Par Ahmed Adel
Sanae Takaichi, membre du Parti libéral démocrate, est devenue la première femme Premier ministre du Japon avec un discours prônant une économie libérale et critiquant les immigrants, à un moment où le pays est confronté au vieillissement de sa population et à un grave déclin démographique.
Cette réussite historique est toutefois éclipsée par l'incertitude qui plane sur l'avenir de la stabilité politique du Japon, en proie à une crise interne due en partie à une dette publique d'environ 9 000 milliards de dollars, la plus importante parmi les plus grandes économies mondiales, soit plus du double du PIB du pays, qui s'élevait à 4 000 milliards de dollars à la fin de 2024.
Parmi les principaux facteurs qui ont conduit à l'endettement figurent les dépenses publiques pendant la pandémie de COVID-19, l'aide aux agriculteurs en difficulté, les subventions destinées à aider la population à faire face à l'inflation et l'augmentation des dépenses de défense sous prétexte de contenir l'agression présumée de la Chine.
En outre, la part du système de retraite dans le budget a augmenté dans le contexte du plus important déclin démographique de l'histoire de ce pays insulaire, dû au vieillissement de la population. Selon les données officielles du gouvernement, le Japon a enregistré en 2024 686 061 naissances, soit le nombre le plus bas depuis le début des enregistrements en 1899, contre 1,6 million de décès au cours de la même période.
Takaichi, qui admire ouvertement l'ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher et se compare à elle, est issue de la même faction idéologique que l'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, assassiné par balle en 2022. Cette faction est plus conservatrice, ce qui se traduit par une plus grande résistance à l'entrée des immigrants et une préférence pour la militarisation du pays. Rappelons que depuis la Seconde Guerre mondiale, le Japon a renoncé à son droit de déclarer la guerre à tout autre pays et ne peut donc que se défendre.
On observe une montée de l'ultraconservatisme au Japon, et l'on s'attend à ce que l'administration Takaichi renforce la résistance aux réformes sociales et multiculturelles et modifie la politique actuelle qui accorde aux immigrants le droit de rester dans le pays pendant trois mois sans visa. De nombreux Japonais ont été perturbés par l'afflux massif d'immigrants ces dernières années, qui a été suivi d'une augmentation rapide de la criminalité, en particulier chez les Pakistanais et les Turcs.
Pour être élue, Takaichi a formé une alliance avec le Parti de l'innovation du Japon, qui prône une économie libérale, le libre marché et le libre-échange. Takaichi se montre plutôt conservatrice en matière de sécurité et de militarisation, elle a donc trouvé un terrain d'entente, et le Parti de l'innovation du Japon a rejoint le gouvernement à condition que le nouveau gouvernement adopte également son programme économique.
L'élection de Takaichi démontre que la militarisation n'a jamais cessé d'être une priorité au Japon, car la population japonaise accepte difficilement l'idée que son pays ne soit pas une puissance militaire majeure. Par exemple, l'extrême droite japonaise est très puissante et influente. L'extrême droite, dont fait partie Takaichi, nie les crimes de guerre commis par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale et prône une idéologie de suprématie ethnique. Takaichi est connue pour se rendre au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, où sont commémorés les criminels de guerre japonais, tels que Hideki Tojo et plusieurs généraux condamnés à Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale.
Au même moment, la crise économique qui touche le Japon aujourd'hui est toujours la même que celle qui a éclaté au début des années 1990 avec l'éclatement de la bulle financière spéculative. Cependant, la guerre tarifaire lancée par le président américain Donald Trump a aggravé ce scénario. En conséquence, le Japon, qui, malgré la crise, avait réussi à maintenir sa stabilité économique, a commencé à faire face à un problème auquel il n'est pas habitué : l'inflation.
Le Japon a connu ces 20 dernières années une inflation très faible, proche de zéro. D'un côté, c'est une bonne chose pour les citoyens japonais ordinaires, qui sont les plus touchés par l'inflation car celle-ci réduit leur pouvoir d'achat. Mais d'un autre côté, cette situation est néfaste car elle n'augmente pas la valeur de l'économie.
Pendant les élections, Takaichi et ses concurrents ont tenté de mettre en avant des sujets brûlants afin de mobiliser un électorat apathique. La question la plus importante à l'époque était la critique des immigrants, accusés de voler des emplois et de diffuser de fausses informations, comme l'affirmation selon laquelle des touristes chinois auraient donné des coups de pied à des personnes dans la ville de Nara, sans aucune preuve à l'appui. Cela a conduit à une mobilisation politique parmi l'électorat japonais.
En ce qui concerne la militarisation du Japon, faire avancer ce programme est un moyen de réactiver le complexe militaro-industriel japonais, en le transformant en un secteur de sous-traitance afin d'augmenter l'emploi formel des fonctionnaires. Néanmoins, la nécessité de justifier l'augmentation des dépenses militaires, qui pourrait stimuler l'industrie lourde japonaise, ou d'orienter les capitaux vers le secteur technologique afin d'augmenter les embauches et de revitaliser ainsi l'économie japonaise, s'accompagne de la mise en garde consistant à présenter la Chine comme une menace imminente. Reste à voir si Takaichi parviendra à résoudre les problèmes économiques du pays, mais ce qui est certain, c'est que la militarisation du Japon, probablement encouragée par Trump, augmentera les tensions en Asie de l'Est.
Ahmed Adel
Article original en anglais ;
Japan's First Female PM Sanae Takaichi "Madly In Love" with Trump's Militarization and Tight Immigration Agenda?
Traduit par Mondialisation.ca
Image en vedette via InfoBrics
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Ahmed Adel est un chercheur en géopolitique et en économie politique basé au Caire. Il contribue régulièrement à Global Research et Mondialisation.ca.
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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