Guy CHAPOUILLIE
"Arrêtez de me dire ce que doit être la Palestine, je ne sais pas, mais j'espère qu'elle sera plutôt laïque, démocratique et pourquoi pas alcoolique". (Un représentant de la Palestine au colloque oecuménique de Celle-sur-Belle dans les Deux Sèvres en 1973).
Il était une fois un joli village abreuvé par les eaux vives du Lot que certains habitants avaient décidé d'ouvrir au monde par l'organisation d'un festival baptisé Hayati qui évoque à sa manière la vie, la dynamique du vivant. Quoi de plus doux, de plus affectueux pour appeler à la solidarité du peuple palestinien.
Aussi, lorsque les organisateurs m'ont proposé d'y projeter L'Olivier un film que j'ai coréalisé en 1975, j'ai dit oui, sans aucune hésitation parce que je pense qu'il est devenu un chaînon utile pour aborder l'histoire tragique de ce peuple. Le processus ne se donnant aucune limite, nous avons filmé en Europe, au Liban, en Syrie, à Jérusalem, à Gaza, en Cisjordanie et sur tout le territoire israélien. Cela fut tout simplement un chemin de rencontres et par conséquent de découvertes, de mise à jour de notre connaissance au point de voir ce film devenir une succession de questions qui nous a conduit à choisir comme sous-titre : Qui sont les Palestiniens ?
Il faut bien l'avouer, l'image médiatique des Palestiniens n'avait pas, à ce moment là, les traits d'un peuple réel que le processus de réalisation nous aura permis de tracer, imparfait certes, mais au cœur du vivant. Il a eu le mérite de saisir des visages et des voix qui sont autant de preuves de la légitimité d'une population sur sa terre. Dans une période où le peuple est dispersé en corps démembrés, écrasés, emprisonnés, torturés, il fallait un souffle de vie de ce peuple et le film le pouvait en prenant place au cœur d'un programme de rencontres avec de la musique, des chants, des ateliers divers et de la gastronomie palestinienne.
Le festival avait été déclaré dans les délais pour la période du 26 au 28 septembre, sa préparation se déroulait paisiblement avec une affiche qui circulait depuis presque un mois, sans signe palpable d'orages.
Et, patatras ! A quelques heures du commencement, le maire d'Albas, chef de la police municipale, faisait savoir, qu'il était hors de question de laisser se tenir sur son territoire un événement pro-palestinien. Il paraît que l'organisateur n'avait pas précisé le véritable objet du festival : reverser la totalité de bénéfices aux associations et ONG qui travaillent à Gaza et sur le reste de la Palestine. Un objectif stupéfiant, non ?
Ce village de 529 habitants est passé tout près d'une sortie de route. Heureusement que le maire veillait. La Guinguette d'Albas dont le propriétaire n'est autre que l'organisateur du festival ne sera pas le repaire d'inquiétants étrangers. L'arrêté d'interdiction qui comporte une farandole de « considérants » sidérants sonne comme une déclaration de guerre civile, contre ses propres administrés :
Considérant qu'il appartient au maire d'exercer son pouvoir de police...
Considérant que le rassemblement festif se déroulera sur divers emplacements du domaine public...
Considérant que l'organisateur sollicite la fermeture partielle de la rue de la Carrière...
Considérant que, dans le contexte international actuel, la tenue d'une manifestation en faveur du peuple palestinien pourrait susciter des tensions, des conflits d'intérêt ou des troubles au maintien de la paix mettant en cause la mission de maintien de l'ordre qui relève du maire.
M. XXXX, XX rue de la Carrière, Albas 46140 n'est pas autorisé à occuper le domaine public. Le maire de la commune d'Albas et le commandant de la brigade de la gendarmerie de Puy l'Evêque sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté.
Fermez le ban, le maintien de l'ordre est assuré et les barbares peuvent passer leur chemin.
Faut-il pleurer, faut- il en rire, fait-il envie ou bien pitié, je n'ai pas le cœur à le dire on ne sent pas le maire aimer, ses prochains. Ses arguments sont affligeants, ses précautions oratoires aussi. "Evidemment qu'à titre personnel ce qui se passe à Gaza me désole", dit-il. Mais il n'en démord pas, il refuse que son village devienne une plateforme pro-palestinienne.
Vous vous rendez compte de l'horreur ? Il y a de quoi trembler devant une menace qui vient de partout et même de la voix d'Emmanuel Macron, le Président de la République, qui vient de reconnaître la création d'un Etat palestinien, sans oublier les millions d'Espagnols descendus dans la rue pour réclamer que justice soit rendue au peuple palestinien.
En tout cas, Albas vient de rejeter les Sarrasins, ouf !
Pas bien loin cependant car, grâce à la bienveillance du maire de Luzech, la commune voisine, le festival s'est déroulé dans une ambiance de partage et de générosité qui faisait plaisir à vivre. Le lieu a été changé à la dernière minute, il était excentré en dehors du village, mais il a réuni une centaine de participants chaque soir. Plus de 5000 euros récoltés avec le sentiment d'avoir gagné une bataille certes picrocholine mais une victoire dont la portée symbolique enthousiasma les participants et fait encore parler, sans doute pour longtemps.
D'autant qu'une pétition, qui reprend la forme de l'arrêté, fait défiler une suite de « considérants » protestataires soucieux d'exposer l'absurdité de l'interdiction, le tout rédigé avec un bon sens politique à la mesure de l'incongruité :
Considérant enfin que cette décision prive Albas d'un moment de solidarité, d'échange et de culture, et donne de notre commune l'image injuste d'une collectivité qui ferme ses portes à la fraternité, nous affirmons que l'arrêté municipal n° 2025-72 est injustifié, disproportionné et contraire à l'esprit d'ouverture et d'accueil qui a toujours fait la richesse de notre commune.
Et puis, ce qui n'était pas prévu a fait surgir un esprit de résistance tout à l'honneur des organisateurs et des participants qui n'ont pas manqué, en toute liberté, de cultiver la pratique du désordre notamment en mélangeant les plats palestiniens, Maqlouba, Falafels et le vin de Cahors, ce qui au cours de la dégustation, a fait naître la sensation d'avoir trouvé une superbe création composite grosse de promesses.
Guy CHAPOUILLIE
Cinéaste, réalisateur de courts et longs métrages, universitaire, fondateur de l'ESAV (Ecole supérieure d'audovisuel) de Toulouse (devenue école nationale), Guy Chapouillié est également un spécialiste de Marcel Pagnol et du peintre Jean-Français Millet.
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