025 (AFP)
La Belgique, siège de l'OTAN et de l'Union européenne, occupe une position stratégique dans la recomposition géopolitique actuelle. Petite de taille, sans ressources naturelles, elle est le résultat de conflits entre grandes puissances, de croisement des échanges commerciaux, intellectuels, artistiques et de migrations nombreuses.
Les gouvernements d'après-guerre avaient privilégié l'accroissement des échanges économiques, la sécurité sociale, le développement de la société en puisant dans les ressources honteuses produites par l'exploitation de notre colonie africaine, le Congo. La politique de défense était simple : on n'investit pas trop dans ce secteur, de toute façon nous sommes protégés par l'OTAN et nous avons une tradition de bons négociateurs entre puissances en conflit.
C'était sans compter sur le plan états-unien de redéfinir les frontières de son empire, d'affaiblir l'Europe en la dissociant économiquement et politiquement de la Russie, au prix d'une guerre en Ukraine, afin d'affronter la super puissance montante : la Chine.

Theo Francken : on a dépensé un milliard d'euros en munitions dans le cadre de mon « Ammunition Readiness Plan »
Et cela donne la réforme du « plan Star » dans le cadre de la « Vision Stratégique Défense 2025 », adoptée le 18 juillet 2025 par le Conseil des ministres, portant sur la somme astronomique de 139 milliards d'euros de 2026 à 2034 ! Il s'agit d'un complet revirement de notre politique étrangère et de défense, obtenu par le ministre de la Défense Theo Francken, NVA tendance extrême-droite affirmée. Il affirme que la menace russe est imminente, qu'il faut se réarmer au plus vite et cela dans le cadre contraignant de l'OTAN afin que les États-Unis puissent consacrer leurs efforts sur le Pacifique. Theo Francken détaille tout cela dans le plan budgétaire pour la défense intitulé «Contribution stratégique à la paix par la Force » adopté le 11 avril 2025 par le gouvernement. Ce plan porte l'effort de défense de notre pays à 2 % du PIB dès 2025 jusqu'en 2033 et à 2,5% en 2034. (1)
La nouvelle Vision stratégique décrit « l'évolution des capacités dans les cinq domaines définis dans la première Vision stratégique de 2016, à savoir Intelligence-CyberInformation, Terre, Air, Mer, Commandement et Soutien opérationnel. » (2)
Dans ce cadre, le Conseil des ministres a « reconfirmé que 5% des moyens supplémentaires pour la Défense peuvent être utilisés pour la sécurité intérieure et la résilience, pour autant que ces moyens puissent être imputés à l'OTAN selon la norme actuelle. Cela comprend notamment 50 millions d'euros pour les fonds fiduciaires de l'OTAN ». Il a aussi décidé de « définir le budget pour la DIRS (Defence Industry and Research Strategy) dans le projet de loi concernant la programmation militaire, comme étant 3% du budget de la Défense, augmenté de 30 millions d'euros. Un tiers du budget DIRS sera consacré à des projets militaires ou à double usage dans les domaines spatial et cyber, expressément à condition qu'ils soient comptabilisables dans les normes actuelles de l'OTAN. » Enfin, on prévoit « 15 DOS (Days of Supply) d'ici 2032, sous réserve de prix rationnels, de l'acquisition des différents systèmes d'armement et de l'évolution de l'infrastructure. »
La farce coûteuse des F-35
Le même conseil des ministres a pris acte que « l'acquisition de 10 avions de combat F-35 supplémentaires prévus par les objectifs capacitaires 2025 de l'OTAN sera réévaluée lors de la prochaine révision de la Vision stratégique ». Le ministre Francken a assuré que la décision était déjà prise d'acheter 11 avions en plus des 34 déjà commandés, dont coût supplémentaire : plus de 1,5 milliard d'euros. Seuls 3 avions sont arrivés à se poser en fanfare sur le sol belge, lundi passé. Le quatrième F-35 souffre d'un des innombrables problèmes techniques dénoncés depuis des années par les opposants à cet engin très sophistiqué et donc fragile, dont le pilotage dépend des autorisations américaines et dont l'entretien suppose des coûts supplémentaires exorbitants.
Avions légendaires : Article du 17 octobre 2025
Le PTB résume fort bien l'opposition de très nombreux Belges à cette dépense colossale faite au détriment de la société belge : « Le coût total de ces avions est encore bien plus élevé que leur prix d'achat. En effet, il faut encore payer pour les formations, l'entretien, les pièces de rechange, les mises à jour... En 2016, l'armée a calculé que ce « life cycle cost » (coût du cycle de vie) est près de quatre fois plus élevé que le prix d'achat. On peut donc s'attendre à une dépense de 6 milliards d'euros pour toute la durée de vie des F-35, qui sont conçus pour totaliser 8 000 heures de vol par avion. Pour certains experts, il s'agit du ' programme d'armement le plus coûteux de l'histoire ' ». Le PTB souligne aussi que ce type d'avion ne sert pas à la défense d'un pays mais est avant tout une arme offensive. Ainsi, Israël, premier pays à recevoir le F-35 après les États-Unis, a utilisé l'appareil pour des attaques en Syrie, au Liban, au Yémen et en Iran. Dans sa « Vision Stratégique Défense 2025 », le ministre Francken explique qu'il entend bien transformer l'armée belge en profondeur pour mener, toujours dans le cadre de l'Otan, des « conflits de haute intensité » ou des « wars of necessity », des guerres de nécessité, dans le monde entier. (3)
Ce qui n'est vraiment pas la tradition de notre politique belge de Défense. Et certainement pas la volonté de la population, la manifestation anti Arizona du 14 octobre l'a démontré avec force.
Nombre d'opposants à ce plan Francken de réarmement de la Belgique dans le cadre OTAN optent pour une entente entre pays européens afin d'élaborer des armes et des avions de combat produits dans les pays européens sous contrôle européen et au bénéfice d'entreprises européennes... On l'a vu, cette vision a été torpillée par l'administration Biden d'abord, Trump ensuite et la Commission dirigée par Ursula von der Leyen a plié devant des menaces de rétorsion notamment douanières. La vision française de distanciation par rapport à l'OTAN a été balayée par la volonté de pays dirigés par l'extrême-droite comme l'Allemagne et la Pologne de s'armer considérablement afin de s'intégrer plus encore dans l'OTAN, en désignant l'ennemi commun : la Russie.
On le constate dans les déclarations de divers ministres de l'actuel gouvernement belge, cette fusion entre sécurité intérieure et défense extérieure telle que vue par Theo Francken conduit à une militarisation croissante de domaines comme la gestion des frontières ou la lutte contre le terrorisme, voire contre le grand banditisme tel que celui des mafias de la drogue. Et l'on parle d'utiliser l'armée pour sécuriser nos rues, ce qui est un non-sens en terme de lutte contre les trafiquants et autres terroristes. Les militaires ne sont pas outillés pour cela. On pourrait y voir une volonté d'imposer une certaine vision de l'autorité, ce qui n'a rien de démocratique.
RTL info : Le PTB a rassemblé quelques milliers de personnes dans le centre de Bruxelles pour dénoncer les coupes dans les dépenses sociales décidées par le gouvernement fédéral et l'augmentation du budget militaire
Du côté Cyber
La politique belge de cyberdefense est étroitement imbriquée dans celle de l'Europe. La stratégie industrielle « DIRS 2.0 » est la deuxième version de la Defence, Industry and Research Strategy (DIRS) de la Belgique, qui vise à renforcer la base industrielle et technologique de défense du pays pour soutenir sa propre politique de défense et accroître l'autonomie stratégique de l'UE. Elle se concentre sur des domaines spécifiques comme la cyberdéfense et la robotique maritime, grâce à la coopération entre les entreprises, les universités et les centres de recherche.
Des usines civiles sont donc reconverties pour produire des équipements de défense, avec des garanties de transfert technologique et d'exportation. De plus, la Belgique participe activement à PESCO, REARM Europe et à l'instrument financier qu'est la mal nommée « Facilité européenne pour la paix » qui finance les forces armées ukrainiennes. (4)
Mais il semble impossible qu'une cyberdéfense puisse se faire sans l'assistance vigilante des Etats-Unis. Tout récemment, on a appris que Microsoft Belux et l'armée belge ont décidé de s'associer pour former des milliers d'employés de la Défense à l'intelligence artificielle générative et aux compétences numériques. Cela concerne les employés de la Défense - tant le personnel opérationnel que les fonctions de soutien et de gestion. Ils seront formés en plusieurs phases à l'utilisation de l'IA dans leurs tâches quotidiennes. (5)
Le projet Gaia-X européen
Là où l'Europe tente de garder une certaine indépendance c'est dans le projet Gaia-X qui vise à créer une infrastructure de données européenne indépendante des géants américains du cloud. Le règlement sur l'intelligence artificielle (AI Act), entré en vigueur en 2024, impose des contraintes strictes aux systèmes à haut risque, comme ceux de Palantir. Mais la participation de Palantir à Gaia-X, et la dépendance technologique persistante de certains États, montrent que la souveraineté numérique européenne reste fragile.
La Belgique incarne donc les dilemmes stratégiques de l'Europe : comment se défendre sans se soumettre, comment innover sans se compromettre, comment coopérer sans renoncer à sa souveraineté.
(1) Vision Stratégique - Défense 2025
(2) Mise à jour plan STAR pour la Défense : Vision stratégique 2025
(3) 5 arguments pour nous opposer au F-35 : trop cher, trop dangereux et lié à Trump
(4) Facilité européenne pour la paix
(5) Microsoft va former des milliers d'employés de la Défense belge à l'IA
Source : Entre les lignes


