
Par Chris Hedges, le 3 novembre 2025
Le Parti démocrate et ses alliés libéraux refusent d'appeler à une mobilisation massive et à des grèves, les seuls moyens de contrer l'autoritarisme émergent de Trump, par crainte d'être écartés à leur tour.
L'unique espoir de nous sauver de l'autoritarisme de Trump repose sur les mobilisations massives. Nous devons créer des centres de pouvoir alternatifs, notamment des partis politiques, médias, syndicats et universités, pour redonner une voix et du pouvoir d'action à ceux qui en ont été privés par nos deux partis au pouvoir, en particulier les travailleurs pauvres et la classe ouvrière. Nous devons déclencher des grèves pour paralyser et contrer les abus commis par l'État policier naissant. Nous devons défendre un socialisme radical impliquant notamment de réduire les 1 000 milliards de dollars dépensés pour l'industrie de la guerre, de mettre fin à notre dépendance suicidaire aux combustibles fossiles et d'améliorer la vie des Américains laissés pour compte dans les décombres de l'industrialisation, de la baisse des salaires, de la dégradation des infrastructures et des programmes d'austérité asphyxiants.
Le Parti démocrate et ses alliés libéraux dénoncent la consolidation du pouvoir absolu par la Maison Blanche de Trump, les violations constitutionnelles en série, la corruption manifeste et la transformation des agences fédérales, dont le ministère de la Justice et l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), en outils de persécution des opposants et des détracteurs de Trump. Ils avertissent que le temps presse. Cependant, ils refusent catégoriquement d'appeler à des mobilisations de masse qui pourraient perturber les mécanismes du commerce et de l'État. Les quelques personnalités politiques du Parti démocrate qui s'attaquent aux inégalités sociales et aux abus de la classe milliardaire, comme Bernie Sanders et Zohran Mamdani, sont traitées comme des parias. Ignorant allègrement les préoccupations et les revendications des électeurs ordinaires, ils les réduisent à des faire-valoir lors des rassemblements, des réunions publiques et des conventions.
Le Parti démocrate et la classe libérale sont terrifiés par les mouvements de masse, craignant à juste titre d'être balayés à leur tour. Ils se bercent d'illusions en pensant pouvoir nous sauver du despotisme, alors qu'ils s'accrochent à une formule politique dépassée et présentent des candidats insipides et inféodés aux grandes entreprises, tels que Kamala Harris ou Mikie Sherrill, une candidate démocrate et ex-officier de marine qui se présente au poste de gouverneur du New Jersey. Ils nourrissent l'espoir vain qu'être contre Trump suffirait à combler le vide engendré par leur absence de vision et leur servilité abjecte envers la classe des milliardaires.
Un sondage réalisé par le Washington Post, ABC News et Ipsos, et résumé par le Washington Post intitulé "Selon un sondage, les électeurs désapprouvent largement Trump mais restent divisés sur les élections de mi-mandat", a révélé que 68 % des personnes interrogées estiment que les démocrates sont déconnectés des aspirations des électeurs, et 63 % pensent la même chose de Trump.
"À un an des élections de mi-mandat de 2026, rien n'indique que les perceptions négatives de la performance de Trump aient profité au Parti démocrate, les électeurs étant presque également répartis entre leur soutien aux démocrates et aux républicains".
Dans une démocratie capitaliste, la classe libérale est conçue pour fonctionner comme une soupape de sécurité. Elle autorise des réformes progressives. Mais elle ne remet pas en cause ni ne conteste les structures du pouvoir. En contrepartie, la classe libérale sert de bras armé pour discréditer les mouvements sociaux radicaux. La classe libérale est donc un atout précieux. Elle confère une légitimité au système. Elle entretient la croyance en la possibilité des réformes.
Terrifiés par la mobilisation de la gauche dans les années 1960 et 1970 - ce que le politologue Samuel P. Huntington a appelé "l'excès de démocratie" de l'Amérique -, les oligarques et les entreprises ont entrepris de créer des contre-institutions pour délégitimer et marginaliser les détracteurs du capitalisme et de l'impérialisme. Ils ont acheté l'allégeance des deux partis politiques au pouvoir. Ils ont imposé l'obéissance au néolibéralisme au sein des universités, des agences gouvernementales et des médias. Ils ont neutralisé la classe libérale et réprimé les mouvements populaires. Ils ont envoyé le FBI pour traquer les manifestants anti-guerre, le mouvement des droits civiques, les Black Panthers, l' American Indian Movement, les Young Lords et d'autres groupes accordant du pouvoir aux opprimés. Ils ont brisé les syndicats, laissant ainsi 90 % de la main-d'œuvre américaine sans protection syndicale. Les détracteurs du capitalisme et de l'impérialisme, comme Noam Chomsky et Ralph Nader, ont été mis sur liste noire. La campagne, élaborée par Lewis F. Powell Jr. dans son mémorandum de 1971 intitulé "Attaque contre le système américain de libre entreprise", a initié le coup d'État rampant des entreprises, désormais effectif au bout de cinq décennies.
Aujourd'hui, les différences entre les deux partis sur des questions de fond telles que la guerre, les réductions d'impôts, les accords commerciaux et l'austérité sont quasiment indiscernables. La politique est réduite à d'insipides concours de popularité entre des personnalités de pacotille et à des batailles stériles sur des sujets de société. Les travailleurs ont perdu leur protection sociale. Les salaires ont stagné. Et l'esclavage moderne a explosé. Les droits constitutionnels ont été abolis par décision de justice. Enfin, le Pentagone a absorbé la moitié de toutes les dépenses publiques.
Au lieu de s'opposer à cette offensive, la classe libérale s'est repliée sur un activisme de façade axé sur le politiquement correct. Elle a ignoré la guerre des classes sans merci qui, sous l'administration démocrate de Bill Clinton, a coûté leur emploi à environ un million de travailleurs dans le cadre de licenciements massifs liés à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en plus des 32 millions d'emplois perdus lors de la désindustrialisation des années 1970 et 1980. Elle a ignoré la surveillance généralisée mise en place par le gouvernement, en violation directe du Quatrième Amendement. Elle a fermé les yeux sur les enlèvements la torture - les "restitutions extraordinaires" -, l'emprisonnement de suspects de terrorisme dans des sites secrets, ainsi que sur les assassinats, y compris de citoyens américains. Elle a passé sous silence les programmes d'austérité qui ont anéanti les services sociaux. Elle a occulté les inégalités sociales, qui ont atteint leur niveau le plus extrême depuis plus de 200 ans, bien au-delà de la cupidité vorace des barons voleurs.
Le projet de loi sur la réforme de l'aide sociale de Clinton, signé le 22 août 1996, a exclu du système d'aide sociale six millions de personnes, dont de nombreuses mères célibataires, en l'espace de quatre ans. Il les a jetées à la rue, privées de toute aide, qu'il s'agisse de garde d'enfants, d'aide au logement ou de couverture Medicaid. Les familles ont alors été catapultées dans la crise, luttant pour survivre avec plusieurs emplois rémunérés 6 ou 7 dollars de l'heure, soit moins de 15 000 dollars par an. Mais elles étaient parmi les plus chanceuses. Dans certains États, la moitié des personnes radiées des listes d'aide sociale n'ont pas retrouvé d'emploi. Clinton a également réduit de 115 milliards de dollars le budget de Medicare sur cinq ans et de 14 milliards celui de Medicaid. Le système carcéral, déjà surpeuplé, a dû faire face à l'afflux de pauvres et de malades mentaux laissés pour compte.
Les médias, détenus par des entreprises et des oligarques, ont assuré au public qu'il est judicieux de confier ses économies à un système financier géré par des spéculateurs et des voleurs. Lors de la crise de 2008, les économies d'une vie ont été spoliées. Puis, ces médias, au service des annonceurs et des sponsors, ont invisibilisé ceux dont la misère, la pauvreté et les griefs auraient dû être au centre de l'attention des journalistes.
Barack Obama, qui a collecté plus de 745 millions de dollars - dont une grande partie provenait d'entreprises - pour financer sa campagne présidentielle, a favorisé le pillage du Trésor américain par les entreprises et les grandes banques après la crise de 2008. Il a laissé tomber des millions d'Américains qui ont perdu leur maison en raison des saisies bancaires ou immobilières. Il a perpétué les guerres initiées par son prédécesseur, George W. Bush. Il a enterré la couverture médicale universelle et a contraint les citoyens à souscrire à son ObamaCare dysfonctionnel et lucratif - l'Affordable Care Act - une mine d'or pour les industries pharmaceutique et du secteur de l'assurance.
Si le Parti démocrate s'était battu pour défendre la couverture médicale universelle plutôt que pour empêcher la hausse des tarifs de l'ObamaCare, des millions de personnes seraient descendues dans la rue.
Le Parti démocrate ne fait que jeter des miettes aux pauvres. Il se félicite d'avoir accordé aux chômeurs le droit de maintenir leurs enfants sur leur police d'assurance maladie à but lucratif. Il a adopté une loi sur l'emploi qui accorde des crédits d'impôt aux entreprises, alors que le taux de chômage, qui inclut tous ceux qui occupent des emplois à temps partiel ou peu qualifiés mais souhaiteraient travailler davantage, avoisine sans doute les 20 %. Il contraint les contribuables, dont un sur huit dépend des coupons alimentaires pour se nourrir, à débourser des milliards pour payer les crimes de Wall Street et les guerres sans fin, y compris le génocide à Gaza.
La défenestration de la classe libérale l'a réduite à une clique de courtisans débitant des platitudes vides de sens. La soupape de sécurité ne fonctionne plus. L'assaut contre la classe ouvrière et les travailleurs pauvres s'est accéléré, et avec lui, une colère très légitime.
Cette colère nous a valu Trump.
L'historien Fritz Stern, réfugié de l'Allemagne nazie, a écrit que le fascisme est l'enfant illégitime d'un libéralisme en faillite. Selon lui, notre aliénation spirituelle et politique, marquée par la haine culturelle, le racisme, l'islamophobie, l'homophobie, la diabolisation des immigrés, la misogynie et le désespoir, serait le terreau fertile pour un fascisme américain.
"Ils ont attaqué le libéralisme", écrit-il dans son livre The Politics of Cultural Despair, "parce qu'il lui semblait être le principe fondamental de la société moderne. Tout ce qu'ils redoutaient semble en découler : la vie bourgeoise, le manchesterisme (capitalisme libéral), le matérialisme, le parlement et les partis, l'absence de leadership politique. Plus encore, ils attribuaient au libéralisme la source de toutes leurs souffrances intérieures. Ils éprouvaient de la rancœur face à la solitude. Leur seul désir était une nouvelle foi, une nouvelle communauté de fidèles, un monde avec des normes immuables et sans incertitude, une nouvelle religion nationale qui unirait tous les Allemands. Or, le libéralisme rejetait tout cela. C'est pourquoi ils le haïssaient, le blâmant de les avoir réduits à l'état de parias, de leur avoir volé leur passé imaginaire et leur foi".
Dans son dernier livre publié en 1999, Achieving Our Country, Richard Rorty pressentait également l'issue. Il écrit :
"Les membres des syndicats et les travailleurs non qualifiés non syndiqués se rendront compte tôt ou tard que leur gouvernement n'essaie même pas de lutter contre la baisse des salaires ou l'exportation des emplois. Les cols blancs des banlieues, terrifiés par les risques de licenciement, ne se laisseront pas taxer pour financer des prestations sociales destinées à d'autres."Et c'est là que surviendra le point de rupture. L'électorat non suburbain décidera alors que le système a échoué et se mettra en quête d'un homme fort à élire, quelqu'un qui leur garantira que, s'il est élu, les bureaucrates arrogants, les avocats rusés, les vendeurs d'obligations surpayés et les professeurs postmodernistes ne seront plus aux commandes. Un scénario semblable à celui du roman de Sinclair Lewis, It Can't Happen Here, pourrait alors prendre forme. Car lorsqu'un homme fort aura accédé au pouvoir, personne ne pourra en prédire l'issue. En 1932, la plupart des pronostics sur les conséquences de la nomination d'Hitler au poste de chancelier par Hindenburg se sont avérés beaucoup trop optimistes.
"Les acquis obtenus par les Noirs, les Métis et les homosexuels américains au cours des quarante dernières années risquent d'être balayés. Le mépris affiché envers les femmes redeviendra acceptable. Les mots 'nègre' et 'youpin' fleuriront de nouveau sur les lieux de travail. Tout le sadisme que la gauche universitaire s'est efforcée de juguler chez ses étudiants fera son grand retour. Toute la frustration éprouvée par les Américains peu instruits à l'égard des diplômés universitaires qui leur dictent leur conduite finira par déborder".
Les leviers démocratiques du changement, comme se présenter aux élections, faire campagne, voter, faire pression ou signer des pétitions, ne fonctionnent plus. Les forces corporatives et les oligarques ont pris le contrôle de nos systèmes politiques, éducatifs, médiatiques et économiques. Ils ne peuvent être éliminés de l'intérieur.
Le Parti démocrate n'est plus qu'une parodie.
Nos institutions, prises en otage par les riches et les puissants, capitulent devant l'autoritarisme de Trump. Il ne nous reste plus que la désobéissance civile non violente et perturbatrice. Une mobilisation de masse. Des politiques radicales. La rébellion. Une vision socialiste qui neutralise le poison du capitalisme débridé. L'unique solution pour contrer l'État policier de Trump et nous affranchir de la classe libérale incompétente qui le soutient.
Traduit par Spirit of Free Speech