
Par Jonathan Cook, le 19 octobre 2025
Les cessez-le-feu ne tiennent que parce que les deux belligérants sont dans une impasse militaire, ou parce que déposer les armes est plus bénéfique que de poursuivre les combats.
Or, rien de tout cela ne s'applique à Gaza.
Ces deux dernières années, le territoire a été le théâtre de nombreux événements. Mais une chose est sûre : ces deux années n'ont pas vu de guerre, quoi qu'en disent les politiciens et les médias occidentaux.
Le discours actuel sur le "cessez-le-feu" ne vaut pas mieux que le discours précédent sur la "guerre à Gaza".
Le cessez-le-feu n'est pas "fragile", comme on nous le répète sans cesse. Il est inexistant, à l'image des violations continues d'Israël, de ses soldats qui continuent de tirer pour tuer des civils palestiniens ou du blocage de l'aide promise.
Mais alors, que se passe-t-il vraiment ?
Pour comprendre le "cessez-le-feu" et le " plan de paix" en 20 points encore plus mensonger du président américain Donald Trump, commençons par comprendre ce que la rhétorique de "guerre" de ces derniers mois cherchait à dissimuler.
Ces 24 derniers mois, le monde a été témoin d'un événement particulièrement macabre.
Une population majoritairement civile, déjà soumise à un blocus depuis 17 ans, a été sauvagement massacrée par Israël, un puissant État militaire régional soutenu et armé par les États-Unis, la première puissance militaire mondiale.
Presque tous les bâtiments de Gaza, un camp de concentration à ciel ouvert, ont été détruits.
Les familles ont été contraintes de se réfugier dans des tentes de fortune, comme lors de l'expulsion de leurs terres, sous la menace des armes, il y a plusieurs décennies, à l'emplacement de l'actuel État d'Israël. Mais cette fois, elles sont exposées quotidiennement à un mélange toxique formé des décombres de leurs anciennes maisons et des matériaux issus des nombreuses bombes larguées sur l'enclave, dont la puissance cumulée équivaut à plusieurs fois celle de la bombe d'Hiroshima.
Une population captive a été affamée pendant des mois, dans ce qui équivalaut, au mieux, à du châtiment collectif, un crime contre l'humanité pour lequel le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, est poursuivi par la Cour pénale internationale.
Des centaines de milliers d'enfants de Gaza ont subi des traumatismes physiques et psychologiques, en plus d'une malnutrition ayant altéré leur ADN, des dégâts susceptibles d'être transmis aux générations futures.
Les hôpitaux de Gaza ont été systématiquement et méthodiquement dévastés, un par un, jusqu'à ce que l'ensemble du secteur de la santé soit vidé de sa substance, incapable de faire face à l'afflux de blessés ou à la vague croissante d'enfants souffrant de malnutrition.
Des opérations de nettoyage ethnique à grande échelle ont eu lieu, poussant des familles - ou ce qu'il en restait - à fuir les "zones de mort" pour se réfugier dans des "zones de sécurité" israéliennes, qui se sont rapidement avérées être de nouvelles zones de mort.
Alors que Trump intensifiait la pression pour conclure un cessez-le-feu, l'armée israélienne s'est livrée à une orgie de violence, détruisant méthodiquement la ville de Gaza avant l'expiration du délai imparti.
La rhétorique de "guerre de Gaza"
Rien de tout cela ne peut, ni ne doit être qualifié de guerre.
Les Nations unies, les principales organisations de défense des droits humains dans le monde, y compris l'organisation israélienne B'Tselem, et le principal organisme mondial de spécialistes du génocide conviennent que les événements survenus à Gaza répondent à la définition de génocide telle qu'énoncée dans la Convention des Nations unies sur le génocide, ratifiée par Israël, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne.
Cependant, la rhétorique d'Israël et de l'Occident sur la "guerre" a joué un rôle crucial afin de vendre à l'opinion publique occidentale une rhétorique tout aussi mensongère sur un "cessez-le-feu" et des espoirs de "paix".
La supercherie du cessez-le-feu actuel fait écho à celle de la "guerre de Gaza" évoquée ces deux dernières années. Ils servent exactement le même objectif : dissimuler les véritables intentions d'Israël.
Mardi, alors que le "cessez-le-feu" entrait en vigueur et que les corps des Israéliens et des Palestiniens ont été échangés, Israël a continué à tuer. Le Financial Times est l'un des médias à avoir rapporté que des soldats israéliens ont tué "plusieurs" Palestiniens ce jour-là.
Des soldats israéliens ont par ailleurs publié des vidéos les montrant en train d' incendier des bâtiments, des stocks de nourriture et une station d'épuration vitale, alors qu'ils évacuaient la ville de Gaza.
Autrement dit, Israël n'a jamais eu l'intention de faire taire les armes.
Ce schéma est récurrent.
En janvier, lors du précédent "cessez-le-feu" négocié par Trump, Israël a tué au moins 170 Palestiniens, avant de violer l'accord quelques semaines plus tard pour pouvoir reprendre le génocide.
Au Liban, où, sous la supervision des États-Unis et de la France, un cessez-le-feu est censé être en vigueur depuis un an, Israël a enfreint ses termes plus de 4 500 fois.
Comme l'a souligné l'ancien ambassadeur britannique Craig Murray concernant cette période,
"Israël a tué des centaines de personnes, y compris des nourrissons, détruit des dizaines de milliers de maisons et annexé cinq régions du Liban".
Qui va prétendre que Gaza, un territoire minuscule sans armée ni institutions étatiques, s'en sortira mieux que le Liban face à un cessez-le-feu israélien ?
La mascarade du cessez-le-feu
Le cessez-le-feu peut certes représenter un répit temporaire dans l'offensive génocidaire menée depuis deux ans par Israël sur Gaza, mais il est sans effet sur l'occupation israélienne des territoires palestiniens, cause première - et non pas conséquence - de la "guerre".
L'occupation perdure.
Le cessez-le-feu ne marque pas non plus la fin du système d' apartheid instauré par Israël, jugé illégal par la plus haute cour internationale l'année dernière.
La Cour internationale de justice (CIJ) l'a alors sommé de se retirer immédiatement des territoires palestiniens occupés, y compris de la bande de Gaza, et a appelé la communauté internationale à exercer des pressions pour qu'il se conforme à cette décision.
L'Assemblée générale des Nations unies a donné à Israël jusqu'au mois dernier pour se conformer à cette décision. Israël a non seulement ignoré l'échéance, mais a en outre intensifié ses opérations militaires. Même au cours du "cessez-le-feu" actuel, les soldats israéliens ne se sont pas retirés de plus de la moitié de Gaza.
Israël contrôle d'ailleurs toujours l'ensemble du territoire de Gaza à distance grâce à ses drones espions, ses drones d'attaque, ses avions de combat, ses technologies de surveillance et ses blocus terrestres et maritimes.
Un État aussi déterminé à commettre un génocide n'a aucune raison d'y mettre fin, à moins d'y être contraint par une puissance supérieure.
Trump a sillonné une partie de la scène internationale en prétendant faire justement pression sur Israël et le Hamas. Cette mascarade n'a convaincu que les crédules - et la classe politique et médiatique occidentale.
Le "cessez-le-feu" n'est pas "fragile". Il est conçu pour échouer, et non pour instaurer la paix. Son véritable objectif est d'octroyer à Israël un nouveau feu vert pour poursuivre le génocide.
Des prisonniers déshumanisés
Les Palestiniens sont contraints de vivre depuis des décennies dans cette impasse : ils sont condamnés s'ils agissent, condamnés s'ils laissent faire.
Toute résistance à la brutalité de leur occupation se solde par un massacre - ou la stratégie "de la terre brûlée", comme le dit Israël - et par leur désignation comme "terroristes".
Mais la politique de non-résistance de l'Autorité palestinienne complaisante de Mahmoud Abbas en Cisjordanie plonge les Palestiniens dans une situation désespérée : ils vivent comme des prisonniers perpétuels et déshumanisés sous la domination israélienne, parqués dans des zones de plus en plus réduites, tandis que les milices juives sont autorisées à établir des colonies sur leurs terres.
Un choix similaire est au cœur du "cessez-le-feu" actuel.
Le Hamas a obtenu un échange de prisonniers - après l'arrestation de milliers de Palestiniens dans la rue (et de milliers d'autres qui seront bientôt arrêtés pour prendre leur place) - tandis que la population de Gaza profite d'un bref répit dans l'offensive génocidaire d'Israël qui la prive de moyens de subsistance. Voilà l'accord que le Hamas a dû accepter, conscient qu'il est truffé de pièges.
Le plus flagrant concerne l'obligation pour le Hamas de restituer les derniers Israéliens retenus en otage à Gaza, y compris 28 corps, en échange de quelque 2 000 otages palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. L'accord fixe un délai de 72 heures pour l'échange.
Le Hamas a toutefois eu du mal à localiser les sites où se trouvent les corps. Jusqu'à présent, il en a restitué dix, mais l'un d'entre eux ne semble pas être israélien.
Le chaos qui règne à Gaza complique l'identification des lieux de sépulture d'origine. Et les montagnes de décombres sous lesquelles gisent les corps des Israéliens, formées par les bombes anti-bunker fournies par les États-Unis et larguées par Israël, qui ont très probablement causé leur mort, sont presque impossibles à déplacer sans engins lourds, qui font cruellement défaut à Gaza.
Même si les sites sont identifiés et les décombres déblayés, le Hamas pourrait constater que les corps ont été pulvérisés par les bombes israéliennes, à l'instar des victimes palestiniennes. Sans compter que certains des corps pourraient aussi se trouver dans la partie de Gaza toujours occupée par Israël, à laquelle le Hamas n'a pas accès.
Le Comité international de la Croix-Rouge, arbitre neutre par excellence, a reconnu que retrouver les corps dans ces conditions constitue un "défi titanesque" !
Un énième cercle vicieux
Les médias occidentaux, qui se sont empressés de relayer les accusations israéliennes sans fondement contre le Hamas au sujet de la restitution des corps, ainsi que la souffrance des familles israéliennes dans l'attente, ont peu abordé l'état des corps palestiniens restitués par Israël.
Les cadavres réfrigérés sont arrivés à l'hôpital Nasser de Gaza sans le moindre document d'identité, et le personnel n'a pu effectuer aucun test ADN en raison des destructions infligées par Israël à ses installations. Les familles n'ont donc aucune idée de l'identité de leurs proches, à moins bien sûr de les identifier par elles-mêmes.
La tâche sera atroce et laborieuse. Les médecins ont constaté que les corps restitués étaient toujours menottés et les yeux bandés, qu'ils ont été exécutés d'une balle dans la tête et présentaient des signes flagrants de torture tant avant qu'après leur mort.
Israël a profité du retard pris dans l'échange pour réimposer la famine à Gaza, en limitant l'aide dont la population a désespérément besoin pour survivre.
Selon les médias israéliens, les États-Unis et Israël auraient conclu une "clause secrète" permettant à l'État hébreu de reprendre sa "guerre" génocidaire si le Hamas ne parvient pas à remettre tous les corps dans un délai de trois jours.
Double pression
Ensuite, si le Hamas parvient à éviter cet écueil, il sera contraint de déposer les armes. Cette condition est présentée comme préalable à la "paix". Mais s'il désarmait, l'unique certitude est que rien ne garantirait la paix.
Cette semaine, fidèle à son habitude, Trump a proféré de vagues menaces.
"S'ils ne désarment pas", a-t-il déclaré, "nous les désarmerons". Il a ajouté que si les États-Unis interviennent, "ce sera rapide et sans doute violent. Mais ils seront désarmés".
Cette déclaration met le Hamas et les autres groupes de résistance armée contre l'occupation israélienne, un droit reconnu par le droit international, dans une situation intenable.
Tout d'abord, désarmer Gaza ne ferait qu'accroître la vulnérabilité de sa population face aux attaques israéliennes.
Quelle que soit la justesse ou pas de la stratégie militaire du Hamas, il est difficile d'ignorer que les combats prolongés ont eu un coût élevé pour les troupes israéliennes, en termes de traumatismes psychologiques et de nombre de victimes, qui a en quelque sorte fait contrepoids.
Un grand nombre d'Israéliens sont descendus dans la rue pour s'opposer aux actions de Netanyahu à Gaza, mais pas, comme le montrent les sondages, parce qu'ils se soucient des centaines de milliers de Palestiniens morts et mutilés à Gaza.
Leurs protestations sont plutôt motivées par leur inquiétude quant au sort des prisonniers israéliens à Gaza et au nombre de victimes parmi les soldats israéliens.
Le Hamas, ainsi qu'une grande partie de la population de Gaza, craint qu'un désarmement ne fasse pencher la balance vers un génocide permanent, aggravant ainsi l'effusions de sang de la part d'Israël, et non la paix.
Un dilemme perdant-perdant
D'autre part, le Hamas n'est pas près d'accepter de se désarmer alors que des clans criminels armés et soutenus par Israël, dont certains sont liés à l'État islamique, sévissent dans les rues de Gaza.
Les Palestiniens savent depuis longtemps qu'Israël entend saper les principaux mouvements de libération nationale palestiniens, qu'il s'agisse du Hamas ou du Fatah, pour faire la part belle aux seigneurs de guerre locaux.
Il y a 14 ans, un analyste palestinien a mis en garde contre les dangers de ce qu'il appelait le plan israélien d'" afghanisation" de Gaza et de la Cisjordanie.
Cette stratégie ultime d'Israël consisterait à promouvoir des chefs de clans rivaux focalisés sur la protection de leurs petits fiefs respectifs, plutôt que sur la résistance à l'occupation illégale et la mise en place d'un État palestinien unifié.
Au plus fort du génocide, les clans ont prouvé à quel point ce type d'évolution peut être dangereux pour les Palestiniens. Soutenus par Israël, avec le Hamas coincé dans ses tunnels, ces gangs ont pillé les camions d'aide humanitaire, volé ces vivres destinées au plus démunis au bénéfice de leurs seules familles et vendu le reste à des prix exorbitants que peu de gens peuvent se permettre. Tous les autres ont souffert de la faim.
Si le Hamas dépose les armes, ces clans auront les mains libres, soutenus par Israël. Ni le Hamas ni la plupart des Gazaouis ne souhaitent que cela se reproduise. Ce n'est pas la voie de la paix, mais celle d'une occupation brutale par Israël, sous-traitée en partie à des seigneurs de guerre locaux.
Curieusement, Trump semble en avoir conscience. Il a déclaré mardi que le Hamas
"a éliminé deux gangs très dangereux... ils ont tué un certain nombre de membres de ces gangs. Cela ne m'a pas dérangé, pour être honnête. C'est sans importance".
Mais que Trump attend-il d'un désarmement du Hamas, réclamé par les États-Unis et Israël ? Ces "gangs très dangereux" refont-ils surface ?
C'est précisément le dilemme perdant-perdant que veut imposer Israël au Hamas et à Gaza.
Brouiller les pistes
Mercredi, Trump a de nouveau brouillé les pistes en avertissant que, si le Hamas ne dépose pas les armes, Israël reprendra ses attaques contre Gaza "dès que j'en donnerai l'ordre".
Le lendemain, il est allé plus loin en suggérant que les États-Unis eux-mêmes pourraient intervenir à Gaza. Il a écrit sur son compte Truth Social :
"Si le Hamas continue à tuer des gens à Gaza, ce qui n'était pas prévu dans l'accord, nous n'aurons d'autre choix que d'intervenir et de les tuer".
Si le Hamas devait être dissous et qu'Israël se retirait complètement de Gaza, qui, dans ce cas doublement improbable, comblerait le vide ?
Israël a refusé toute forme de gouvernance palestinienne dans l'enclave, y compris celle du régime d'Abbas en Cisjordanie. Israël continue également de refuser de libérer Marwan Barghouti, le dirigeant du Fatah emprisonné depuis longtemps, unique personnalité susceptible d'unifier la politique palestinienne, souvent qualifié de "Nelson Mandela palestinien".
Si Israël était vraiment intéressé par la fin de l'occupation et par la "paix", Barghouti serait naturellement l'homme de la situation. Au lieu de cela, des informations indiquent qu'il a été une fois de plus sauvagement battu par les gardiens de prison israéliens, et que sa vie est en danger.
La vision de Trump pour les prochaines années se résume à son tristement célèbre " Conseil de paix", une administration de type colonial décomplexée dirigée par le vice-roi Tony Blair. Il y a deux décennies, l'ancien Premier ministre britannique a aidé les États-Unis à détruire l'Irak, plongeant le pays dans un chaos institutionnel et provoquant la mort de milliers de personnes.
Le "Conseil de paix" de Trump est censé siéger à proximité, en Égypte, et non à Gaza.
Sur le terrain, Trump envisage une "force de stabilisation" étrangère. Mais ses troupes, à supposer qu'elles voient le jour, ne seront probablement pas plus efficaces pour faire face à l'agression israélienne que ne l'ont été leurs homologues chargés du maintien de la paix au Liban pendant des décennies.
Israël a attaqué à plusieurs reprises les casques bleus de l'ONU dans le sud du Liban, tandis que la présence des forces de l'ONU n'a strictement rien fait pour freiner les violations continues du "cessez-le-feu" par Israël.
Une force de stabilisation ne fera rien pour empêcher Israël d'intervenir directement à Gaza en assassinant à l'aide de drones, en restreignant les importations de béton, de vivres et de fournitures médicales, et en maintenant un blocus naval des eaux territoriales de l'enclave.
La vision de "paix" de Trump consiste à voir des Palestiniens survivre dans la misère, piégés dans les ruines de Gaza, sous la surveillance constante des drones israéliens.
Ramy Abdu, président d'Euro-Med Human Rights Monitor, a déclaré cette semaine à The Intercept que nous assisterons très probablement, au cours des semaines et des mois à venir, non pas à un génocide incontrôlé, mais à un "génocide et un déplacement de population planifié" par Israël.
Israël pourra désormais se reposer sur ses lauriers, entraver la reconstruction de l'enclave et envoyer un message clair à une population démunie : sa survie ne se jouera jamais à Gaza.
L'avenir de la Cisjordanie n'est pas non plus synonyme de paix, mais plutôt d'une intensification des atrocités commises par Israël et de la création de mini-Gaza dans les petites zones urbaines où les Palestiniens ont été progressivement parqués.
Mais la résistance palestinienne ne prendra pas fin ainsi. Aucun peuple dans l'histoire ne s'est jamais résigné à une servitude et une oppression permanentes. Et les Palestiniens ne feront pas exception.
Traduit par Spirit of Free Speech